En un instant on entendit claquer les fouets, crier et commander valets et piqueurs. Les chiens obéissaient avec peine. Pendant ce temps le chevreuil, sorti du bois, s’était approché de Galande, les yeux fixés sur elle. Juvisy s’était dirigé vers ceux de ses amis qui lui avaient donné leur appui, et il leur serrait la main à tour de rôle.
Plusieurs cavaliers, de mauvaise humeur, avaient déjà quitté l’endroit et fuyaient au galop en suivant le chemin du retour ; bientôt le carrefour fut libre. Au tintamarre de tout à l’heure avait succédé le silence. Galande et Juvisy étaient restés seuls. Remis de son effroi et de sa fatigue, le chevreuil lécha les mains de sa protectrice ; puis, en trois bonds, il disparut sous les fourrés.
– Prenez-vous mon bras, mademoiselle ? fit le vicomte.
– Oh ! Volontiers ! Que vous êtes bon… et combien je vous suis reconnaissante de ce que vous venez de faire !… Vous êtes brave, monsieur de Juvisy ! C’est beau cela ! Mais je m’en veux du danger que je vous ai fait courir.
– Je l’affrontais pour vous, Galande.
– Merci, oh ! Merci !
– C’est ainsi que je suis, voyez-vous ! Je ne fais rien à demi… Je me dévoue avec excès.
– Savez-vous que vous me faites rêver… Vous me rendez triste.
– Pourquoi ?
– Je ne sais ; mais voilà que tout ce que vous m’avez dit me revient dans la tête… Je n’en dormirai pas…
– Penserez-vous à moi, du moins, si vous ne dormez pas ?
– Je vous dirai cela.
– Quand donc ! Sera-ce demain ? Demain soir… au coin de la mare, sous les futaies, là où vient vous trouver votre fidèle chevreuil ? Y serez-vous, dites ?… Dites que oui.
Galande, après un moment d’hésitation :
– Oui !
– Adieu, Galande.
– Adieu, monsieur le vicomte.
Et ils se séparèrent. Juvisy enfourcha son cheval, qu’il jeta au galop dans la direction du château du marquis de Sennemart, et Galande, de plus en plus rêveuse et pensive, rentra à Montgeron.
La nouvelle des incidents dont la forêt de Sénart avait été le théâtre courut avec les longues jambes de toute chronique scandaleuse, à une époque insoucieuse, galante, frivole et oisive comme celle-là. Les choses vinrent jusqu’aux oreilles de la marquise elle-même ; mais il est aisé de comprendre que les récits avaient été raisonnablement modifiés aux endroits qui la concernaient. On avait glissé sur les causes du duel de Juvisy avec le chevalier de L’Épône, sans pourtant omettre le fait même du duel. Ensuite, on avait beaucoup insisté sur l’épisode de la jeune paysanne et de la protection que le vicomte lui avait si chaleureusement donnée. En sorte que la marquise n’eût connu la vérité que très imparfaitement, sans une personne qui habitait alors auprès d’elle.
Cette personne est celle que nous avons déjà entendu nommer : mademoiselle Hus, l’actrice émérite de la Comédie-Française. Elle se trouvait au château de Champrosay sur le pied de la plus grande intimité. Quoique très jeune encore, son double talent d’actrice et de chanteuse, non moins que sa beauté, l’avait rendue célèbre, et madame de Cailleul, qui aimait la musique passionnément, avait témoigné un désir très soutenu de prendre d’elle des leçons de chant. Ainsi avait commencé leur intimité. La conformité d’âge entre elles ; beaucoup d’esprit, de l’entrain, de l’enjouement chez mademoiselle Hus ; du cœur, de la bienveillance, de l’affabilité et de l’expansion chez la marquise, avaient fait le reste, en établissant des rapports où toutes deux trouvaient une réciprocité de plaisir. Dès que mademoiselle Hus le pouvait, elle quittait Paris et venait joindre sa jeune et noble amie. Le prétexte de ces visites, aux yeux du monde, c’était, comme nous l’avons dit, les études musicales de la marquise ; en réalité, c’était l’attrait d’une douce camaraderie qui en était déjà venue à l’échange des plus intimes confidences.
Au milieu de la société quelque peu évaporée où vivait la marquise de Cailleul, mademoiselle Hus était une précieuse acquisition. Son talent de comédienne, sa magnifique voix, ses excentricités, ses reparties vives, sa belle humeur, étaient pour tous une source d’intarissable diversion. Il importe de dire que si mademoiselle Hus était devenue pour ce monde un indispensable auxiliaire, ce monde n’était pas en reste avec elle. Tous s’efforçaient de lui plaire ouvertement et quelque peu clandestinement aussi. Chaque jour, elle avait à entendre un nouvel aveu de quelque passion soudaine. En femme habile qui ne voulait pas que la désunion se mît dans leur joyeux cercle par de trop nombreuses rivalités d’amour, elle s’était fait une loi de n’écouter personne. Ses refus étaient calculés de façon à ménager toutes les susceptibilités. Elle alléguait des motifs si plausibles, que nul ne se fâchait, et tous, au contraire, demeuraient dans les meilleurs termes avec elle, après qu’ils avaient vu leurs espérances s’évanouir. Mademoiselle Hus, outre les raisons que nous avons indiquées, en avait deux autres fort sérieuses pour suivre la ligne de conduite qu’elle avait adoptée. Elle tenait alors une partie de son opulente existence des libéralités de M. Bertin, l’une des sommités financières du temps. En souscrivant avec lui à cet arrangement, où son cœur n’avait aucune part, mais qui lui assurait une position de fortune en dehors des éventualités de sa carrière dramatique, elle avait exigé, et l’avait obtenu sans peine, que la réalité de leurs relations serait abandonnée aux conjectures du monde, mais jamais positivement avouée. En un mot, que les termes dans lesquels ils vivraient tous deux en public seraient tels que le monde pourrait les expliquer comme il lui conviendrait. Cette transaction laissait à mademoiselle Hus une grande liberté d’action et en même temps plus de titre à l’estime et à la considération de ceux qui l’entouraient. Nul n’était blessé de la présence de Bertin dans les mêmes lieux où elle se trouvait, et celui-ci, sous un prétexte ou un autre, ne manquait jamais de se rencontrer avec elle. Les portes s’ouvraient aisément devant lui. Sa fortune et sa facilité à obliger les gens de qualité, en même temps un fonds permanent de jovialité financière et de belle humeur, son titre de trésorier des parties casuelles, lui valaient toujours des invitations qu’il n’avait garde de refuser, quand au plaisir de se trouver en bonne compagnie se joignait l’espoir pour lui de se rapprocher de sa belle favorite, et d’exercer sur elle une surveillance indirecte.
Mais, parmi toutes les raisons que cette jeune femme avait de se plaire à Champrosay, il y en avait une qui était le mystère intime de son cœur. Elle s’était éprise de l’un des plus hardis cavaliers de la joyeuse b***e dont le château du marquis de Sennemart était le centre : le chevalier de L’Épône. Et, par un étrange jeu du sort, c’était précisément le seul et Juvisy, parmi tous ces jeunes gens qui ne lui avaient point marqué d’attention galante. Le courage de L’Épône, sa célébrité comme veneur, comme duelliste, avaient saisi son imagination. Elle raffolait de sa taille, de son air mâle, et se faisait mille bonheurs, plus grands les uns que les autres, de l’idée d’être aimée d’un pareil homme. Elle eût donné sa réputation pour devenir un objet de tendres soins de sa part ; mais de L’Épône ne songeait pas. Mademoiselle Hus était trop accoutumée à voir les hommes empressés autour d’elle pour qu’elle ait osé, malgré son caprice et le sans-gêne de ses habitudes de théâtre, prendre l’initiative par des coquetteries significatives. Elle se contentait d’être elle-même : belle, spirituelle, enjouée, et elle attendait que le chevalier fût éclairé et mieux avisé.
Il y avait peu de jours seulement que son secret lui était échappé, à la suite de confidences réciproques entre elle et la marquise, quand le romanesque incident de l’agrafe était venu placer aussi la marquise dans des rapports aussi étranges qu’inattendus avec le chevalier de L’Épône. La marquise, de son côté, avait confié à sa jeune camarade sa vive affection pour Juvisy, et il y avait dans ce double amour une coïncidence qui ne leur échappa point : c’est que l’une et l’autre avaient donné leur sympathie à de hommes qui, jusque-là, ne leur avaient pas encore parlé de leurs sentiments mutuels.
La singularité de cette position excitait quelquefois de curieuses observations de la part de ces deux jeunes femmes, dont le caractère avait un grand fond de gaieté folle et d’étourderie. Elles subissaient l’influence des mœurs du temps. Il n’y avait pas, à cette époque, une jeune femme jolie et belle, appartenant à la cour, qui n’eût été menacée de devenir, de gré ou de force, une héroïne du Parc-aux-Cerfs. L’exemple de la légèreté de conduite partait d’en haut, comme chacun sait. De bonne heure, les jeunes femmes de qualité faisaient l’apprentissage des intrigues ; peu sortaient sans succomber des luttes incessantes qu’elles avaient à soutenir. Au théâtre, c’était naturellement pis encore. N’oublions pas que cette époque est précisément celle qui reflète avec tant de vérité dans les scènes du Mariage de Figaro.
On peut aisément se figurer l’étonnement dont la marquise fut saisie, ce même soir où de L’Épône s’était déclaré à elle ! Mais bientôt, comme on se le rappelle, dominant sa surprise, elle s’était hâtée d’aller conter l’aventure à son amie, et elle l’avait fait avec tout l’enjouement naturel à son caractère. Mademoiselle Hus, après avoir cédé à un premier mouvement de contrariété, avait elle-même gaiement surmonté cette impression, et trouvant à son tour la situation assez bizarre : « Allons, se dit-elle, il ne m’aura pas comprise, et il faut que j’en prenne philosophiquement mon parti ! » Le fait est que, malgré son goût extrême pour de L’Épône, mademoiselle Hus avait assez bonne opinion d’elle-même, et ses succès confirmaient cette opinion, pour ne pas faire de l’indifférence du chevalier une blessure à son amour propre.
De L’Épône, ainsi qu’on doit se le rappeler en se reportant au récit du marquis de Sennemart, se trouvait dans le salon de madame de Cailleul alors que celle-ci et mademoiselle Hus devisaient encore sur ses galantes propositions. La marquise, comme nous le savons, se leva pour aller donner sa réponse au chevalier ; mais il nous reste à dire sous quelles influences elle avait pris sa détermination.
Il y avait déjà passablement de temps que son entretien, d’une allure si enjouée, durait avec mademoiselle Hus, quand celle-ci, redoublant de gaieté, se mit à dire : – Oh ! La bonne folie ! oh ! l’excellente folie… qui me vient là !
L’idée de mademoiselle Hus était folle, en effet.
– Voulez-vous l’agrafe ? avait-elle dit à la marquise.
– Oui, assurément ; mais non pas à la condition qu’y met le chevalier… J’en aime un autre, et…
– Très bien ; mais s’il existait un biais par lequel l’agrafe pourrait être à vous, un biais qui, donnant satisfaction au chevalier, vous laisserait à la religion de votre amour pour Juvisy ?
– Je ne comprends pas.
– Acceptez toujours.
– Comment ! que j’accepte sans savoir !
– Oui.
– Mais le chevalier n’est pas homme à se contenter de… rien.
– Je l’entends bien ainsi, et je prends sur moi la responsabilité de la réalité…
Ici mademoiselle Hus se pencha vers la marquise. Elle rougissait à demi, et on eût pu croire qu’elle craignait que les portraits, les meubles et les tentures du salon n’entendissent ce qu’elle allait dire.
– Oh ! le charmant tour ! s’écria la marquise. Puis, un instant après, elle ajouta avec un air plus contenu, presque indécis : – Oui… mais il ne croira pas moins que c’est moi.
– Il ne le croira pas longtemps… Je serai un peu plus charitable que cela, madame la marquise.
– Vrai, bien vrai, son erreur ne se prolongera pas ?
– Non.
– Et tout sera perdu… fors l’honneur…
– Fors l’honneur…
– Allons, je me risque… Savez-vous, continua la marquise, pourquoi votre idée me plaît, c’est parce que tout en triomphant de de L’Épône, nous nous montrons généreuses envers lui.
– Oh ! je suis loin d’y prétendre. Je vous rends trop justice pour cela.
– Oh ! quelle folie nous allons faire !
– C’est peut-être vrai ; mais les femmes ont si peu de ces sortes de privilèges dont les hommes, par contre, abusent tant !…
– C’est la première fois que je me risque dans une affaire aussi compliquée… Je ne me sens pas toute l’assurance qu’il faudrait peut-être…
– Ne craignez rien : sur vingt aventures, chère marquise, dans lesquelles une femme s’engage, c’est à peine si une seule est divulguée…
– Vous croyez !
– J’en suis sûre.
Les évènements, comme on a vu, n’avaient nullement justifié les assurances données par mademoiselle Hus à la marquise. Non seulement de L’Épône avait été indiscret, mais roué. La marquise se fût peut-être mise au-dessus de ce petit scandale, si ce n’avait été pour Juvisy, aux yeux de qui elle souffrait de paraître légère de conduite, lorsqu’elle ne l’était que d’espièglerie.
– Qu’ai-je fait ? Qu’avons-nous fait ? dit-elle à mademoiselle Hus après qu’elle eut entendu d’elle le récit de ce qui s’était passé dans la forêt de Sénart… Je suis bien punie de mon étourderie…
– Pour Dieu, chère marquise, ne prenez pas ainsi les choses… vous vous exagérez…
– Vous en parlez fort gaiement, vous, mignonne. Je le conçois… vous êtes à couvert… tandis que moi…
– Je ne le conteste pas… Mais enfin vous connaissez mon engagement vis-à-vis de vous, et mon courage saura s’élever aussi haut que les circonstances l’exigent… Nous verrons… En attendant, réfléchissons ; l’affaire en vaut la peine.
– Si nous faisions seller nos chevaux, nous irions parcourir la forêt… Le cœur vous en dit-il ?
– Oui, madame la marquise, je ne demande pas mieux… Le grand air suggère des idées, et puis, n’est-ce pas ? Nous nous approcherons le plus possible du château de Soisy…
– C’est un charmant projet que vous avez là ; je n’y songeais pas. Je vais sonner et donner des ordres.
Quelques moments après cette conversation, madame la marquise et mademoiselle Hus, suivies de deux valets, sortaient à cheval de la cour du château.
L’aventure que le vicomte de Juvisy avait essayé de nouer avec Galande n’avait été qu’une détermination prise dans le dépit de son amour blessé. Il eût trouvé cette jeune fille de village d’un très haut goût, s’il n’avait été sous l’impression d’un désenchantement à l’endroit de la marquise. Aussi ce n’était pas à la charmante Galande qu’il avait pensé pendant toute la nuit. Il était sorti de son lit non comme un homme de vingt ans, affriandé par un rendez-vous pris pour le soir même avec une jeune fille vive, avenante et passablement romanesque : il était sombre et pâle comme un jaloux qui a veillé et prémédité ses vengeances. Toute la journée se passa pour lui en de creuses rêveries et de solitaires promenades. Par boutade, son esprit se reportait sur le souvenir de Galande, et il se maintenait dans ses projets de séduction, afin que la chose fît du bruit. Pour commencer à occuper la renommée de ses hauts faits, il avait mis son valet de chambre dans sa confidence. Il lui avait parlé de sa fantaisie pour Galande, de ses projets sur elle, sans oublier surtout le rendez-vous aux futaies de la Mare.
Les heures de cette journée s’écoulèrent comme le temps passe pour un malade. Elles furent tristes et d’une longueur mortelle. Personne ne vit Juvisy. Monté à cheval, il se mit à parcourir les bois et les champs presque au hasard. Il dîna dans une auberge de Brunoy, et, à la tombée de la nuit, il chevauchait dans la forêt de Sénart. C’était par une belle soirée venue à la suite d’une belle journée chaude de l’automne ! La voix du pigeon ramier jetait aux bois ses adieux du soir, le bruit de la cigale sous les buissons et le clairon éloigné des vaches qui regagnaient leur chaumine, passaient aux oreilles de notre promeneur sans qu’il les entendît. Tout en chevauchant, il aspirait à pleine poitrine les odorantes émanations de la flouve et des feuilles vertes avivées par la chaleur du jour.
Il était nuit close quand il arriva sous les futaies où Galande devait le joindre.
Il y a des sentiments et des idées pour chaque lieu. Il est impossible qu’un jeune homme de vingt ans se trouve dans un carrefour de bois bien isolé et enveloppé des ténèbres de la nuit, ces ardents et mauvais conseillers des sens, qu’il attende une femme jeune, jolie, admirablement tournée, sans éprouver un frémissement de volupté dans lequel toutes ses autres préoccupations disparaissent ; le platonique amant de la marquise s’évanouit en lui, dans ce moment, pour faire place à la vérité du jeune homme.
– Vous voilà, Galande ! s’écria-t-il, vous si charmante… C’est bien à vous d’avoir été exacte.
– Je suis presque tremblante… Il fait si sombre, et j’ai eu peur d’être vue.
– Vous n’avez pas attendu, n’est-ce pas ?
– Cinq minutes au plus… mais, vous voyez, je ne suis pas seule…
Galande, debout contre un chêne, avait à ses côtés le chevreuil de la veille.
– Dieu me pardonne ! c’est notre sauvé d’hier, dit Juvisy.
– Lui-même.
– Il fait donc sa demeure habituelle dans ce canton ?
– Oui, dans cette saison et en hiver seulement : les coteaux et les rochers qui sont là derrière le mettent à l’abri du vent et du froid.
– En vérité, si je croyais à la métempsycose, pensa Juvisy, je dirais que ce chevreuil renferme l’âme de quelque artiste sentimental amateur de jolies filles, et qu’il est amoureux de vous.
– Amoureux ! s’écria Galande, cela me donnerait une bonne idée des amoureux, car il n’y a rien de plus soumis, de plus doux que ce pauvre chevreuil. Il est reconnaissant, voilà tout.
– C’est bien, c’est bien. Allons, mon gentil petit animal, retire-toi maintenant ; va-t’en, fit Juvisy au chevreuil, qui s’éloigna.
– Chère Galande, reprit-il, je n’ai pas dormi de toute la nuit dernière. J’ai pensé à vous, à votre avenir, à notre amour… Voici le premier gage d’un attachement qui ne vous faillira jamais… Cette chaîne vous ira à merveille.
– Oh ! Pourquoi ce cadeau ?
– Parce que donner à qui l’on aime est le premier bonheur. Cette chaîne est d’un or bien travaillé, et le fermoir est un fin rubis.
– Un rubis, qu’est-ce donc ? Quel malheur qu’il ne fasse pas assez clair pour que je voie !
– C’est une pierre précieuse, de grande valeur et de couleur rouge.
– Je n’oserai pas porter un pareil bijou.
– Gardez-le toujours, vous vous en ornerez quand vous serez à Paris ; car vous viendrez à Paris, n’est-ce pas ?
– Je ne sais pas encore.
– Oh ! si fait… Voyons, chère Galande, dit Juvisy en passant son bras autour de la taille de la jeune fille, voulez-vous m’aimer ?
– Mais je ne puis dire encore…
– Il n’y a que la bonne volonté qui vous manque, essayez de l’avoir.
– Mais…
– Eh bien ! M’aimez-vous, dites ?…
Et Juvisy tenait Galande dans ses bras ; elle se défendait de ses entreprises, mais sans pruderie.
– Modérez-vous, monsieur de Juvisy… Plus tard…
– Non, non, pas plus tard. Mais que diable… Qu’est-ce donc ? s’écria tout à coup Juvisy en faisant un soubresaut et après avoir senti un corps dur qui le tapait dru et ferme par-derrière. Dieu me pardonne ! C’est cet indiscret de chevreuil… Mais c’est qu’il ne ménage pas ses amis, le gaillard… Eh bien ! Sauvez donc les gens pour qu’ils vous rendent de pareils services… C’est par trop fort aussi, continua Juvisy, qui, se saisissant de son fouet de chasse, le fit claquer et mit une bonne fois en fuite le malencontreux animal.
L’incident ne manquait pas de comique ; Galande ne put s’empêcher d’en rire. Juvisy, jeté par là bien loin de ses idées de tout à l’heure, se hâta de se remettre du trouble bien naturel qu’il éprouvait.
– Reprenons, chère Galande, notre conversation si mal à propos interrompue… Oui, Galande, je vous aime de plus en plus… Quelle taille divine que la vôtre !… quel délicieux son de voix !… Voyons, chère, quelle condition mettez-vous à votre amour ?… Parlez… Oh ! Tu me feras perdre la tête à force de te trouver charmante. Et ce disant, il appuya ses lèvres sur les lèvres de Galande.
– De grâce, retenez-vous, dit-elle en se débarrassant de son étreinte, c’est trop… Je ne vous dis pas que je vais me fâcher ; mais, assez, assez…
– Tenez, Galande, acceptez encore cette bague… Ce sera en souvenir du premier b****r que je vous ai pris. Mais qu’est-ce donc encore ? s’écria tout à coup Juvisy. Cette fois, ce n’était plus les andouillers du chevreuil dont il sentait les impertinentes atteintes ; c’étaient, à travers le feuillage de la forêt, de vives lumières qui s’avançaient aussi vite qu’un galop de cheval.