Le monsieur posa ensuite sa tête sur ma poitrine en éclatant de rire. Puis, murmura à mon oreille, « Ce n'est rien. Tu es la bienvenue. » J'étais tétanisée par ses rides, témoins des nombreuses histoires qu'il avait vécues bien avant ma naissance.
Mon dégât, ma peine et ma déception, je n'arrivais que difficilement à les cacher. Mais les hommes peuvent-ils le remarquer ? Si même un parent n'arrive pas à faire la différence entre une larme et les dégâts d'un oignon sur la face de son enfant, que peuvent bien discerner des étrangers ?
Ah, que j'avais mal. À ce moment, je repensais encore à ces nuits où j'avais de l'espoir. J'avais foi et les cris de ma mère ne me dérangeaient guère. Or, à présent, je me retrouvais enceinte d'un homme qui m'avait forcée et destinée à une vie pénible.
Chacune des filles baladait ses mains sur les messieurs autour de la table. Ainsi, je devinais ce qu'elles faisaient de leur vie. Mais avais-je encore le droit de juger cela, lorsque moi-même, je m'apprêtais à commettre l'irréversible ?
« Que veux-tu boire, ma princesse ? » Chef se penchait vers moi. « Et s'il te plaît, tutoie-nous. »
« Je ne m'y connais pas vraiment en alcool. Je te laisse choisir pour moi. »
Je voulus fuir à cet instant. Mais où pouvais-je bien aller ?
Il y avait sur la table blanche plusieurs seaux de bières, dont deux contenant du champagne. Chef en sortit une bouteille avec des écritures vertes puis prit son verre et le remplit pour moi.
« Je buvais de la bière. » Il me le tendit.
D'une main tremblante, je le pris, ensuite le vidai d'un coup, désirant que l'être en moi s'efface et que ma vie redevienne normale. Peut-être qu'alors, j'aurais pu de nouveau courir à la maison et dire que les esprits avaient parlé du futur et que pour l'instant, il n'y avait rien.
Mais des rires me ramenèrent à la réalité. « Doucement... », disait Chef, tandis que les autres me regardaient en se moquant.
Un rocher invisible traversa ma poitrine et un son horrible sortit de ma bouche. Je rôtai, contente que la musique ait de justesse cachée mon geste impoli. Une nausée rapide dansa sur le bout de ma langue, mais malgré cela, je refusai de renoncer à la soirée.
« Au fait... », parlait de nouveau l'homme se tenant à ma droite. « Moi, c'est Charles. » Et il me servit de nouveau, pendant que je sentais ma tête cogner violemment.
« Angélique », dis-je en posant ma main sur sa cuisse, affrontant enfin mes peurs. Une vague chaude quitta mes orteils et pinça mes cils. Mes doigts suaient et mes orteils se frottaient les uns contre les autres.
Je souriais ensuite, me créant un caractère. J'enclenchai les verres plus tard, même si cela n'arrivait pas à me faire perdre le fil de mes soucis.
Deux des filles se levèrent ensuite et celle qui avait la silhouette mince, très élancée, ressemblant à un pur top-modèle, me mena sur la piste.
Je me retrouvai entre elles, lorsque la fille au teint clair me dit, « Ça se voit que tu n'as pas l'habitude. Lâche-toi. Nous non plus, on ne connaît pas ces mecs, on veut juste boire. » Et je suivis donc leurs pas, laissant le péché me consumer.
À ce moment, je sentais le monde autour de moi pivoter. La musique devenait de plus en plus forte. Mais mon corps n'abandonnait pas ce combat. Pourtant, la fille noire me tira vers les vestiaires. « Moi, c'est Chantal. » dit-elle en fermant la porte.
Alors qu'elle fouillait dans son sac à main, je me mis à genoux. « J'ai envie de vomir. » tête sur la cuvette.
« Je sais. Tiens. C'est pour ça que je t'ai emmenée ici. Le citron va t'aider. »
Et je suivis exactement ce qu'elle me disait de faire. Elle me mit même les doigts dans la gorge afin que je vomisse.
Un frappement se fit ensuite entendre.
Chantal ouvrit la porte et on entendit, « Coucou, c'est Béatrice. » Déclarait-elle, « Ça va ma puce ? » révélant la silhouette de celle qui dansait à nos côtés.
« Oui, désolée. Je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Angélique. »
« Quel joli prénom. Que fais-tu ici ? »
« Vaut mieux pas que je vous le dise. » Je répondais, les fesses collées au sol, mon corps exténué.
Béatrice, posa sa main sur la hanche, « Vas-y ! Parle-nous. » Ses sourcils froncés me rappelant son regard interrogateur qu'elle me fit quelques instants plus tôt.
« Je cherche juste un homme qui va me donner un peu d'argent afin que je prenne le train pour me rendre à la capitale. »
« La capitale ? » Les deux s'exclamèrent.
« Oui, à ClaireVille. »
« La capitale ? » Chantal reprit, « As-tu de la famille là-bas ? »
« Non... » mon esprit se concentra dans le vide, pendant que je récitais, « mes parents m'ont chassée. Je ne connais aucun autre membre de ma famille à part eux. Donc, au lieu de rester dans ce village qui de toute façon ne m'acceptera plus, je préfère m'en aller. »
Et alors que je voulais encore prononcer un mot, une voix gronda. « Les filles, on rentre ! » Nous faisant constater que la musique s'était arrêtée et que seules les causeries des clients tardifs encombraient les environs.
Je levai mon regard et fixai Chantal et Béatrice, qui répondirent, « D'accord, on arrive. Retouche maquillage ! »
« À cinq heures du matin ? » La voix de Charles s'agita.
« On arrive ! » ajouta Chantal.
« D'accord. »
Après un moment de silence semblant expliquer qu'il s'était effacé, Chantal poursuivit, « Je veux te suivre. »
« Moi aussi. » ajouta Béatrice.
« Vous êtes sûres ? »
« Oui... je rêve de plus grands. » expliquait Chantal, « Ça fait longtemps que je me prostitue dans le village mais je ne gagne pas autant qu'une de mes cousines de la ville. » Puis, elle ouvrit de nouveau son sac à main et en sortit un couteau suisse. «Au cas où tu es en danger.»
Je le pris, les mains tremblante, le cachant dans mon soutien gorge.
Ensuite, en me levant, je chuchotais, « Ok... », appuyant mes mains sur mes genoux. « Il est temps d'aller prendre tout ce que ces hommes ont dans leurs poches et de partir pour une nouvelle aventure. » Les yeux se fonçant de noirceur.