La climatisation, qui semblait avoir un réglage capricieux, s'arrêta brusquement. La fumée du cigare caressa mes cils, son odeur me provoquant une grimace.
«Qu'est-ce qu'il y a?» Monsieur Ben, les bras reposant sur les accoudoirs de sa chaise, murmura. «Tu détestes cette odeur, n'est-ce pas?»
«Non...» répondis-je nerveusement, tandis que Béatrice se tourna vers moi, son regard perçant. «Je ne suis juste pas habituée aux coutumes de la ville.»
Il éclata de rire, un son qui fit vibrer son corps, puis écrasa son cigare dans le cendrier.
«Vous n'aviez pas à le faire,» s'exclama Béatrice. «Angélique ! Excuse-toi.»
«Je suis—»
Monsieur Ben leva la main, ses bagues en or étincelant. «Ce n'est pas grave. Je fume trop, selon mon docteur.» Il poursuivit, «Par qui commençons-nous?»
Béatrice s'excita grandement. «Moi ?»
«Vas-y... qu'attends-tu de la ville et de la vie ?»
«Monsieur Ben, vous avez déjà été une bénédiction pour nous. Je cherche un époux, un homme qui saura prendre soin de moi et me donner des enfants.»
«Humm...» fis-je en me remémorant ses paroles.
Monsieur Ben s'enfonça de nouveau dans son fauteuil, me regardant avec curiosité. Béatrice se tourna vers moi, «Qu'est-ce qu'il y a?»
« Rien... c'est fascinant de voir que tu as encore de l'espoir dans ce domaine...» Mon visage se ferma. «Je suis désolée, mon intention n'était pas de te blesser.»
«Chantal ?»
«Moi ?» Des larmes brillaient dans ses yeux. «J'ai déjà perdu ce que je désirais le plus au monde.»
«Angélique ?»
«Vengeance...» murmurai-je. «Envers la vie.»
Monsieur Ben poursuivit, «J'ai l'impression que la vie ne vous a pas fait de cadeau.»
«À qui en fait-elle?» répliquai-je. «Dites-moi.»
«Tu as raison...»
«Un enfant... un enfant pourrait être blessé à mort et se tourner contre un mur pour pleurer parce qu'il a honte de montrer ses larmes. Le monde ne choisira que de voir son dos au lieu de tenter de le consoler. Le monde fermera les yeux sur sa peine parce qu'il est lâche et assoiffé.»
«N'est-ce pas ce que tu t'apprêtes à faire ?» demanda Béatrice, baissant les yeux vers mon ventre.
Mon corps trembla. Monsieur Ben resta silencieux. Je répliquai, «Je ne fais que reproduire le traitement que j'ai reçu. Un enfant est si naïf qu'il pourrait penser que même le dos au mur... son ombre montrerait sa peine et les gens autour réagiraient. Pourtant, l'ombre n'existe pas... son vrai visage est la mort. C'est un signe qu'elle marche près de nous chaque jour. Il n'y a aucune joie à se faire poursuivre ou à être confronté à elle.»
«Angélique...» reprit Chantal, «nous sommes ici pour chercher une nouvelle vie... oublie ton passé.»
«Efface-le de ta mémoire.»
«Bien sûr... il ne me reste que peu de choses pour complètement l'oublier. » Nos regards à toutes se croisèrent.
«Peu importe...» dit Monsieur Ben. «Ici, en ville, tout est possible ! Je vais vous aider !»
Il me prit par la main, et je bougeai la tête de droite à gauche, consciente que la vie était compliquée pour nous. «Dans les villages, vous vivez sous des contraintes qui oppriment les femmes, mais ici, vous pouvez devenir ce que vous voulez. Vous pouvez marcher sur les hommes,» ajouta-t-il. Je le regardai avec admiration en disant, «C'est la première fois qu'un homme me parle ainsi.» Ensuite, je souris.
«J'ai des propositions à vous faire. Pour l'instant, mettez-vous à l'aise et laissez-moi appeler la servante pour vous montrer vos chambres.» Il appela, «Suzanne!» Et des pas rapides exposèrent la silhouette d'une dame d'un âge avancé.
Elle était presque aussi petite que moi, dodue et portant des lunettes. Suzanne nous observa, se baissa en murmurant, «Monsieur, vous m'avez demandée ?»
«Oui... emmenez ces jeunes dames dans les chambres d'invités.»
Elle se releva, le chapeau restant sur sa tête. «Mesdemoiselles,» nous dit-elle en nous montrant le chemin vers l'escalier.
Devant elle, nous marchâmes. À chaque porte, elle indiquait la chambre de chacune d'entre nous. Arrivée devant une porte blanche, elle murmura, «Enfin... Voici la vôtre.» Elle tourna la clé dans la serrure.
J'entrai dans la pièce, et une bouffée de chaleur effaça la chair de poule sur ma peau. «C'est la plus belle des chambres pour invités,» dit-elle en se tournant vers moi. À cet instant, je remarquai, «je n'ai pas encore vu clairement votre visage.»
«Je n'ai pas encore vu clairement le vôtre non plus.»
«Levez donc les yeux... et vous me verrez.»
Elle leva la tête et nos yeux se croisèrent. D'une voix douce, elle expliqua, «Ce n'est pas de ce visage-là dont je parlais.» Un silence lourd s'ensuivit.
La tension dans la pièce était telle que des larmes envahirent mes yeux.
«Je vais vous laisser maintenant. La douche est derrière cette porte et il y a là-bas tous les produits de base dont vous aurez besoin.» Elle sourit, puis tourna le dos en s'en allant.
J'avais levé le bras pour essayer de la retenir, mais sa silhouette était déjà loin. Et de mes lèvres, n'arrivait à sortir aucun mot. Bien qu'en elle, je percevais une lumière qui m'attirait, une oreille attentive qui me donnait envie de parler, de crier, et d'expliquer pourquoi je haïssais la vie, le dégoût me rattrapa rapidement après son départ. En effet, encore une fois, une porte se fermait, me laissant seule. Je fronçais donc finalement les sourcils, convaincue qu'elle était simplement comme ma mère.
Mes jambes m'amenèrent jusqu'au lit. Je m'assis et le matelas rebondit sous moi. Ma main caressa le drap en lin alors que je chantonnais, «Petit papillon, tes ailes sont ta liberté. Elles t'emmènent loin, ici et là. Cependant, les géants de ce monde pourraient construire des pièges que tu confondrais avec des rêves pour te capturer. Petit—»
«Ils te couperont les ailes, sans même te tuer, parce que ta souffrance est comme du vin sur leur langue.»
Je me retournai, me levant brusquement. «Vous... vous connaissez ce chant ?» demandai-je, voyant Monsieur Ben.
«C'était la chanson préférée de ma fille.»
«C'était ?» demandai-je, intriguée.
Monsieur Ben ferma la porte derrière lui, se dirigea vers le lit, s'assit à côté de moi, et, voyant ma réaction, murmura, «Ne t'inquiète pas, je ne te ferai aucun mal.»