Prélude
Prélude
Connaissez-vous rien de plus désagréable à entendre qu’un orchestre qui cherche l’accord ?
Vous êtes sous le charme ; la symphonie pastorale vient de finir. Vous vous faites une fête d’entendre le menuet de la symphonie en si bémol, de Haydn, ou l’ouverture d’Oberon. Mais voilà, tout à coup, une clarinette qui prélude. Un basson part à la recherche du la. Un trombone les suit, entraînant et le quatuor des instruments à cordes, et la meute nasillarde, des instruments à anche, et les cors, et les trombones !… Le timbalier lui-même roucoule un aparté. Jamais charivari prémédité n’a rien réalisé d’aussi hideux. Ce moment de transition est abominable à passer.
En morale comme en politique, dans les arts comme dans les sciences, voilà où nous en sommes. Nous cherchons tous ce diable de la, sans parvenir à nous mettre d’accord. L’avenir nous prépare des paradis, je veux le croire ; toujours est-il que nous traversons depuis quelques années la période des grincements de dents.
Famille, société, amitié, amour, camaraderie, tous les liens bons et féconds ont été limés par l’esprit de blague. Nous sommes en route ; cela seul est certain.
Ou allons-nous ? – Tout le monde l’ignore.
Pourquoi sommes-nous partis ? – On se le demande.
Avançons-nous ou reculons-nous ? – On n’a jamais pu savoir.
Quand arriverons-nous ? – Dieu seul le sait.
Dieu le sait-il ? – Cela se discute.
Y a-t-il un Dieu ? – Qui oserait l’affirmer ?
Vous êtes athée ? – Je m’en garderais bien.
Croyant, alors ? – Je n’en sais trop rien.
Et nous continuons à tâtons le voyage, titubant au-dessus d’abîmes sans fond, en équilibre sur un fil d’araignée assez mal tendu, par parenthèse, avec notre seule conscience pour balancier.
Est-ce à dire que tout soit mauvais, que tout soit pire ? Tant s’en faut ! Seulement chacun joue un solo de sa façon et entend que l’orchestre entier l’accompagne.
On ne fait pas comme cela de bonne musique.
J’ai mis dans ce volume des fragments de ce qui s’est exécuté dans tous les genres depuis cinq ou six ans. J’ai laissé de côté la politique, par exemple ! Vous m’en saurez gré, si vous avez les nerfs tant soit peu délicats. Vous trouverez du pathétique et du burlesque, de la vertu souriante et du vice écœurant. Seulement, l’un après l’autre, cela vous paraîtra moins discordant.
Suivant que vous serez de bonne ou de méchante humeur, vous choisirez tel ou tel chapitre. Tout est classé de façon à vous éviter les surprises trop désagréables.
Cela dit, je donne le signal. Le charivari commence.
Symphonie pastorale