Chapitre 2-5

2022 Words
Elle lui avait souri. — Mon poète… Tu ne serais pas en train de me demander de t’épouser ? — Uniquement si tu me dis oui… Les yeux d’Ellah s’étaient remplis de larmes. — Tu me promets que tu ne m’abandonneras pas… — Jamais, je te le jure. Elle n’avait pas accepté. Pourtant, il espérait avoir ouvert une brèche dans son refus… Presque rassurée, Ellah avait continué à croire en la vie, au bonheur aussi et au fait qu’il se poursuivrait indéfiniment, même si, de temps à autre, la crainte de tout perdre refaisait surface, comme une ombre noire qui, elle, ne s’effacerait jamais tout à fait. Puis le travail avait commencé et, sans fuir, Kerryen avait accompagné sa femme, l’encourageant, la soutenant face aux douleurs de son corps et vivant avec émotion la venue, au cœur de la nuit, de leur fille, son deuxième plus grand amour après sa maman, un petit être fragile criant son arrivée à pleins poumons avant de se calmer, peau contre peau, sur Ellah. Un homme en restait-il toujours un quand la joie lui arrachait une larme ? À tous égards et plus encore, car il démontrait sa merveilleuse sensibilité. Alors qu’il pensait au prénom de sa mère, il avait malgré tout demandé : — Comment veux-tu l’appeler ? — Amylis… — Mais d’où sors-tu cet étrange prénom ? La question avait laissé Ellah sans voix. Ce prénom surgi de nulle part s’était imposé, comme le souvenir d’une amie très chère qu’elle aurait pourtant oubliée. Elle s’était troublée. — C’est celui… — Oui… — Non, rien… — Ellah, avait-il insisté. — C’est celui d’une fée… — Tu te moques de moi ? avait-il rétorqué en riant. Mais, immédiatement, il avait compris que tel n’était pas le cas et son sourire avait aussitôt disparu. — Il est important pour moi…, avait-elle continué. — À ce point ? Elle avait hoché la tête, alors que son regard déviait vers son bébé avant de revenir vers lui. — Il est fait pour elle sans que je puisse t’expliquer pourquoi… — Tu ne le trouves pas un peu long ? — Alors nous l’appellerons Amy ! S’il te plaît… Kerryen avait réfléchi un instant avant d’ajouter : — Finalement, j’apprécie cette sonorité. Et puis, avantage indéniable, jamais une autre demoiselle du Guerek ne portera le même ! — Tu crois ça ? Tu vas voir, je te le prédis, les Amy vont fleurir dès que les habitants en entendront parler ! Puis, soudain, elle avait éclaté de rire, et il l’avait contemplée avec amour. Ce matin-là, auprès de sa femme et de sa fille, il avait admis que sa vie ne serait jamais plus belle qu’avec elles et s’était promis encore une fois que rien, non rien, jamais, ne détruirait plus leur avenir. Amy endormie dans son lit, Ellah s’apprêtait à rejoindre Tournel et Béa quand une voix qu’elle reconnut immédiatement l’appela du couloir. Aussitôt, la porte s’ouvrit avec énergie. Finalement, Adélie concurrençait sa tante en oubliant de frapper. Levant ses yeux vers elle, la reine découvrit la sœur de Kerryen totalement bouleversée. — Ma chérie, que t’arrive-t-il ? demanda-t-elle. — Allora s’en va ! Définitivement ! — Oui, elle me l’a annoncé. Je suis désolée pour toi, car je sais combien tu l’aimes. — Elle ne peut pas partir ! — Je comprends à quel point cette nouvelle peut te toucher. Viens dans mes bras. Adélie obéit et se retrouva lentement bercée par Ellah. — Elle est mon amie… Enfin, je le croyais, murmura-t-elle. — N’en doute pas, tu comptes beaucoup pour elle. Souviens-toi de toutes les fois où elle t’a conviée chez elle, heureuse de profiter de ta compagnie et de partager son temps et ses centres d’intérêt avec toi. — Mais, alors, pourquoi nous quitte-t-elle ? — Tu veux vraiment que je te donne la réponse ou tu la trouves toute seule… Adélie se renfrogna. — Oh… À cause de Kerryen… Finalement, il aurait mieux fait de l’épouser. Comme ça, elle serait restée ! Ellah émit un petit rire. — Merci beaucoup ! Une femme chasse la suivante ! — Excuse-moi ! Je ne souhaitais pas te blesser, mais je me sens si triste de son départ. — Ce n’est rien, ma douce. J’entends ton chagrin et, pour te rassurer, si je ne peux pas affirmer qu’il se dissipera rapidement, je serai présente quand tu auras besoin de moi… — C’est gentil. Dis, est-il possible d’avoir un mauvais pressentiment sans magie ? Ellah retrouvait bien là les humeurs changeantes d’Adélie, la jeune fille glissait d’un extrême à l’autre en une fraction de seconde. — Pourquoi ? — Je me souviens à quel point elle est dangereuse pour moi et respecte strictement tes consignes. Mais, parfois, je ne sais pas trop, elle est là, tout près… Est-ce que tu me comprends ? La reine hocha la tête. Elle ne saisissait que trop bien ce qu’Adélie cherchait à exprimer. Elle aussi, après l’attaque et son abominable c*****e, l’avait écartée. Depuis son réveil dans la forteresse, cette entité lui était toujours apparue comme une alliée volatile. Si, un jour, Ellah l’avait contrôlée, ce temps appartenait au passé… Naturellement, celle-ci lui avait offert d’incroyables pouvoirs pour contrer l’armée de Césarus, mais elle l’avait également entraînée à tuer tellement d’hommes qu’elle ne parvenait pas à l’oublier. Chaque jour, elle luttait pour se donner bonne conscience, argumentant pour se prouver qu’elle avait agi dans un but louable, mais, de ce combat quotidien, jamais elle ne ressortait ni convaincue ni apaisée. Souvent même, elle s’épuisait… Tout au fond d’elle-même, elle conservait la sensation profonde qu’elle aurait dû les sauver et qu’elle avait échoué à y arriver ; elle devrait vivre avec ses remords. Si les nouvelles voyageaient lentement jusqu’à Orkys, après la victoire sur l’empereur, certaines avaient tout de même atteint la cité. À l’origine de ce triomphe contre lui se trouvait l’alliance entre cinq nations : Wallanie, Avotour, Estanque, Épicral et le pays Hagan, avec un autre pour une faible part, mais elle ne s’en souvenait plus. Ah si… Le Faraday, peut-être. Une dame blanche auréolée à présent d’une légende fabuleuse aurait tué Césarus, libérant parallèlement tous ceux qu’il avait enrôlés de force dans ses armées. Voilà qui elle aurait dû être, cette femme ! Mais elle n’était toujours personne ou presque… Et le passé ne pouvait être corrigé, malheureusement. — Tu ne dis rien ? demanda Adélie. — Je réfléchissais. Je ne cherche pas à t’interdire la magie, je connais son importance pour toi, combien elle t’a accompagnée dans les moments difficiles de ton existence, mais je reste persuadée qu’elle causera ta perte et je désire simplement te protéger d’elle, rien de plus. Tu comptes tellement pour moi… Frissonnant, elle resserra son étreinte autour de la nièce d’Inou. Malgré le temps écoulé, sa crainte persistait. En raison de cette entité ou de la façon dont elle en userait, Adélie périrait. Si elle ignorait de quelle manière, la porte lui avait clairement indiqué cette inéluctable fin. À présent, grâce à sa mise en garde contre celle-ci, était-elle parvenue à infléchir le destin de la jeune fille ? Adélie échapperait-elle à cette mort si injuste ? Ellah ne s’expliquait pas pourquoi la vie de celle-ci pourrait basculer à ce point. La sœur de Kerryen se montrait d’une nature vraiment charmante, certes un peu inconstante, mais souriante, pétillante aussi, animée par un enthousiasme communicatif et des rêves plein la tête dont la plupart concernaient le trésor du sous-sol de la forteresse. Lui vouant une passion dévorante, Adélie passait une partie de ses journées à imaginer des récits merveilleux dont elle renouvelait sans cesse le contenu pour l’adapter toujours plus à ses désirs. Depuis l’arrivée de la combattante, son intérêt décuplé, elle descendait régulièrement lui rendre visite, poussée par l’espoir de voir les ondes se réveiller, ce qu’Ellah refusait tout simplement d’envisager. En effet, cette porte inerte depuis tellement d’années ne l’avait propulsée au Guerek que par erreur, un accident dans son fonctionnement en somme. Voilà la raison pour laquelle le jour de la naissance d’Amylis, persuadée que la magie était responsable de son sort, elle avait promis à son bébé que plus jamais elle n’userait de ses pouvoirs, même pour une bonne cause. À partir de ce jour et jusqu’à son dernier souffle, elle demeurerait une femme normale, l’épouse d’un roi peut-être, mais éloignée d’elle le plus possible. Ainsi, son enfant pourrait grandir en paix et les tourments que cette entité répandait sur le monde comme une maladie contagieuse ne passeraient plus par elle. Soudain, les éclats de voix qui résonnèrent dans le couloir tirèrent Ellah de sa réflexion. S’ensuivit le tintamarre d’un objet métallique rebondissant doublement, d’abord contre le mur, puis sur le sol. Aussitôt, Amy se réveilla et hurla. Sa fille de nouveau dans les bras, Ellah tenta de l’apaiser, tandis qu’elle sortait dans la chambre pour découvrir le coupable. — Amaury ! s’écria-t-elle. Son ami se figea, alors qu’il se baissait pour ramasser un chandelier à terre, son regard se posant sur le bébé qui pleurait. Il se redressa. — Je suis vraiment désolé. Ce n’est pas moi, c’est… Enfin, c’est un accident, il est tombé… — Bon, plaisanta Adélie, je vous laisse régler vos comptes. J’annonce à Béa et Tournel que tu arrives dès qu’Amy sera rendormie ! À tout à l’heure ! La reine continua de calmer l’enfant de sa voix, tandis que la sœur de Kerryen s’éclipsait d’un pas dansant. L’ironie de la scène ne lui avait pas échappé et la ravissait. Que les hommes pouvaient être bêtes ! Sauf son frère naturellement… — Tu viens et tu m’expliques, gronda Ellah en rentrant dans sa chambre. Et tu fermes doucement la porte derrière toi. À peine à l’intérieur de la pièce, son ancien partenaire s’assit sur une chaise pendant qu’Ellah berçait lentement Amy dont les pleurs s’amenuisaient peu à peu. — Je te renouvelle mes excuses, murmura-t-il pour ne pas risquer de déranger le bébé. C’est de ma faute. Je crois que je ne comprends rien aux femmes… — Est-ce Mira qui t’a balancé le chandelier à la tête ? — Oui… Depuis que je suis presque devenu le bras droit de Kerryen… Il se statufia sous le regard peu amène d’Ellah, dont les sourcils s’étaient froncés explicitement. — Et le tien… D’accord, que le tien… Donc, je disais, toutes les filles me tournent autour ! Qu’est-ce que j’y peux si mon charme fait des ravages ? — Mon cher Amaury, loin de moi l’idée de remettre en question ta séduction naturelle, cependant, je me demande si ta belle solde n’attire pas plus ces demoiselles que ton joli petit c… Elle s’arrêta un instant avant de continuer. — Enfin, en bref, tu devrais peut-être un peu mieux trier tes nombreuses conquêtes. — Eh bien… Si je m’attendais à de telles expressions dans la bouche d’une reine. — N’oublie pas que celle-ci a passé plusieurs mois en immersion totale dans une garnison exclusivement masculine. Finalement, mon langage reste très châtié pour une combattante. Amaury poussa un soupir. — Tu as raison. Mais, prenons le cas d’Estia, je fantasme sur elle depuis l’adolescence. Elle ne cesse de me rôder autour, avançant des arguments auxquels peu d’hommes résisteraient. Que veux-tu ? Une liaison torride me tenterait bien… Sauf que le Guerek n’est pas tendre avec ceux qui profitent d’innocentes jeunes femmes. C’est bien la première fois que je regrette de vivre ici ! Autant de possibilités et l’interdiction du moindre faux pas, ce n’est pas juste ! Franchement, je testerais bien avant de m’engager définitivement. Mais si je m’aventure sur ce terrain, je suis mort, et Estia ne m’intéresse que pour quelques nuits, pas plus… — Et Mira ? — C’est différent. Un jour, j’arrive à l’approcher et je passe vraiment des moments agréables avec elle, et, le lendemain, elle redevient glaciale et m’envoie des piques blessantes rien que pour le plaisir. Elle m’énerve ! À quoi peux-tu prétendre avec une fille si lunatique ? — Et, là, que lui as-tu fait pour qu’elle t’attaque de façon aussi violente ? Amaury rougit légèrement. — Oh… Faut croire qu’elle était dans un de ses mauvais jours. Alors, comme elle m’agaçait, j’ai voulu lui clouer le bec… La pression des yeux d’Ellah augmenta sur lui. — Bon d’accord ! Je l’ai attrapée par la taille et je l’ai embrassée. — Tes baisers sont-ils si détestables que ça vaille la peine de te balancer un chandelier au visage ? — Oh hé ! Ne la ramène pas s’il te plaît, tu sais bien que non ! Soudain, il se souvint de la personne à laquelle il s’adressait. Il soupira à nouveau. — Excuse-moi… Je… — Nous parlions de Mira, Amaury, coupa-t-elle. — Disons que j’ai peut-être été un peu maladroit ensuite. Je lui ai demandé si elle était calmée, maintenant. Ellah, qu’est-ce tu fais ? La reine s’était levée et regardait autour d’elle. — Je cherche un deuxième objet à te jeter à la figure ! Attends, je pose Amy dans son berceau et nous poursuivrons la conversation dehors, je ne voudrais plus que l’écho d’une seconde dispute la réveille… L’instant d’après, ils se retrouvaient sur le balcon. Ellah reprit : — Est-ce que tu te rends compte que cette fille est folle de toi depuis le siège ? Voilà plus d’un an et demi qu’elle patiente en espérant que tu te déclares et se désole parce que, comme tu papillonnes à droite et à gauche en permanence, elle s’aperçoit bien qu’elle échoue à te retenir… — Mais je ne souhaite pas m’engager, c’est tout ! — Alors, dis-le-lui une fois pour toutes, mais arrête de jouer avec elle. — Mais c’est elle qui se montre désagréable ! Elle change d’attitude comme de chemise. Tiens, hier, elle était adorable, c’est vrai que, dans ces instants, je réalise qu’elle n’est pas si mal, plutôt mignonne et intelligente. Et, ce matin, c’est tout juste si elle ne m’arrachait pas les yeux ! Moi, je n’ai pas envie d’une femme si versatile, c’est tout ! — Et qu’as-tu fait la veille soir ? — Comment ça ? — Avec qui t’es-tu promené avant de retourner dans la tour ? — Si tu le demandes, ça doit bien être parce que tu le sais. — Oui, je le sais, ce qui signifie que tout le monde est au courant et elle aussi… Moi, à sa place, je t’aurais déjà étouffé avec mon kenda !
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