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Ceran-Pax, Planète Natale des Curizans
Ha’ven prit une profonde inspiration alors qu’il traversait en courant les chemins tortueux. Son objectif était d’atteindre ses quartiers et la chambre renforcée qui se trouvait dessous. Il jura quand il sentit une autre explosion d’énergie brûlante déferler à l’intérieur de son corps.
J’aurais dû retourner à mes quartiers il y a des heures, pensa-t-il sombrement.
Il trébucha et ralentit quand il approcha la bifurcation sur le chemin. Il scanna attentivement l’immense jardin qui séparait sa demeure de celles de ses parents et de ses frères. L’effroi l’envahit quand il réalisa qu’il ne parviendrait pas à rentrer à temps. Le déferlement en lui avait tant crû que l’effort qu’il devait fournir pour retenir la sombre puissance en lui le faisait haleter. Ses yeux se levèrent tandis qu’il s’arrêtait à l’embranchement, et il se retrouva à fixer le ciel dégagé de la nuit et à prier qu’un miracle se produise. Ses yeux le brûlaient alors qu’il se sentait perdre le contrôle.
Pourquoi ? demanda-t-il, en proie à une souffrance atroce et silencieuse. Pourquoi ne puis-je pas trouver un moyen d’exploiter la puissance létale qui s’est déchaînée lors de ma captivité ? Combien de temps vais-je devoir souffrir avant de perdre la raison ou de tuer ceux que j’aime ?
Les étoiles scintillaient, comme si elles se moquaient de lui et de son manque de sang-froid. Son corps vibrait de la puissance réprimée en lui. Il aurait voulu plus s’éloigner du palais, mais il avait été en réunion toute la journée et avait attendu trop longtemps. Il craignait à présent de ne pas être capable de contrôler l’excédent d’énergie qui s’était accumulé en lui comme dans un volcan resté endormi bien trop longtemps. Des couleurs tourbillonnaient autour de ses poings serrés et remontaient le long de ses bras. Il serra les dents, luttant contre l’énergie qui menaçait de le brûler de l’intérieur.
Il prit une inspiration irrégulière et balaya à nouveau les jardins du regard afin de s’assurer que personne ne se trouvait près de lui. Avec un grognement sonore, il se laissa tomber à genoux, desserra les poings et plaqua ses paumes contre le sol. Un frisson secoua sa haute et imposante carrure alors qu’il fermait les yeux. Il libéra les longs tentacules d’énergie qui tourbillonnèrent autour de lui avant de s’enfoncer brusquement dans le sol meuble. Le sol se tordit et gémit face à cette attaque. Un cri s’arracha de ses lèvres tandis que le puissant déferlement explosait hors de lui. Il savait que tout dans un rayon d’un demi-kilomètre autour de lui serait détruit s’il ne bridait pas le déferlement d’énergie qui s’échappait de son corps. Il haletait alors qu’il essayait de reprendre le contrôle et de réguler le flot, en vain. Il avait perdu le contrôle… une fois de plus. Il ne pouvait qu’espérer qu’il se trouvait assez loin de tout le monde tandis que la puissance en lui se libérait.
— Non ! rugit Ha’ven, ouvrant ses yeux brillants et les levant vers les étoiles. Non ! grogna-t-il à nouveau, serrant les dents tandis que la douleur envahissait son corps alors que l’énergie brute explosait hors de lui en des vagues ressemblants à celles causées par une énorme pierre jetée dans un bassin calme.
— Ha’ven ! cria son père d’une voix sévère. Concentre-toi, mon fils. Libère-la lentement. Tu peux le faire, dit Melek d’une voix plus calme. Je t’aiderai si tu n’y arrives pas.
Ha’ven émit un sifflement alors qu’il se battait pour contrôler les filins d’énergie tourbillonnante. Il sentit les b****s s’enrouler autour de ses avant-bras épais. Il prit des inspirations profondes et apaisantes, luttant pour vider son esprit et ne se concentrer que sur les b****s.
Fermant les yeux, il se concentra comme son grand-père le lui avait appris. Il imagina l’énergie s’enfonçant profondément dans le sol et nourrissant le jardin. Des b****s rouges et dorées s’entremêlèrent et s’enfoncèrent plus profondément dans le sol qui s’assombrissait. Il ne vit pas la nouvelle vie jaillir du sol, les arbres grandir, ou encore les vignes serpenter le long du sol luxuriant. Au moment où il crut avoir peut-être repris le contrôle, une autre vague le frappa plus fort et plus longtemps.
Ha’ven jeta la tête en arrière et rugit alors que des b****s d’énergie sombre explosèrent comme une supernova, rasant les nouvelles pousses et brisant les arbres comme des cure-dents. Les couleurs tourbillonnantes d’énergie s’estompèrent tout aussi rapidement, le laissant faible et malade. Il tomba en avant sur les mains et baissa la tête jusqu’à ce qu’elle touche presque le sol. Inspirant profondément, il lutta contre la faiblesse paralysante qui le menaçait. Se forçant à relever la tête, il regarda dans la direction d’où la voix de son père l’avait appelé.
Il refoula la nausée et regarda en arrière vers le chemin qu’il avait emprunté. Il poussa un soupir de soulagement quand il vit son père debout quelques mètres derrière lui. Il détourna le visage afin que l’homme qui n’était que récemment revenu dans sa vie ne puisse pas voir la honte qui s’y trouvait.
Se forçant à se redresser, il prit lentement appui sur ses talons jusqu’à ce qu’il se tienne droit, les mains sur les cuisses. Il continua à respirer profondément jusqu’à ce qu’il cesse de trembler.
— Tu n’aurais pas dû me suivre, cracha Ha’ven d’une voix sombre et rauque.
Il tourna à nouveau la tête pour jeter un regard noir au grand mâle qui baissait lentement les bras. L’éclatant bouclier que Melek avait levé commença à se dissoudre tandis que ses mains retombaient silencieusement le long de ses flancs.
— J’aurais pu te tuer, grogna Ha’ven en se relevant sur des jambes tremblantes.
— Tu aurais dû me le dire, dit Melek d’une voix bourrue en s’approchant de Ha’ven qui était à présent debout et raide.
Ha’ven regarda son père et grimaça de dégoût.
— Te dire quoi ? Que j’ai perdu le contrôle de mes pouvoirs ? Que je serai bientôt trop dangereux pour être gardé en vie ? demanda-t-il, dégoûté.
Melek mit une main sur l’épaule de Ha’ven.
— Je ne peux pas t’aider si tu ne me laisses pas le faire, répondit-il calmement.
Ha’ven resta figé un moment avant de hausser les épaules, résigné. Il regarda la destruction autour de lui. Il prit une profonde inspiration et se concentra, appelant l’énergie tout au fond de lui. Il la contrôlait, cette fois, lorsqu’il leva les mains. Il concentra l’énergie qui se trouvait autour et à l’intérieur de lui et envoya des flots sinueux en direction de la végétation détruite et broyée.
Melek regarda en silence les b****s tourbillonnantes atteindre les dégâts et ressouder les morceaux brisés. Le fait que son fils aîné ne puisse pas réparer son âme de la même façon le faisait souffrir en son for intérieur. Un regret amer le déchira à l’idée de ne pas avoir été là quand Ha’ven avait besoin de lui.
Une fois que Ha’ven eut fini de réparer les dégâts, il se tourna silencieusement et repartit en direction de ses quartiers. Il savait que son père marchait à ses côtés, analysant calmement ce qu’il avait vu. Une part de lui voulait fulminer et hurler à l’homme à côté de lui de le laisser seul tandis qu’une autre réalisait que cela n’arriverait jamais.
S’il y avait une chose qu’il savait à propos de sa famille, c’était qu’ils ne tournaient jamais le dos quand l’un d’entre eux avait des ennuis. Il n’était guère différent. Il avait envoyé ses deux demi-frères cadets, les jumeaux Adalard et Jazar, que tout le monde appelait Flèche à cause de sa passion pour l’archerie, accomplir des missions qui étaient censées assurer leur sécurité. Au lieu de cela, ils avaient tous les deux failli être tués par les assassins lancés à leur poursuite.
— Ha’ven, commença doucement Melek.
— Tu ne peux pas m’aider, l’interrompit abruptement Ha’ven avant de s’arrêter et de se tourner pour le regarder. Il n’y a rien qui puisse être fait pour me sauver, continua-t-il d’une voix plus basse. Ce qu’Aria a déchaîné me consume.
Melek étudia l’expression sombre sur le visage de son fils. La sienne s’assombrit aussi quand il repensa aux dommages qu’avait causé la perfide fille de son cousin. Aria était née dans la lignée de la Maison royale de Ceran-Pax, mais elle avait été tout sauf satisfaite de passer sa vie à être dorlotée. Elle était avide de pouvoir.
Aria s’était alliée à Ben’qumain, le demi-frère de Ha’ven, dans l’espoir d’évincer la famille Ha’darra du pouvoir. Ben’qumain était jaloux du pouvoir qu’avait son demi-frère aîné en tant qu’héritier au trône de Curizan. Simplement renverser la famille dirigeante de Curizan ne suffisait à satisfaire les deux traîtres. Ils avaient forgé une alliance avec Raffvin Reykill de Valdier et des rebelles dans le but de renverser également les d’Rojah, la famille dirigeante de Sarafin. Leur plan était simple : ils voulaient diviser les trois espèces les plus puissantes. Ils avaient réussi dans une certaine mesure.
Ils avaient minutieusement orchestré la Grande Guerre entre les trois espèces. Des milliers de membres de chacune des trois étaient morts inutilement. Melek se sentait coupable de ne pas avoir découvert ce plan plus tôt.
Melek mit une main sur l’épaule de Ha’ven pour empêcher son fils de se détourner de lui. Il savait qu’il ferait tout ce qui serait nécessaire pour sauver la famille qu’il n’avait été que récemment capable de revendiquer. Il ne perdrait pas à nouveau le moindre d’entre eux ; pas sa compagne adorée, Narissa, ni ses trois fils. Il avait rapidement revendiqué Adalard et Flèche à son retour.
— Il y a peut-être un moyen, insista Melek avec détermination.
— Comment ? demanda Ha’ven avant de tendre le bras et de désigner le chemin derrière eux. Tu as vu ce qui s’est passé ! Je perds lentement le contrôle. C’est plus puissant à chaque fois. Si je perds le contrôle au mauvais moment, même ton bouclier ne suffira pas à te protéger. Tu crois que je veux prendre le risque de te tuer ou de tuer Mère ou mes frères ?
— Tout ce que je demande, c’est que tu n’abandonnes pas, dit Melek. Je ne te perdrai pas. J’ai passé trop d’années à te regarder de loin. Je ne perdrai pas à nouveau ma famille maintenant que je l’ai récupérée.
Ha’ven ouvrit la bouche pour asséner une réplique pleine d’amertume, mais il la ravala. Il savait quel sacrifice son père biologique avait dû faire pour son peuple. Même dans l’obscurité, Ha’ven pouvait voir les lignes d’anxiété aux coins de la bouche de son père.
En tant que second fils de la famille régnante, Melek avait dû s’écarter quand la femme qu’il aimait avait été donnée à son frère aîné, Hermon, dans le but de renforcer la famille régnante.
Hermon ne s’était pas mis en couple avec la mère de son fils, une femme d’une classe sociale plus basse. Ben’qumain était né seulement quelques jours après que Narissa ait donné naissance à Ha’ven qui avait été conçu durant l’unique brève nuit que sa mère et Melek avait passé ensemble avant d’être séparés.
La mère de Ben’qumain avait envoyé son nouveau-né à Hermon dans une tentative d’ébranler la nouvelle alliance entre les maisons royales. À la place, Narissa avait pris la responsabilité d’élever les deux nouveau-nés comme s’ils étaient tous les deux siens. Six ans plus tard, elle avait donné naissance à des jumeaux, Adalard et Jazar. Le ressentiment qu’éprouvait Ben’qumain grandit avec le temps alors qu’il devenait évident qu’il n’avait pas hérité des pouvoirs que Ha’ven et ses deux frères cadets possédaient.
Hermon était alors tombé amoureux de sa nouvelle compagne, ignorant que son cœur appartenait à son frère cadet et que Ha’ven n’était pas son fils. Au fil du temps, Narissa finit par réellement s’attacher à Hermon bien que cet amour ne fût pas animé de la même passion profonde qu’elle éprouvait pour Melek. Ce dernier, par respect pour le règne de son frère, avait choisi des tâches qui le tenaient loin du palais aussi longtemps que possible. Il avait commandé l’armée curizan puis avait ensuite fini par guider Ha’ven et travailler à ses côtés durant la Grande Guerre quand ce dernier fut assez âgé pour rejoindre l’armée. Il avait chéri le temps passé avec son fils même s’il ne pouvait pas le revendiquer comme tel.
Ce ne fut que récemment que Ha’ven découvrit que non seulement Ben’qumain était responsable de la mort de Hermon, mais aussi que Melek était son vrai père. Il avait toujours respecté Melek pour son intégrité, son honneur et sa présence d’esprit. Et pourtant, il lui avait été difficile d’accepter que le mâle qu’il avait toujours vu comme étant son mentor était en réalité aussi son père.
Par chance, Melek était rentré à temps pour empêcher ceux qui travaillaient aux côtés de son neveu de tuer sa mère et ses frères cadets. Zoran Reykill, le roi des Valdiers, avait fini par tuer Ben’qumain quand il avait commis l’erreur d’attaquer la compagne humaine de Zoran. Les lèvres de Ha’ven se courbèrent alors qu’il pensa à l’espèce de dragons métamorphes qu’ils avaient combattue durant la guerre et qui était au final devenue un de leurs plus puissants alliés.
Creon Reykill, le plus jeune membre de la famille royale, et lui étaient devenus bons amis après s’être retrouvés piégés dans le même tunnel minier durant la guerre. Peu après, Creon avait rencontré et était tombé amoureux de sa cousine, Aria, ignorant l’existence de ses plans perfides pour prendre le pouvoir.
Aria avait utilisé contre eux le fait qu’elle était liée à eux deux. Elle s’était servie de ce qu’elle savait de lui pour le kidnapper et l’emprisonner. Elle s’était servie de Creon pour trouver des informations afin d’aider ceux qui essayaient de renverser leurs gouvernements. Creon avait fini par découvrir sa trahison et avait sauvé la vie de Ha’ven.
Leur alliance avait été scellée et Ha’ven savait qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour aider Creon et ses frères à vaincre leur oncle. Malheureusement, il devait encore s’occuper des traîtres curizans qui avaient travaillé aux côtés de Ben’qumain. Ils voulaient à présent renverser la famille régnante à tout prix car ils savaient que dès qu’ils seraient découverts, ils seraient condamnés à mort pour trahison envers leur peuple.
— Je… j’apprécierais toute aide que tu pourrais me donner, admit Ha’ven à contrecœur.
Melek hocha solennellement la tête avant de lever les yeux vers les étoiles qui brillaient haut dans le ciel.
— Il y a peut-être des informations dans les anciennes archives. Je travaillerai avec ceux en charge de les garder, dit-il en dirigeant à nouveau son regard vers Ha’ven.
Ha’ven hocha brièvement la tête.
— Parles-en avec Salvin. Je lui fais confiance pour ne pas éventer le problème, répondit Ha’ven. J’ai besoin de passer quelques choses en revue avant qu’Adalard et moi ne partions pour Valdier dans la matinée. Un piège a été mis en place pour Raffvin. Je crois comprendre que les choses ont changé à tel point qu’il est probable que nous éliminions bientôt un autre leader majeur de la rébellion.
Melek prit une profonde inspiration puis la relâcha.
— Je serai heureux quand le reste d’entre eux auront été traduits en justice. Je travaillerai avec Flèche pour continuer à démasquer ceux qui travaillent toujours contre la famille royale ici.
— Merci, dit Ha’ven, se tournant pour continuer son chemin.
— Ha’ven, l’appela doucement Melek.
Celui-ci se tourna et regarda l’ombre noire de son père.
— Fais attention. Ta mère m’a fait promettre de te le dire.
Ha’ven ne prit même pas la peine d’essayer de retenir le petit sourire qui se dessina sur ses lèvres alors qu’il regardait l’homme qui luttait pour trouver sa place dans la vie de son fils adulte. Il voyait la préoccupation, la fierté et l’inquiétude. C’était la raison pour laquelle il voulait éviter toute relation sérieuse. Il avait bien assez de sujets d’inquiétude sans ajouter de femelle pour couronner le tout.
— Mais alors comment suis-je censé m’amuser ? répondit Ha’ven avec un petit rire tout en se retournant avant de disparaître dans l’obscurité.
Melek laissa échapper un soupir et secoua la tête.
— C’est exactement ce que ta mère a dit que tu dirais, marmonna-t-il avant de se tourner pour retourner à ses propres quartiers.