Chapitre 3

1839 Words
CHAPITRE 3C’EST EN ACHETANT UN POLAR à la librairie du Mont Valérien, près de l’hôpital Foch, que je rencontrai Myriam un jour de juin. Je cherchais de la littérature de gare pour meubler mes moments d’attente. Je tombai dès l’entrée sur une table recouverte de livres et commençai à farfouiller dans les piles lorsqu’une voix discrètement acidulée m’interrompit. – Je peux vous aider ? Je me tournai et découvris derrière la caisse une grande blonde d’une quarantaine d’années qui me regardait d’un air moqueur. Ses cheveux tombaient en cascade sur ses épaules. Des yeux bleu clair éclairaient son visage et un rouge à lèvres très foncé détonnait sur sa peau assez pâle. Très belle. Et son allure générale annonçait un caractère énergique. – Pardonnez-moi, dis-je en sortant mon sourire numéro un, je ne vous ai pas saluée en entrant. – Je suis habituée, les gens ne savent plus dire bonjour. Sans doute parce qu’il est écrit « entrée libre » sur la porte ? Et toc ! Le genre à ne rien pardonner. J’aurais dû me méfier tout de suite. – Puis-je vous être utile ? reprit-elle en sortant de son antre. Mon regard, bientôt comparable à celui du loup de Tex Avery, détailla avec concupiscence une silhouette élancée, enveloppée dans un pull fin bleu marine, un pantalon rouge vif et des bottes noires à talons hauts. Probablement un ancien mannequin. Je réalisai avec désespoir qu’elle était plus grande que moi. – En fait, je cherchais un roman policier sympa, que je puisse laisser et reprendre en cours de route sans trop perdre le fil, vous voyez… – Vous êtes représentant de commerce ? Elle était arrivée près de moi, me dépassant effectivement d’une demi-tête, et je sentis son parfum m’assaillir. Je reconnus Poison de Dior. Ça lui allait comme un gant… – Pas vraiment, disons que j’ai un métier commercial avec des clients qui ne sont pas toujours à l’heure, répondis-je, impressionné par sa perspicacité. – On va voir ça. Les romans policiers, c’est par ici. À moins que vous ne préfériez Marc Lévy ou Jean-Paul Dubois. Tiens, ajouta-t-elle en sortant Une vie française d’un rayon, et comme si elle découvrait l’image qu’elle devait connaître par cœur, la voiture est presque de la même couleur que la mienne. La couverture montrait la portière arrière et le coffre d’une voiture des années cinquante, photographiée de profil. La carrosserie était bleu turquoise. J’acceptai volontiers l’invitation à poursuivre le dialogue. – Vous avez une voiture de collection ? – Presque. Une 2 CV. J’adore. Mais il faut être bricoleur et ne pas craindre de se mettre les mains dans le cambouis ! Je suis devenue une experte en mécanique… Elle vient d’être repeinte en vert clair. – Mon père en avait une quand il était étudiant. J’ai l’impression qu’il a fait les quatre cents coups avec. J’ai toujours rêvé de faire un tour dans cette voiture. – Il faut être souple, répondit-elle en arborant un sourire ambigu. J’entrai dans le jeu. – Pour faire un tour avec ou pour les quatre cents coups ? – Ah ça, c’est à vous de le découvrir. Décidément, elle s’avérait une redoutable combattante. Je me demandai si elle se comportait de la même façon avec tout le monde ou si j’avais une touche. La tension retomba un moment avec l’arrivée de nouveaux clients. Elle les servit, puis revint près de moi et choisit un livre dans le rayon policiers. – Si vous ne connaissez pas encore, essayez Michaël Connelly. Celui-ci, Les égouts de Los Angeles, est un des premiers. C’est excellent. Les personnages ont une vraie dimension humaine. Elle avait retrouvé un ton professionnel, comme pour marquer la distance. Mais trop tard. Je me balançais déjà au bout de son hameçon. – Et pour cette promenade en 2 CV… Puis-je caresser un espoir ? Elle me regarda d’un air amusé. – Eh bien, on peut voir ça. Vous passez souvent dans le coin ? – Oui, j’ai des clients à l’hôpital Foch. Je travaille dans l’industrie pharmaceutique. Je la suivis jusqu’à sa caisse et réglai le livre. Elle prit une carte de la librairie et griffonna un numéro de portable dessus. – Je suis fermée le lundi, mais prévenez-moi à l’avance. J’ai souvent beaucoup de tâches administratives à faire ce jour-là. Et c’est ainsi que tout a commencé. * – Dis donc, mon vieux, c’est un numéro, celle-là. Méfie-toi qu’elle ne te mette pas le grappin dessus. Elle a un sacré tempérament ! Le genre mante religieuse assermentée… J’avais surnommé José « mon conseiller ». Il occupait le poste de directeur des ventes dans le même laboratoire que moi. Très vite, nous avions partagé une remarquable complicité sur un sujet bien particulier, qui avait ôté toute hiérarchie à nos relations, d’autant que nous étions quasiment du même âge. Lui aussi était un séducteur accompli, qui aimait mener grande vie en bonne compagnie. Son sens de la formule me faisait pleurer de rire. Je n’avais aucun secret pour lui, mais je ne suivais pas toujours ses recommandations. Ce qui était bien imprudent de ma part, car il faisait preuve d’une expérience solide et d’un jugement averti. José avait vécu pendant toute son enfance en Argentine, près de Buenos Aires. Après le décès de son père, emporté précocement par une crise cardiaque, il avait été élevé dans un milieu aisé, avant d’intégrer une école de commerce et de travailler en France. Très brillant, ce qui expliquait sa promotion rapide, José parlait un excellent français, avec juste une pointe d’accent qui lui conférait un charme fou auprès des filles. Atout supplémentaire dont il n’avait nul besoin, car il était déjà très gâté par la nature. Mince, élancé, cheveux très noirs, regard de velours, physique d’hidalgo, beaucoup de classe. – Encore une qui doit avoir une surface muqueuse particulièrement développée, conclut-il d’un air péremptoire. Mais attention aux tendances sado-masos ! Tu devrais prendre la fuite pendant qu’il est encore temps. Mais tu es comme moi : tu manges de tout, tu n’es pas difficile à nourrir ! La semaine suivante, je riais encore en pensant à ces réflexions lorsque je décrochai le téléphone pour appeler Myriam. * J’avais hésité à laisser passer un peu de temps avant de la contacter, mais je pensais qu’il ne fallait pas laisser traîner. Et je sentis qu’elle appréciait mon insistance. – Eh bien, vous avez de la suite dans les idées, vous… Cette 2 CV vous intéresse vraiment, dirait-on. Encore cette ironie à fleur de peau. – Vous avez de la chance, reprit-elle. Je me suis avancée dans mon travail et je dispose donc de temps lundi prochain. Si vous êtes libre… – Aucun problème, je dois rencontrer quelques clients le matin, mais on peut déjeuner ensemble et faire une promenade l’après-midi. – Disons plutôt 14 h 30. On verra si vous avez encore le courage de dîner ensuite. Je viens vous chercher sur le parking de La Grande Cascade. Bon, elle ne voulait pas que je sache où elle habitait. Pas trop vite en tout cas. C’était de bonne guerre. Elle arriva un quart d’heure en retard. La 2 CV était étincelante, vert clair, décapotée (décalottée, aurait dit José qui ne reculait jamais devant un mauvais calembour). Et elle… Elle avait mis une jupe ample, blanche, légèrement transparente, et un corsage rose largement décolleté. Je ne pus m’empêcher de voir un présage favorable dans cette tenue plus fonctionnelle que la précédente ! Je ne m’étais pas trompé. Nous partîmes nous promener dans la campagne, après l’échangeur de Poissy, vers Orgeval. Il faisait un temps superbe. Je louchais sur ses jambes magnifiques, ce qu’elle remarqua très vite. Quelques frôlements plus tard, favorisés par les nombreux changements de vitesse, j’avais posé une main de propriétaire sur sa cuisse pleine sans qu’elle la repousse. Très vite, notre principal problème fut de trouver un endroit tranquille pour f***********r dans la voiture, ce qui requérait, comme elle l’avait sous-entendu, une certaine souplesse. Elle fit preuve d’une aisance et d’une sensualité étonnantes qui nous firent oublier l’inconfort de la situation. – Quelle ardeur ! dit-elle lorsque nous eûmes repris nos esprits. Cette guimbarde t’inspire vraiment. – Tu es trop modeste. C’est toi qui m’inspires ! – En tout cas, cette 2 CV a été « inaugurée », si on peut dire. C’est la première fois depuis bien longtemps que je fais l’amour dans une voiture. Nous voilà redevenus adolescents. Je n’en croyais pas un mot. Sa technique traduisait une longue habitude. Mais je me gardais bien de la contredire. Nous restâmes dans le coin et je l’invitai à dîner dans un petit restaurant de campagne. Je pris le volant au retour. J’avais de nouveau envie d’elle et je m’arrêtai dans un champ désert. Le ciel était encore clair et rougeoyant. Comme si elle avait compris mes coupables intentions, Myriam sortit spontanément de la voiture et s’installa face à la portière, penchée en avant, les mains posées contre la carrosserie. Cette offrande impudique et muette m’excita terriblement et mon plaisir fut encore plus fort que la première fois. La terrasse de La Grande Cascade était à demi déserte lorsqu’elle me déposa. C’est toujours un moment délicat lorsqu’on se dit au revoir après une première fois. Il y eut un silence gêné entre nous. – À bientôt ? Tu connais mon numéro. Elle déposa un b****r sur mes lèvres. Sois sage. Je ne vis rien d’inquiétant dans cette recommandation sibylline. J’avais tort. * J’attendis quelques jours avant de la rappeler. Non par manque d’envie, mais parce que j’avais pas mal de problèmes à régler au bureau. Notamment un souci de livraison de dialyseurs en Bretagne en quantités insuffisantes. La catastrophe pour la réputation d’un fournisseur. Je me débrouillai pour que la commande soit régularisée au plus vite, au prix d’un nombre confortable de démarches et de coups de téléphone. Lorsque, quinze jours plus tard, j’appelai Myriam, elle me réserva un accueil assez froid. – Ah, c’est toi ? Je me demandais si tu existais encore. Tous les mêmes, ces hommes. Une fois que vous avez eu ce que vous vouliez… – Myriam, je suis désolé, ce n’est pas ça du tout, mais j’ai eu de gros soucis au boulot. – Au boulot ? Ben voyons ! Elle est brune, blonde ? – Rien à voir, je t’assure, mentis-je, car j’avais dormi la veille chez Esther. J’étais d’ailleurs passé à deux doigts de la catastrophe car, en me réveillant au milieu de la nuit, je l’avais appelée Brigitte ! Heureusement, elle ne m’avait pas entendu. Ce genre de méprise était exceptionnel de ma part, ce devait être la fatigue. – Oui, enfin, n’insistons pas. – Écoute, j’appelais pour t’inviter à dîner. Es-tu libre ce soir ? Je m’attendais à un refus, mais elle accepta sans hésitation. J’avais sauvé la mise. Pour l’instant. Je passai prendre Myriam à la librairie et je l’emmenai dîner aux Pieds dans l’eau, sur l’île de la Jatte. Elle arborait de nouveau sa tenue pantalon et bottes, et j’avais hâte d’être assis pour masquer notre différence de taille. J’avais choisi à dessein ce restaurant, en espérant que son décor intime et chaleureux adoucirait son humeur. Au début, l’ambiance resta un peu tendue. – Alors, tu étais où ? Que faisais-tu ? Avec qui ? Nom, prénom, adresse ! Cette rafale de questions était posée sur un ton mi-figue mi-raisin qui me fit penser qu’elle plaisantait. Une bouteille de sancerre rosé plus tard, j’en étais convaincu. Elle avait retrouvé son ton moqueur et je la sentais de nouveau complice. Ce soir-là, je me félicitai d’être passé la chercher à la librairie, car elle m’apprit qu’elle n’utilisait pas sa 2 CV pour aller à son travail. Je pus donc la ramener chez elle. Elle habitait un appartement rue Frédéric Passy, près de la Seine à Neuilly. Elle me laissa entrer et je sus que j’avais gagné. En revanche, je n’échappai pas aux explications deux heures plus tard. – Tu vas retrouver qui maintenant ? – Mais personne ! Je dois juste rentrer chez moi : j’ai un rendez-vous important demain matin tôt au siège de la boîte, dans les Yvelines, et il faut que je sois présentable. J’omis bien sûr de lui dire que j’avais mon « b***e-en-ville » dans le coffre de la voiture. – Vraiment ? Alors, je laisse tomber les missiles pour cette fois ? dit-elle, un sourire carnassier aux lèvres. Malgré les moments brûlants que je venais de vivre, je fus soulagé de me retrouver seul dans mon deux-pièces de la rue de la Tombe Issoire.
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