CHAPITRE PREMIERAUSSI LOIN QUE JE ME RAPPELLE, j’ai toujours été comme ça. Impossible de me contenter d’une seule. Dès l’école, à cette période de l’enfance où chacun a sa petite copine, j’en avais trois en même temps. Souvent, deux d’entre elles rentraient à la maison en pleurant parce que j’étais resté avec une autre à la récré. Après, elles boudaient pendant plusieurs jours. Mais j’arrivais presque toujours à me faire pardonner. Je savais instinctivement que j’avais du charme et comment m’en servir. J’étais déjà très baratineur et d’un culot sans limites.
Mes parents ne s’en formalisaient pas trop. J’étais fils unique et ils avaient près de trente ans lorsque j’étais né. Ils se montraient volontiers d’une indulgence coupable à mon égard. Surtout ma mère qui était secrètement très fière de me voir rencontrer un tel succès.
À l’adolescence, ce trait de caractère a pris des proportions inquiétantes. Mon premier vrai b****r (un b****r de cinéma, oserai-je dire !), je l’ai volé à douze ans, dans l’obscurité complice du Max Linder, où j’avais emmené ma conquête dans un but bien précis. On y projetait À la poursuite du diamant vert. En fait, je n’ai pas trop regardé l’écran, mais j’avais lu la critique, le film avait l’air sympa et je pensais que ça pourrait créer une ambiance favorable. Je ne m’étais pas trompé.
J’ai perdu mon pucelage à seize ans, pendant mes vacances dans l’île d’Oléron. Je m’étais débrouillé comme un chef. Mes parents devaient rentrer après avoir rendu la villa de location. J’ai réussi à négocier deux jours supplémentaires chez un copain, dont les parents nous ramèneraient à Paris. On organisait une grande soirée d’anniversaire. J’avais jeté mon dévolu sur une fille un peu plus âgée que moi, dotée d’une poitrine superbe, qui paraissait bien délurée. Vers minuit, je l’ai emmenée discrètement. J’avais fermé la fenêtre de ma chambre au premier, mais sans tourner la poignée. On est entrés facilement et on a fait l’amour dans la chambre des parents. J’ai eu un peu peur ensuite. Elle ne m’avait pas dit qu’elle était vierge et on a laissé une tache de sang sur le matelas ! Impossible de la nettoyer complètement. Heureusement, je n’ai pas eu de nouvelles ensuite.
Au cours des années suivantes, je collectionnais les aventures pendant les vacances. Je sortais avec deux ou trois filles à la fois, comme à l’école. À la fin du séjour, je totalisais souvent plus d’une vingtaine de conquêtes ! Ma réputation n’était plus à faire, mais curieusement, cela ne les faisait pas fuir. Peut-être chaque nouvelle espérait-elle être la fille qui arriverait à me stabiliser ?
J’ai fait des études secondaires, disons normales. Je travaillais juste ce qu’il fallait, sans excès. Mon père aurait apprécié que je devienne médecin. Lui-même était gastro-entérologue. Mais j’ai préféré tenter la pharmacie. J’ai arrêté au bout de deux ans, viré vers une école de marketing, et j’ai fini par entrer dans l’industrie pharmaceutique. Comme j’aimais bien tout ce qui se rapportait au biomédical, je me suis retrouvé dans le secteur de la dialyse. Si j’avais su qu’un jour j’en aurais besoin…
Il y a peut-être un facteur génétique dans mon comportement avec les femmes. Je sais que mon père était un foutu cavaleur quand il était étudiant. Et d’après ce que j’ai cru comprendre, il ne s’est pas vraiment calmé après son mariage. Ma mère était au courant, mais elle laissait faire. Elle aussi avait des aventures de son côté, je pense. Mais ça ne les empêchait pas de bien s’entendre. On sentait une grande complicité entre eux. Ils s’étaient mariés un peu précipitamment, alors que j’étais déjà dans le ventre de ma mère.
À la maison, l’ambiance était agréable. J’étais fils unique, honorablement choyé, et je partageais beaucoup de choses avec mes parents. Quand mon père, le docteur Michel Besanet1, gastro-entérologue réputé d’une clinique du seizième arrondissement, est mort en deux mois d’une leucémie foudroyante, ce fut comme un coup de tonnerre pour nous. Il avait à peine cinquante ans, j’en avais vingt. Heureusement, il avait laissé à sa femme de quoi vivre largement, grâce à une bonne assurance-vie, ce qui m’a permis de terminer mes études de marketing et de trouver une situation. Ma mère lui a survécu seulement sept ans. Elle est décédée d’un cancer du pancréas. Elle ne s’était jamais remariée.
C’est pour ça que les élucubrations des psychiatres me font rigoler. Un jour, une de mes copines férue de psychologie m’a littéralement jeté à la figure un article sur le « donjuanisme » en me disant : « Tiens, lis, c’est ta maladie ! ». Elle venait de découvrir son infortune et l’avait plutôt mal pris. Moi, je ne me suis pas du tout reconnu dans ce galimatias ! Ces histoires d’hommes qui cherchent à séduire leur mère dans chaque nouvelle femme parce qu’ils ont souffert d’un manque d’affection dans leur petite enfance, ces hommes qui voudraient prendre une sorte de revanche sur la gent féminine, mais incapables de trouver leur satisfaction dans ces conquêtes incessantes, d’ailleurs ils sont parfois impuissants, etc. N’importe quoi ! J’ai eu une enfance heureuse avec des parents aimants, attentionnés, et qui ne se disputaient pas à la maison. Je n’ai jamais ressenti quelque manque d’amour maternel.
Et surtout, je n’ai aucune revanche à prendre sur les femmes. Je me plais en leur compagnie. Je trouve exceptionnel qu’une femme soit vraiment laide ; il y a toujours un petit détail qui peut rendre attirante même la plus ordinaire. J’aime f***********r avec elles. Et lorsque j’en ai connu une, je ne peux plus jamais la regarder de façon « neutre ». Je ne suis pas jaloux de leurs aventures. Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, je les respecte. J’ai de l’affection pour elles, de la tendresse souvent. Mais je n’y peux rien : chaque fois que j’en rencontre une qui me plaît de n’importe quelle façon (et il y en a tant !), j’ai envie de l’attirer dans un lit et de lui f***********r. Chacune a sa façon bien à elle d’aboutir à son plaisir ou d’en donner à son partenaire, c’est toujours une découverte très émouvante pour qui veut bien explorer ces terres inconnues.
C’est pour cela que je n’ai jamais voulu me marier, ni même me mettre en ménage, et bien sûr avoir d’enfant. Je sais que je suis incapable de mener une vie de couple normale. Et ce travail dans l’industrie pharmaceutique, outre qu’il me permettait de rencontrer beaucoup de gens, m’obligeait à de fréquents déplacements et me protégeait ainsi du désir de stabilité de beaucoup de femmes.
Du moins le croyais-je, avant de rencontrer Myriam.
1. Voir Meurtre à la morgue, Éd. Glyphe, 2005.