Chapitre 1-1

1561 Words
Chapitre Un Dans le présent, Les Sept Royaumes, Île des Géants : — Qu’est-ce qui te chiffonne autant ? interrogea Gant avec un grand sourire. Koorgan secoua la tête et continua de marcher. Son ami le suivait, ses bottes contre le sol en pierre dur donnant l’impression qu’une horde d’hippogriffes de Nali chargeait dans le couloir. — Est-ce que tu fais toujours autant de bruit quand tu marches ? grogna-t-il. Gant émit un petit rire. — Tu refais de la paperasse, je me trompe ? Koorgan grimaça quand son ami, conseiller principal et capitaine de la garde lui mit une tape sur l’épaule. Il résista à l’impulsion qui lui dictait de jeter Gant par la fenêtre. La seule raison qui le retint, c’était qu’il ne manquerait pas de devoir remplir encore plus de papiers pour gérer le coût du remplacement et de la réparation de la fenêtre, et Gant demanderait probablement quelques jours de congé en compensation. — Ashure a envoyé un autre de ses contrats et celui-ci était particulièrement… agaçant, répondit-il en soupirant. Il avait pratiquement jeté dehors le dernier diplomate du pirate et lui avait dit de ne pas revenir. Si Ashure voulait faire affaire avec l’île des Géants, il ferait bien de commencer par proposer de meilleurs accords. À l’heure actuelle, Koorgan était prêt à piétiner l’arrogant pirate. — Pourquoi est-ce que tu n’embaucherais pas quelqu’un pour s’occuper des trucs sans intérêt ? suggéra Gant. Koorgan s’arrêta et se tourna pour le regarder. — Parce que tu crois que je n’ai pas essayé ? Le maudit pirate a séduit toutes les femmes que j’ai embauchées, et avant que tu le demandes, ça ne l’a pas arrêté quand j’ai nommé Agatha responsable ! Cette femme doit avoir dans les cinq cents ans ! C’est une cyclope, bon sang ! Si je mets un homme au poste, soit il est trop intimidé par Ashure, soit il est séduit par le tintement de l’or. Je le bannirais si je n’avais pas autant besoin de ses marchandises. Négocier autant avec lui est un prix excessif à payer pour fermer nos frontières, grommela Koorgan. Je commence à me demander si je n’aurais pas plutôt dû faire face au mal qui s’étend dans les royaumes. Entre cela, la maladie des plantes, la comptabilité, l’inventaire, les contrats, et les relations avec les autres diplomates… J’ai l’impression d’étouffer ici. Je déteste ça, Gant, admit-il. Il se sentit immédiatement coupable d’avoir déchargé sa bile sur son confident. Conseiller un roi n’était pas chose aisée et Koorgan essayait de ne pas s’imposer de façon inutile à Gant, craignant que leur amitié se brise un jour sous la pression. Il se passa une main sur le visage avant de la laisser retomber le long de son corps. Gant le regarda avec sérieux. — Je comprends… et tu sais, tes noces à venir aideront à résoudre au moins un de ces problèmes. Nous devrions peut-être parler de… ? demanda-t-il avec précaution. Koorgan lui lança un regard hostile. — Non, grogna-t-il, tournant les talons et reprenant sa progression. — Tu comprends quand même que ça aide d’avoir une femme — ou un homme si c’est ce que tu veux — qui est déjà choisie avant d’envisager de l’épouser, n’est-ce pas ? lança son ami derrière lui. — La ferme, Gant ! Tu ne m’aides pas, rétorqua Koorgan. Il ne s’arrêta pas. Il avait besoin de sortir un moment pour se vider la tête. Les gardes en poste près des portes principales se hâtèrent de les ouvrir en voyant son sombre air renfrogné. Le temps que Gant le rattrape, il avait franchi les portes et dévalé les marches. — Qu’est-ce qui était si agaçant à propos du contrat d’Ashure ? se renseigna son ami sans se faire distancer. — Il a offert de me trouver une épouse en échange d’une tonne d’arbres et de trois tonneaux de mon meilleur brandy. Gant leva des yeux surpris vers lui. — Cela ne semble pas être une mauvaise offre. Cela remplirait les conditions. Koorgan fronça les sourcils. — Je ne désire aucunement laisser quelqu’un, encore moins ce maudit pirate, choisir qui je prendrai pour épouse, lança-t-il sèchement. Gant le prit par le bras et l’arrêta. Koorgan se tourna à contrecœur pour faire face à son ami. D’un geste impatient, il libéra son bras. — Tu sais ce qui se passera si tu ne trouves personne, Koorgan, le prévint Gant. Il sentit le poids de ses responsabilités peser sur ses larges épaules. Oui, il savait. Le royaume des géants ne serait plus. La Règle, force dirigeante établie par la déesse elle-même, stipulait que pour que les géants trouvent l’harmonie, leurs souverains devaient trouver un compagnon qui les compléterait avant leur deux cent trente-cinquième année. Dans le cas où il ou elle n’y parviendrait pas, les derniers champignons qui leur donnaient leur magie périraient. Les géants seraient réduits à de simples mortels, incapables de se défendre contre les autres royaumes. Déjà, une maladie attaquait les champignons dans tout le royaume. — Les champignons disparaissent plus vite qu’on ne peut les faire pousser, et ceux que l’on a déjà cueillis ont commencé à tomber en poussière, dit sombrement Koorgan. Gant opina du chef. — J’aimerais qu’il en soit autrement, mon ami. Mener les recherches a été… un exercice décourageant. — Il me reste encore quelques semaines avant de devoir prendre une décision. Je sors un moment, répondit Koorgan. Gant eut l’air pensif un instant avant de hocher la tête. — J’ai ordonné aux membres de la garde de me retrouver dans la cour pour un entraînement, mais si tu me laisses quelques minutes pour que je m’arrange avec Edmond pour qu’il prenne la relève, je viendrai avec toi. Koorgan secoua la tête. — Non, maintiens ton entraînement. Je ne serai pas parti plus d’une heure. Je sors juste faire un petit tour. J’ai besoin d’être seul pour me vider la tête. — Si tu en es sûr. Ne t’éloigne pas du palais cette fois, s’il te plaît. Tes petites balades ont tendance à me donner des ulcères. N’oublie pas que je te connais depuis toujours. Tu as le chic pour t’attirer des ennuis, répondit Gant, le front plissé et le sourire tendu. Cela fit rire Koorgan. — Inutile de t’inquiéter, mon ami. Nous ne sommes plus des enfants. Je peux prendre soin de moi. Je n’irai pas loin et ne serai pas long. Et puis, Genisus a besoin de se dégourdir les pattes. Le royaume ne compte pas un seul étalon capable de le suivre. Faire quelques tours du champ lui fera du bien, dit-il, posant une main sur l’épaule de Gant et la serrant dans un geste rassurant. Il savait que son ami s’inquiétait autant pour lui que lui-même ne s’inquiétait pour le royaume. Jamais il ne laisserait tomber son peuple, même si cela nécessitait de conclure un accord avec un pirate. Le pire, avec la Règle, c’était qu’il devait choisir une épouse qui ne venait pas de l’île des Géants. Cela limitait son choix à une dragonne, une sirène, une sorcière, une élémentale, une pirate ou une monstre, et chacune de ces options comportait quelques petits problèmes. Les relations entre l’île des Géants et les autres royaumes étaient cordiales, mais la confiance manquait quelque peu. Il s’était résigné au fait que son épouse serait probablement une espionne pour le royaume qu’il choisirait. Il avait cherché quelqu’un avec qui il supporterait de partager sa vie, il avait vraiment cherché, mais... ce n’était pas comme si cette période d’après-guerre était propice à ce genre de choses. L’île de Magie était le dernier royaume à avoir été dévasté par la trahison de la sorcière des mers, mais tous les royaumes étaient affectés, et cela depuis longtemps. Il se sentait las rien qu’en y pensant. — Votre monture est prête, Votre Majesté, dit le garçon d’écurie en tendant les rênes d’un imposant étalon qui piaffait. — Merci. Koorgan passa une main le long du nez de Genisus avant de caresser la mâchoire de l’énorme étalon de bataille. Ses poils épais et rêches scintillèrent à son contact. Il prit les rênes au garçon d’écurie, agrippa la selle et se hissa sur le dos du cheval. Le garçon recula maladroitement lorsque Genisus se cabra, battit l’air de ses pattes et releva brusquement la tête. — Doucement, mon garçon. Je sais que ça fait un moment que nous n’avons pas fait une bonne balade. Que dirais-tu d’y remédier ? rit Koorgan. L’étalon acquiesça d’un vigoureux signe de la tête. Les yeux du géant brillèrent d’excitation. Il se pencha en avant et talonna Genisus. Stimulée par l’énergie contenue dans son imposant corps, la monture partit à toute vitesse dans un tourbillon de poussière. Le rire de Koorgan emplit l’air. — Dégagez les portes ! cria un garde. Les gardes en poste aux portes coururent pour aider ceux qui entraient et sortaient du palais à se pousser. Koorgan les remercia en levant une main tandis que Genisus filait comme l’éclair. Les habitants de l’île des Géants se tournèrent en souriant alors qu’il passait devant eux à vive allure. Le poids de leurs sourires confiants vint peser encore plus sur ses épaules. Lorsque Koorgan dirigea Genisus vers la vaste forêt, l’étalon banda ses muscles et ses sabots s’enfoncèrent plus profondément dans le sol meuble sous l’herbe, comme si les monstres de Nali étaient à ses trousses.
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