Chapitre 7-1

2061 Words
Chapitre 7 Réveillée la première, Aila s’habilla rapidement, s’épargnant ainsi la gêne du soir précédent. Elle descendit au réfectoire et s’installa pour manger seule. L’image de la petite fée ne cessait de hanter ses pensées qui s’égaraient en permanence vers le livre rangé dans son sac. Seulement, elle allait partir ce matin et ne se sentait pas capable de se lancer maintenant dans l’inconnu. Petit à petit, les autres membres du groupe arrivèrent, certains comme Pardon et Avelin, pas tout à fait réveillés. Aila regagna la chambre pour y récupérer ses affaires avant de redescendre vers la cour et préparer Lumière. Par les fées, Lumière ! Elle avait complètement oublié de s’occuper d’elle hier ! Elle se pressa, prête à réparer sa défaillance, mais Bonneau avait paré à tout en lui brossant et lustrant sa monture ; des sabots impeccables, une crinière et une queue parfaitement démêlées, qu’elle était magnifique… Aila enfila bride et sangles, plaça tapis et selle, découvrant avec plaisir que le premier avait été nettoyé; la seconde cirée. Elle fixa les sacoches sur les côtés, la couverture et sa pèlerine à l’arrière, le sac avec son arc démonté par-dessus. Elle entendait les autres combattants arriver peu à peu et, comme elle, charger leurs chevaux. Dans le petit matin, l’écho de tous les bruits de sabots et de métal résonnait sourdement à ses oreilles. Avec soulagement, elle aperçut Aubin qui filait vers la stalle de Tempête. Il avait pris la décision de venir avec eux, même s’ils allaient se quitter dès le départ, lui se dirigeant vers Avotour avec sire Avelin et elle à l’opposé vers Escarfe. Mais ils se reverraient bientôt. — Dehors et en selle ! cria Hubert. Aila enfila son sac sur le dos, entraîna Lumière par la bride et sortit de l’écurie. Elle vérifia la sangle et les étriers, puis enfourcha son cheval. Le prince enchaîna : — N’oubliez pas ! Rendez-vous dans trois mois au plus tard au château d’Avotour. Soyez prudents, diligents et revenez ! Il tourna son regard vers Aila. — Nous y allons, ajouta-t-il, éperonnant sa monture. D’un geste bref, elle salua d’abord Aubin, puis tous les autres membres du groupe, jeta un dernier coup d’œil à la ronde et poussa Lumière pour un petit trot, le temps de rattraper Hubert. Elle ne se retourna pas, malgré l’irrésistible envie d’entrevoir la silhouette de Bonneau, de dame Mélinda ou même d’Hamelin. Pourtant, elle n’en doutait pas, ils la regardaient partir, dissimulés derrière une fenêtre ou dans le renfoncement d’une porte. Le moins que l’on puisse dire fut qu’Hubert ne disserta guère. De toute la matinée, il n’échangea pas trois mots avec Aila, décidant seul du chemin à suivre, sans autre information. Devant cette attitude qu’elle réprouvait, la jeune fille s’enfonça dans un mutisme boudeur. Malgré cela, elle restait vigilante. Elle observait les traces sur la route, écoutait la forêt à l’affût de bruits ou de silences anormaux. Elle déduisit de la position du soleil qu’ils se dirigeaient vers le nord, alors que l’Escarfe était située plutôt à l’ouest, mais le prince avait parlé d’une autre ville, Guestain. Le midi, ils mangèrent, sans échanger le moindre mot, de la viande séchée, du fromage et du pain, avant de repartir sans échanger. L’après-midi passa au rythme des pas des chevaux et quand la nuit commença à tomber, elle ne savait toujours pas où ils dormiraient. Décidée à ne surtout pas intervenir, elle fut soulagée à la vue des lumières d’un village au détour d’un chemin. Hubert dévia leur route vers une auberge qu’elle apercevait. Une fois leurs affaires récupérées, ils laissèrent leurs montures au garçon d’écurie et entrèrent dans la maison. Il commanda à manger pour les deux sans se préoccuper de son avis, mais au final, le choix se révéla judicieux et elle avala avec plaisir la soupe chaude et parfumée. Le repas terminé, le prince, suivi d’Aila, monta dans la chambre pour en ressortir quelques minutes plus tard, Aila toujours sur ses talons. — Mais que faites-vous ? s’agaça-t-il, en se retournant vers elle. — Je vous suis ! Je suis votre garde du corps, il me semble ! — Ah !… Inutile, je vais au coin d’aisance…, précisa-t-il, gêné. — Ahhh ! se contenta-t-elle de répondre, avant de pouffer de rire dès qu’Hubert eut refermé la porte. Elle s’allongea sur le lit tout habillée, décidée à ne plus quitter sa tenue en cuir et attendit son retour pour mettre sa couverture et s’endormir, une vague lueur dorée flottant dans ses pensées… Le lendemain fut aussi réjouissant. Hubert ne prononçait une parole que s’il ne pouvait faire autrement, c’était-à-dire pratiquement jamais, et Aila s’occupait en vérifiant ses connaissances sur les plantes. Cette activité la maintenait éveillée et entretenait sa vigilance, alors que, malgré tout, elle s’ennuyait ferme. Ce soir-là, petit changement, ils dormirent dans la forêt. Si elle l’avait fait régulièrement, elle sentit plus de flottement chez le prince qui, moins habitué qu’elle aux bruits nocturnes des bois, semblait plutôt nerveux. Mais il ne se plaignit pas. Elle s’amusa de le voir regarder du coin de l’œil, l’air de rien, comment elle installait son lit, montait le feu… Ayant oublié de renouveler leur réserve de nourriture, le repas, plus que frugal, poussa Aila, tant pour le punir de son silence que pour le faire saliver, à annoncer sarcastique : — Si vous m’aviez dit que nous allions dormir en forêt et que nous n’aurions rien à manger, j’aurais tiré un lapin. Nous en avons croisé beaucoup dans l’après-midi. Imaginez-le doré à la broche, parfumé d’herbes sauvages… Hubert lui lança un coup d’œil noir. Et pourtant, il avait les yeux bleus, mais à cette heure-là, tous les chats étaient gris ! Elle s’enroula dans sa couverture, la faim lui tenaillant le ventre, furieuse de l’imprévoyance d’Hubert. Au réveil, point de petit déjeuner et il fallut attendre les premières maisons qu’ils rencontrèrent pour acheter du pain, du fromage et des pommes. Le trajet se poursuivit toute la matinée jusqu’à la ville de Guestain où elle comprit qu’ils étaient enfin arrivés à leur première étape. Jusqu’à présent, elle avait réussi à occulter la pensée de son futur déguisement en fille. Mais, à cet instant, l’idée lui revint de plein fouet et elle maudit, chaque seconde un peu plus, le prince qu’elle tenait pour responsable de ce plan génial. Ils pénétrèrent dans la cour d’un hôtel particulier. À peine descendu de cheval qu’hôte et hôtesse se pressaient à la porte pour les accueillir. — Hubert, quel plaisir de te voir ! s’exclama Henri. — Henri, Éléonore, je suis si heureux de vous retrouver ! — Hubert, cela fait si longtemps, exprima Éléonore avec l’ombre d’un regret dans la voix. Le prince s’inclina et baisa la main qu’elle lui tendait. — Chère Éléonore, le temps n’a aucune prise sur vous. Henri doit être le plus heureux des hommes, lors de son réveil, chaque matin, auprès de la plus belle femme au monde. « Pouah ! Et en plus, il débite des galanteries écœurantes », pensa Aila, de plus en plus fâchée. — Rentrons, nous serons mieux à l’intérieur, proposa le dénommé Henri. — Cher ami, intervint Éléonore dont le regard s’attardait sur Aila, il me semble que, par erreur, vous ayez omis de nous présenter la dame qui vous accompagne. De bonne grâce apparente, il s’exécuta : — Tout à fait. Distrait par le plaisir de vous revoir, je manque à tous mes devoirs. Je vous présente Aila Grand. — Grand comme Barou Grand ? questionna Henri. — Effectivement, c’est sa f… Enfin, c’est la fille de son frère. — Votre oncle est un grand homme, mademoiselle. — Oui, à ce que l’on m’a dit, répondit-elle, froidement. Éléonore se permit un regard interrogateur, mais ne chercha pas à en savoir plus et invita tout le monde à rentrer. À la servante qui les attendait, elle demanda : — Ada, voulez-vous montrer à nos visiteurs les chambres que nous leur avons réservées ? Elle ajouta pour ses invités : — Nos serviteurs vont vous apporter vos affaires sous peu. Prenez le temps qui convient pour vous rafraîchir. Nous dînerons normalement dans un quart de cloche et nous pouvons repousser cette heure si vous le souhaitez. — Merci, Éléonore. Cela suffira amplement pour nous préparer et vous rejoindre dans la salle à manger. Ada les guida dans les escaliers et les couloirs avant de leur montrer deux chambres, voisines. Tout en la suivant, Aila imaginait déjà qu’elle allait dormir dans une pièce minuscule, tandis que sire Hubert se pavanerait dans une autre, luxueuse. Cependant, elle ravala sa médisance au seuil de la pièce qui s’ouvrit devant elle, coquette et agréable, comme celles des filles de dame Mélinda. Elle n’en avait jamais rêvé et, pourtant, s’y retrouver comme invitée avait quelque chose de rassurant, presque enivrant. Après un brin de toilette, Aila décida de se changer. Entre ses affaires, elle en découvrit d’autres, toutes neuves qui provenaient sûrement de la châtelaine d’Antan. Celle-ci avait probablement chargé Aubin de les enfouir au milieu du reste. Ce dernier geste d’affection lui serra le cœur, mais elle évita de s’attarder sur ce qu’elle ressentait, elle avait laissé trop de gens derrière elle… Elle revêtit un pantalon à la mode d’Aila, comme ceux qu’elle avait transformés quelques années plus tôt et dont dame Mélinda s’était inspirée, et une nouvelle chemise. Décidément, même de loin, l’amie de sa mère veillait sur elle… Un coup sec fut frappé à la porte et, l’ouvrant, elle découvrit Hubert : — Il est temps de rejoindre nos hôtes. Aila sortit et referma sa chambre sans un mot, attendant le début de sa descente pour lui emboîter le pas. Le mouvement d’humeur imperceptible d’Hubert ne lui échappa pas. Si le silence qu’elle lui renvoyait commençait à l’irriter, très bien ! Il l’avait bien cherché ! Elle allait continuer et tant mieux quand il craquerait ! D’abord, c’était lui qui avait débuté ! Elle le suivit jusqu’à la salle à manger où patientaient Henri et Éléonore. Le repas se déroula très agréablement. Henri et Éléonore, hôtes charmants, drôles, intéressants, évoquaient inlassablement des anecdotes piquantes, croustillantes, voire hilarantes, provoquant sourires et rires. Aila goûtait tous les plats et se régalait ! Le cuisinier du château d’Antan devrait vraiment venir prendre des cours ici. Quand le dessert arriva, elle crut qu’elle allait éclater tant elle avait englouti de mets. Malgré tout, elle se dit qu’il lui resterait bien encore une petite place pour lui, l’arôme qui s’en échappait lui mettant l’eau à la bouche. — Il me semble que vous avez beaucoup apprécié la cuisine de notre maître queux, commenta Éléonore. — Oui, elle est succulente ! — Êtes-vous une fine connaisseuse ? Fixant Éléonore, Aila essaya de distinguer une moquerie quelconque dans ses propos, sans en découvrir. — Non, Bonneau cuisine plutôt honnêtement, mieux que le cuisinier du château en tout cas ! Il manifeste un goût de bon aloi, mais ne dispose pas d’assez de loisirs pour mijoter des plats aussi raffinés… — Vous appelez votre père Bonneau ? — Oh ! c’est un peu compliqué, dame Éléonore… — Aucun souci, vous m’expliquerez cela une autre fois si vous en avez le temps et le désir. Cher Hubert, quand comptez-vous repartir ? — Le carrosse et la garde-robe sont-ils arrivés ? — Oui, le carrosse, il y a deux jours et les malles hier. Blaise et Élina ont bien travaillé, l’informa Henri. — Alors, nous prendrons congé dès qu’Aila sera transformée en dame de la cour. Combien de temps cela nécessitera-t-il ? — Une demi-matinée suffira, vous pourrez vous éclipser juste après la deuxième cloche si les bains sont pris ce soir. — Excellente suggestion, nous pourrons ainsi nous mettre en route en milieu de matinée demain, conclut-il. À l’idée de ce qui se profilait, Aila se renfrogna. — Cela n’a pas l’air de vous plaire jeune fille. Ressembler à une dame peut devenir une expérience enrichissante, même si cela ne correspond pas à votre choix de vie. Et puis, elle ne sera que temporaire, renchérit Éléonore, conciliante. — Vu sous cet angle, je ne peux qu’être d’accord avec vous. — Je vous prêterai ma camériste, une véritable reine en la matière : elle me permet d’offrir à mes hôtes l’illusion de la jeunesse éternelle, conclut-elle, en riant. Elle pourra aider Élina, votre suivante, certes fort gentille, mais d’une compétence, pour l’instant, à parfaire dans le domaine de la coquetterie. Par les fées, elle allait disposer d’une suivante… Elle n’avait pas encore réalisé tous les bouleversements qu’entraînait le fait de devenir une dame ; elle sentit ses épaules s’affaisser un peu plus… Éléonore reprit : — Demain matin, nous commencerons les préparatifs avant la deuxième cloche. Cela vous convient-il ? Aila opina, avec un soupçon d’inquiétude. — Très bien. Mais je bavarde et vous devez être lasse. N’hésitez pas à vous retirer quand vous le souhaitez. J’appellerai Élina pour qu’elle vous prépare un bain. Son ventre bien rempli, Aila sauta sur l’occasion de s’isoler, salua la tablée et remonta vers sa chambre. Un feu crépitait dans la cheminée. Décidément, Henri et Éléonore étaient des hôtes parfaits. Elle s’assit, laissant les flammes chauffer son corps et son esprit vagabonder… Venant la chercher pour l’emmener au bain, Élina la tira de sa rêverie. Elle entra dans l’eau très chaude, tandis que sa suivante la traitait aux petits soins. Gentille, discrète et pleine de bonne volonté, elle lui déversait sans cesse des « dame Aila ». Elle passa beaucoup de temps sur ses mains de combattante pour leur redonner un aspect plus féminin. Séchée, les cheveux brossés, Aila rejoignit sa chambre, enfila sa chemise de nuit et se blottit dans un lit tout douillet, sous l’édredon en duvet. Comme elle eut vite trop chaud, elle laissa rapidement dépasser ses pieds à l’air, poussant un soupir de contentement. Alors qu’elle s’endormait tranquillement revint l’image de la petite fée qui lui parlait, mais elle n’entendait toujours pas ce qu’elle disait…
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