Chapitre Un-3

1968 Words
Sloane — C’est ton frère ? — C’est Bo. Pas vraiment une réponse, mais je vais prendre ça pour un oui. Ce garagiste est flippant. On m’a donné son nom en me disant qu’il pourrait sans doute m’aider à maquiller des voitures, et il paraît compétent. Mais je ne lui fais absolument pas confiance. Voir son petit frère me rassure un peu, toutefois. Bon d’accord, son jean est déchiré et taché de graisse, mais son tee-shirt avec le logo de l’équipe de football américain de Wolf Ridge moule ses muscles, et mis à part son pantalon, il est propre sur lui. Beau, même. Je n’ai pas l’habitude d’être traitée avec le mépris que me réserve Winslow Fenton, mais la présence de son frère suffit à me mettre plus à l’aise. En sa présence, j’ai l’impression qu’il ne peut rien m’arriver. Et bien sûr, c’est sans doute le genre d’impression débile qui prouve que l’on a tendance à se fier plus facilement aux gens séduisants. Bien habillés. Sexy. Ce n’est pas parce qu’il a à peu près mon âge et qu’il est superbe qu’il me défendra comme un preux chevalier si son frère décide de me doubler. — Il n’a rien à voir avec tout ça, me dit Winslow d’une voix menaçante. Pigé ? — Oui, carrément. Je comprends. Nous sommes tous les deux penchés sur le capot de la Porsche comme si nous débattions du nombre de chevaux du véhicule. Je dois prendre sur moi pour ne pas jeter un œil vers le dos large de Bo et ses fesses musclées. Concentre-toi, Sloane, bon sang. — Alors, quand est-ce que tu penses pouvoir m’obtenir une nouvelle carte grise ? lui demandé-je. — Laisse-moi gérer tout ça. Je la vendrai. Ensuite, je te filerai ta part. Ah non, hors de question. — Ce n’est pas ce qui était prévu. Tu m’obtiens la carte grise. C’est moi qui la vends. Il laisse échapper un grognement amusé. — Toi, tu vas la vendre ? — Oui, on s’était mis d’accord. Il a un rictus. — Désolé, ma belle. Personne n’achètera une Porsche à plus de cent mille dollars à une gamine de seize ans. — Dix-sept ans, corrigé-je, même si ça ne change pas grand-chose. Si je suis capable de la voler en plein jour sur le parking d’un centre commercial, je suis capable de la vendre. Et en plus, je suis plutôt bonne négociatrice. J’ai été obligée d’apprendre beaucoup de nouvelles compétences, ces six derniers mois. Il secoue la tête, l’air faussement désolé. — Désolé, ma sœur. Si j’ai la carte grise, c’est qu’elle est à moi. Logique, non ? Mon cœur se met à battre la chamade. Ce type est louche, mais ça, je le savais dès le départ. C’est le risque, quand on se lance dans le trafic de voitures volées. Il se frotte le nez d’un doigt graisseux, laissant une tache noire sur son visage. Nous sommes face à face sous le capot. Il sent le métal, la sueur, et cette odeur d’alcool rance des gens qui ont trop bu la veille. À présent que j’ai vu son frère, je sais que dans d’autres circonstances, Winslow pourrait être séduisant. S’il prenait soin de lui et qu’il changeait de coupe de cheveux. Et s’il n’avait pas l’air aussi agressif. Je serre les mâchoires. — On se partage l’argent cinquante-cinquante. — Soixante-quarante. Inutile de lui demander qui aurait les soixante. Ce type continuera de m’arnaquer. La prochaine fois, il passera à soixante-dix-trente, enfin, si je le revois. Il faut que je reprenne la main, et vite. Je prends une grande inspiration et tente d’imiter mon père. Il était capable de convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Et il ne se servait jamais de la peur pour faire céder les gens, contrairement à beaucoup de commerciaux. Parce qu’après tout, les arnaques, c’est de la vente. Non, mon père poussait les gens à croire qu’ils avaient le même objectif que lui. Il leur faisait croire que c’était ce dont ils avaient envie. — Écoute, Winslow, dis-je, appuyée au pare-chocs de la Porsche. Comme je te l’ai déjà dit, je cherche un associé. J’ai déjà acheté l’épave d’une Mercedes Benz Classe C à la casse pour un prochain vol. Mais si tu es du genre à ne pas tenir parole, ça ne pourra pas fonctionner. Il faut qu’on se fasse assez confiance pour faire fructifier notre affaire. J’insiste sur les mots tenir parole et confiance dans l’espoir de réveiller ces qualités chez lui, mais je doute qu’il les possède. Si je n’avais pas vu son frère, qui semblait bien sous tous rapports, je n’aurais même pas tenté le coup. Mais, miracle, ça fonctionne. Winslow bombe le torse et hoche la tête. — D’accord, cinquante-cinquante. Mais c’est moi qui la vends. — On y va tous les deux. Il me fait le même rictus que tout à l’heure. — Je ne t’emmène pas avec moi. Tu feras tout foirer. Mais je te donnerai ta part, à la loyale. — Tu as plus à perdre que moi. Je ne suis pas encore majeure. Si je me fais prendre, je me ferai gronder. Si toi tu te fais chopper, tu risques la prison. Il se pince la lèvre inférieure en m’observant. Il jette un regard à son frère, comme s’il envisageait d’envoyer Bo vendre la voiture à notre place. Mais il secoue vite la tête. — Je prends le risque. — Je t’accompagne, insisté-je. — Hors de question. Retourne dans ton lycée privé et attends un message de ma part. Mon estomac se serre. J’essaye de ne pas lui montrer mes doutes, cependant. Nous sommes des associés qui tiennent parole et qui se font confiance. Ou en tout cas, c’est le baratin que je lui ai sorti. Il faut que je lui montre ma bonne foi. — J’ai besoin qu’on me reconduise, dis-je. Winslow lève les yeux au ciel et sort la tête du capot. — Fait chier, lâche-t-il avant de jeter un regard à son frère. Bo ! Sa version plus jeune et bien plus canon nous rejoint en s’essuyant les mains sur un torchon blanc. — Ouais ? — Il faut que tu la ramènes à Cave Hills. Il plisse les yeux. — Comment ? demande-t-il en agitant les bras tout en regardant autour de lui. — À moto. Bouge-toi le cul. Je veux que tu reviennes terminer le boulot ce soir. Bo serre les mâchoires, et il semble prendre une lente inspiration. — Bon, d’accord. Il hausse les sourcils dans ma direction et tend le bras comme un majordome. — Par ici, Madame. Finalement, il est peut-être aussi con que son frère. Tant de beauté gâchée par une personnalité arrogante. Dommage. Non que j’aie espéré quoi que ce soit. J’ai... simplement aimé l’admirer. Je ne suis pas une poule mouillée, mais je n’ai encore jamais roulé à moto. Et chaque fois que je me suis imaginé le faire, c’était derrière un mec de confiance. Quelqu’un de sexy, mais pas désagréable et grognon comme Bo. Là, je suis obligée de mettre ma vie entre les mains d’un inconnu. Je prends le casque qu’il me tend et déglutis. — T’as peur, princesse ? raille-t-il. Il porte une plaque militaire autour du cou. De près, il est encore plus beau que je l’avais cru. Ses yeux bleu glacier contrastent avec sa peau hâlée et ses cheveux bruns ébouriffés. Ses lèvres sont pulpeuses, contrairement au reste de son corps. Il est composé à cent pour cent de muscles fermes. Il doit sans doute jouer au poste de défenseur, et quand il percute les membres de l’équipe de Cave Hills, il doit les faire pleurer. Je rejette mes cheveux en arrière avant de mettre le casque. Il est trop grand, et mon petit effet est gâché par mon incapacité à l’attacher. Pour parfaire mon humiliation, Bo est obligé de s’approcher pour m’aider à ajuster les sangles jusqu’à ce qu’elles soient bien serrées sous mon menton. Ses gestes sont pleins d’adresse et d’assurance, et une fois sa tâche accomplie, il donne une tape sur le casque, comme si j’étais une gamine. — Tu n’en portes pas, toi ? lui demandé-je. — Nan, sinon j’en aurai deux pour le retour. Comme si c’était plus embêtant que de se fracasser le crâne. Il sort des lunettes de soleil de sa sacoche et les enfile. On dirait qu’il sort tout droit d’un set de cinéma. Comme Chris Hemsworth, mais en version jeune et bad boy. Et version connard. — Prête ? Il passe une jambe musclée au-dessus du siège et me regarde. Quand je grimpe maladroitement derrière lui, il jette un coup d’œil sceptique à mes chaussures compensées. — En temps normal, je ne te laisserais pas monter avec des talons pareils, mais j’imagine que tu n’as pas trop le choix, hein ? — Non. Prendre un taxi aurait été une meilleure idée. Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? J’étais trop occupée à négocier avec Winslow. À lui montrer ma confiance pour qu’il s’en montre digne. Et voilà où ça me mène. Sur une moto, à risquer ma vie. Il démarre sa Triumph, et le seul avertissement que me donne ce connard avant de foncer, c’est un regard par-dessus son épaule. Je ravale un hurlement et lui agrippe la taille, complètement paniquée. Je mets trois ou quatre kilomètres à me rendre compte que mes doigts sont enfoncés dans sa peau à travers son tee-shirt fin, mais j’ai beau essayer de me détendre, je n’y parviens pas. Je suis incapable de jouer les filles cool. Bo s’arrête à un feu et tourne la tête. — Tu flippes ? — Noo-on. Ce simple mot prend deux syllabes alors que je mens comme un arracheur de dents. Il pose la main sur mes doigts crispés. Sa paume est large et rêche. Calleuse à cause de son travail et peut-être à cause du football, je ne sais pas. Il saisit ma main et la fait passer devant son corps pour la poser sur ses abdos en béton. — Oh... désolée ! Je te faisais mal ? Normalement, les mecs ne me font pas perdre mes moyens. En fait, c’est plutôt moi qui les mets dans tous leurs états, surtout les lycéens. À treize ans, je faisais déjà un mètre soixante-quinze, alors je n’ai jamais pu ignorer l’effet que j’ai sur le sexe opposé. Mais là, je suis complètement à la ramasse. Tout ça, c’est la faute de cette moto. Pas des yeux bleus et des abdos de Bo. Il lâche un petit rire, qui n’aurait pas dû me rendre toute chose comme ça. — Aucune chance, Gambettes. — Gambettes ? C’est comme ça que tu m’as appelée ? Le feu passe au vert, et il démarre à nouveau sans prévenir. Je passe l’autre bras autour de sa taille, et à présent, je suis collée à son dos comme un koala. Enfin, eux s’accrochent plutôt au ventre, non ? Comme un c*******é, alors, cramponné à sa maman qui saute d’arbre en arbre. Puis nous prenons la voie express qui mène à Cave Hills. J’ignore combien de kilomètres ma peur met à se transformer en quelque chose d’autre. Quelque chose de plus chaud, de plus vivant. Quand nous descendons la colline, je suis pleine d’adrénaline et je halète sous mon casque, les mains plaquées contre le ventre de Bo. La chaleur de son corps irradie jusqu’au mien. Sa moto a l’effet d’un vibromasseur géant entre mes jambes. Je m’en veux d’être aussi excitée par ce scénario. Les motos, ça n’a rien de cool. Et les mecs qui en font sont des ploucs sans personnalité. Sauf que mon corps ne semble pas de cet avis. Ou alors, cela n’a rien à voir avec la moto, et tout à voir avec le grand sportif contre lequel je suis collée.
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