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2049 Words
J’ouvre les yeux et me redresse dans un sursaut, subitement rappelée à la réalité par la sonnerie de mon alarme. Mes yeux parcourent la pièce autour de moi. Il me faut quelques instants pour prendre conscience que je suis dans ma chambre, au pensionnat. Je soupire et me laisse retomber en arrière, mon regard rivé au plafond, une fois de plus troublée par ce rêve qui ne cesse de me hanter depuis ces cinq dernières années. Un rêve auquel je n’ai toujours pas réussi à trouver de véritable sens. En même temps, il fallait s’y attendre. Depuis mon arrivée ici, je n’ai cessé de jongler entre les cours généraux, les leçons particulières, les corvées, les deux visites par an de la part de ma famille et le travail dans les champs pour aider les paysans. Sans compter les visites hebdomadaires des Tuteurs et donc, dans mon cas, du prince Auden Tremblay d’Andarane futur héritier de la couronne dont les visites me perturbent toujours autant. Là où les autres tuteurs cherchent à passer du temps avec leurs « petits protégés », lui semble s’intéresser à moi seulement de loin. En dehors de quelques danses en de rares occasions, nous n’échangeons jamais un mot. Il faut dire aussi qu’en général il ne s’attarde pas plus d’une journée. Le temps d’assister à une ou deux de mes leçons, de se renseigner auprès de la directrice Mrs. Wanamaker de mes progrès et de « mon humble investissement » dans les travaux communs et hop, le voilà parti. Sans compter bien évidemment sur ce qu’il a investi dans la chambre dont je dispose depuis cinq longues années. Chambre qui, selon les mots de notre chère directrice, n’est qu’une « preuve de plus que contrairement à d’autres, je suis destinée à de grandes choses ». Preuve à cause de laquelle tout le monde me surnomme Am Fear Eadar-Dhealaichte, La Différente et encore, ce n’est pas la pire chose que j’ai entendue. Par exemple, la fois où Sujaya m’a surnommée Am Fear as Fhearr Leis a’Phrionnsa, La Favorite du Prince, ce à quoi Eldon a répondu Am Galla a’Phrionnsa, La p**e du Prince. Au bout du compte, cela leur a valu de sacrés ennuis y compris une semaine sans nourriture. Quant à moi, je n’ai plus jamais été embêtée, mais je n’ai pas non plus été acceptée pour autant. — Charlotte Eliana Woods, ouvre cette porte tout de suite ! Poussant un soupir, je m’extirpe de sous les couvertures à contre cœur et enfile une robe de chambre. J’ouvre la porte sur Cassandre et Becky, mes deux seules amies, qui me regardent toutes deux avec un grand sourire. Je lève les yeux au ciel et m’écarte un peu afin de les laisser rentrer. — Toujours en pyjama ? demande Cassandre. Je jette un coup d’œil furtif à ma tenue légère tout en haussant les épaules. — Comme tu peux le voir. — Tu n’es pas possible, rouspète-t-elle. Je lui réponds d’une grimace nous faisant rire. La porte s’ouvre à nouveau, cette fois-ci sur Archie, mon meilleur ami. Il est ici depuis aussi longtemps que Cassandre, Becky et moi. Tous les quatre, nous venons du même village. Nous avons grandi ensemble et avons toujours veillé les uns sur les autres, coûte que coûte. D’une certaine manière, c’est grâce à Archie que le trio de choc a pu me suivre jusqu’ici. Le jour où nous étions supposés nous faire nos adieux sur le quai de la gare, il a demandé à partir avec. Je n’oublierai jamais le silence solennel qui a suivi. Le prince s’est tourné vers lui, son regard intimidant plongé droit dans le sien, mais il n’a pas bronché. Il a réitéré sa demande, Cassandre et Becky s’y sont mêlées et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils se sont retrouvés à bord du train avec nous. Même si cela pourrait passer pour un acte de bonté de la part de mon Tuteur, je sais que la vérité n’est pas aussi simple. Je me souviens l’avoir entendu prononcer à plusieurs reprises les mots Neach-Dion et Fear-Faire. Les Protectrices et le Veilleur. Je me demande bien ce qu’il voulait dire par là. — Toujours à trainer en pyjama, peu importe l’occasion, j’en étais sûr, dit Archie me sortant de mes pensées. Il s’approche de moi, un grand sourire au coin des lèvres tandis qu’il me prend dans ses bras. Je le serre contre moi contente d’avoir enfin la possibilité de le revoir, après cette longue et interminable semaine. — Joyeux anniversaire, souffle-t-il d’une voix douce. Nous nous détachons l’un de l’autre. Il attrape ma main dans laquelle il dépose une petite boîte. — Pour plus tard. En attendant… Il se tourne vers la porte par laquelle vient tout juste d’entrer l’une des servantes du pensionnat. — Je l’avais bien dit que le quatuor inséparable serait encore fourré ensemble, dit-elle d’une voix taquine. Elle pose deux grandes boîtes sur mon lit et frappe dans ses mains. Deux de ses collègues entrent à leur tour. Je ne peux m’empêcher de faire les yeux ronds à la vue des deux plateaux en argent sur lesquels se trouvent quatre chocolats chauds, des jus d’oranges, des fruits, des tartines de confiture ou encore des crêpes au chocolat. Habituellement le petit-déjeuner se compose d’un bol de porridge, d’un fruit et d’une tasse de thé. — Qu’est-ce que… — Cadeau de la part de votre Tuteur pour vos dix-huit ans, à partager avec vos amis. — C’est bien la première fois qu’il lui offre quelque chose à partager librement avec nous, souffle Archie ce qui lui vaut un coup de coude réprobateur de la part de Cassandre. Je leur jette un coup d’œil furtif avant de me concentrer à nouveau sur les deux plateaux. Je fais un pas, prête à m’en approcher, mais les trois jeunes femmes ne m’en laissent pas l’occasion. Avant même que je ne puisse saisir l’un des fruits, elles m’attrapent et m’entraînent jusqu’à la salle de bain où nous passons l’heure et demie qui suit, malgré mes protestations. Les cheveux coiffés en un demi-chignon tressé, le visage maquillé et les ongles faits, nous retournons dans ma chambre où mes trois amis se sont déjà mis à table. — Hé ! Je m’empresse de les rejoindre me jetant à moitié sur eux. Nos rires envahissent la pièce tandis que nous commençons à nous chamailler. — Charlotte, Cassandre, Becky et Archie ! Je me redresse dans un bon, surprise par la voix de Mrs.Wanamaker dont le regard réprobateur et sévère est rivé sur nous. Elle claque des doigts à l’attention des servantes qui s’empressent de m’amener jusqu’à mon lit. La directrice nous regarde quelques instants avant de rejoindre mes amis. — J’ai des nouvelles en ce qui concerne les tests des Veilleurs, leur annonce-t-elle. Je me lève d’un bon, le cœur battant, mais l’une des servantes me force à me rasseoir. Je les laisse m’aider à revêtir corset, jupon et robe sur laquelle je fais courir mes doigts quelques instants. Rien qu’en voyant le tissu, je devine qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de mon « cadeau d’anniversaire royal ». Mon cher Tuteur semble avoir redoublé d’efforts cette année. Le bustier blanc est recouvert de diamants et le jupon est constitué de volants soyeux aux teintes allant du bleu pâle presque blanc, au bleu un peu plus foncé. Il y a même une cape blanche chaude et épaisse pour aller avec. Fin prête, je fais un tour sur moi-même, sourire aux lèvres, puis rejoint Mrs. Wanamaker ainsi que mes trois amis. Archie est toujours assis entre Cassandre et Becky, le regard baissé sur la lettre que la directrice vient de lui donner. — Alors ? je demande. Il finit de lire le courrier, les sourcils froncés, tout en acquiesçant lentement. Je sens mon cœur trépigner d’impatience tandis qu’il prend le temps de formuler sa réponse. — Eh bien… (Il se lève, un sourire presque imperceptible au coin des lèvres.) J’ai passé les tests. Je vais être entraîné pour devenir Veilleur. J’émets un cri enthousiaste tout en frappant dans mes mains : — Je le savais ! Je me jette dans ses bras qui viennent se refermer autour de ma taille. Becky et Cassandre se joignent à nous et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je me retrouve coincée dans un câlin groupé. L’une des servantes nous demande de faire attention à mes cheveux, mais nous l’écoutons à peine. Ce n’est qu’une fois que Mrs. Wanamaker nous rappelle à l’ordre que nous nous détachons les uns des autres. Je remarque immédiatement la nouvelle enveloppe qu’elle tient entre les mains. — C’est pour vous, me dit-elle. Nous échangeons un regard furtif. Mes doigts se referment sur l’enveloppe au dos de laquelle est inscrit mon nom. L’écriture fine et soignée me fait savoir qu’il ne s’agit pas d’un courrier de la part d’Auden. Je l’ouvre d’une main tremblante. Archie, Becky et Cassandre s’approchent de moi. — Tu crois que…, souffle Cassandre. J’acquiesce ne lui laissant pas le temps de finir sa question. Je déplie la lettre à la va vite. Bingo. — Un ordre de présentation pour l’inscription au tirage au sort, j’annonce d’une voix calme et haute. Mademoiselle Charlotte Eliana Woods, Nous avons le plaisir de vous informer qu’en ce vingt-et-un mars, vous atteignez l’âge légal pour vous inscrire au tirage au sort qui aura lieu en l’honneur du vingt-cinquième anniversaire de notre cher prince Auden Conor Eikko Tremblay d’Andarane. Pour ce faire, il vous faut vous présenter au centre médical de votre pensionnat, munie d’une pièce d’identité. Sachez Mademoiselle que toute absence sera sévèrement sanctionnée. Le tirage au sort aura lieu le vingt-huit mars et, comme tous les vingt-cinq ans, chaque jeune fille tirée au sort aura le privilège d’être conviée au bal qui se tiendra le premier avril en l’honneur de l’anniversaire du prince. Les entraînements commenceront le lendemain du bal, et la première Epreuve se déroulera une semaine après. En espérant avoir le plaisir de vous voir bientôt, Salutations distinguées, Madame Samantha Gardiner Je prends une inspiration et remets soigneusement le courrier à sa place. Mrs. Wannamaker adresse un signe de tête à l’une des servantes qui le récupère. Un drôle de silence s’installe autour de nous rapidement rompu par des bruits en provenance de l’extérieur. Cassandre, Becky, Archie et moi nous précipitons à la fenêtre. Comme tous les ans, la cour du pensionnat a été aménagée de façon à pouvoir accueillir marchands, troupes itinérantes et danseurs à l’occasion du Earrach Feis, le Festival du Printemps. Cassandre et Becky m’attrapent par la main, enthousiastes et excitées à l’idée des festivités. Nous nous tournons vers notre directrice afin de lui demander silencieusement son accord. Elle nous adresse un sourire bienveillant signe que nous pouvons y aller. Les filles et moi ne nous faisons pas prier et sortons de la chambre d’un pas vif. — Faîtes bien attention et soyez de retour dans l’après-midi pour l’inscription de Charlotte ! — Comptez sur nous, répond Cassandre. Nous nous arrêtons dans le couloir attendant patiemment que notre Veilleur en devenir se joigne à nous. Ce dernier est toujours à l’intérieur de la pièce en pleine discussion avec Mrs. Wanamaker. Je me détache de mes deux amies et m’approche de la porte dans l’espoir de capter quelques bribes de leur conversation. Je sais que ça n’est pas bien d’écouter aux portes, mais tant pis. Je veux savoir ce qui leur prend autant de temps. Le dos collé au mur, je m’approche au maximum de façon à ne pas être vue. — Faites bien attention à elles. Vous savez ce qu’il en est les concernant, surtout Charlotte. — Je le sais. Ne vous en faîtes pas. — Bien. Je jette un coup d’œil rapide à l’intérieur de la pièce. Archie la salue d’un signe de tête, prêt à sortir. Je m’empresse de rejoindre Cassandre et Becky, comme si de rien n’était. Le regard de mon meilleur ami croise le mien. Une lueur solennelle parcourt ses yeux d’un noisette intense tandis qu’il s’arrête dans l’embrasure de la porte et se tourne vers notre directrice : — Bheirinn mo bheatha air a son. Tha fios aige air an sin.  ** ** ** ** **
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