XV… Nous avions déjà passé bien des heures ensemble, Rarahu et moi, au bord du ruisseau de Fataoua, dans notre salle de bain sous les goyaviers, quand Pomaré me fit l’étrange proposition d’un mariage.
– Et Pomaré, qui savait tout ce qu’elle voulait savoir, connaissait cela fort bien.
Bien longtemps j’avais hésité. – J’avais résisté de toutes mes forces, – et cette situation singulière s’était prolongée, au-delà de toute vraisemblance, plusieurs jours durant ; quand nous nous étendions sur l’herbe pour faire ensemble le somme de midi, et que Rarahu entourait mon corps de ses bras, nous nous endormions l’un près de l’autre, à peu près comme deux frères.
C’était une bien enfantine comédie que nous jouions là tous deux, et personne assurément ne l’eût soupçonnée. Le sentiment « qui fit hésiter Faust au seuil de Marguerite » éprouvé pour une fille de Tahiti, m’eût peut-être fait sourire moi-même, avec quelques années de plus ; il eût bien amusé l’état-major du « Rendeer », en tout cas, et m’eût comblé de ridicule aux yeux de Tétouara.
Les vieux parents de Rarahu, que j’avais craint de désoler d’abord, avaient sur ces questions des idées tout à fait particulières qui en Europe n’auraient point cours. Je n’avais pas tardé à m’en apercevoir.
Ils s’étaient dit qu’une grande fille de quatorze ans n’est plus une enfant, et n’a pas été créée pour vivre seule… Elle n’allait pas se p********r à Papeete, et c’était là tout ce qu’ils avaient exigé de sa sagesse.
Ils avaient jugé que mieux valait Loti qu’un autre, Loti très jeune comme elle, qui leur paraissait doux et semblait l’aimer… et, après réflexion, les deux vieillards avaient trouvé que c’était bien…
John lui-même, mon bien-aimé frère John, qui voyait tout avec ses yeux si étonnamment purs, qui éprouvait une surprise douloureuse quand on lui contait mes promenades nocturnes en compagnie de Faïmana dans les jardins de la reine, – John était plein d’indulgence pour cette petite fille qui l’avait charmé. – Il aimait sa candeur d’enfant, et sa grande affection pour moi ; il était disposé à tout pardonner à son frère Harry, quand il s’agissait d’elle…
Si bien que, quand la reine me proposa d’épouser la petite Rarahu du district d’Apiré, le mariage tahitien ne pouvait plus être entre nous deux qu’une formalité.