Les jours suivants furent teintés de douleur et de distance pour Alexandre et Éléa. Leurs regards ne se croisaient presque plus, leurs échanges se limitaient à des conversations strictement professionnelles. Mais malgré cette apparente froideur, l'attraction entre eux continuait de se faire sentir, comme une tension sous-jacente impossible à ignorer. Éléa faisait tout pour éviter de penser à ce qu'ils avaient failli faire, tandis qu'Alexandre luttait chaque jour contre les émotions qui le tiraillaient.
Cette distance n’apaisait ni l’un ni l’autre. Elle ne faisait que prolonger leur agonie, rendant chaque interaction plus lourde, plus difficile. Éléa voyait bien qu'Alexandre était en souffrance. Il ne souriait plus, sa présence au bureau n’était qu’une ombre de lui-même. Il semblait perdu, comme s'il avait laissé une partie de lui derrière. Il passait de longues heures enfermé dans son bureau, évitant toute interaction inutile, sans doute pour ne pas laisser paraître ses émotions.
Éléa, elle, se sentait prise au piège de ses propres sentiments. Elle savait qu'elle devait garder ses distances, mais chaque fois qu'elle croisait Alexandre, son cœur battait plus vite, et ses résolutions semblaient s'effondrer. Elle voyait dans ses yeux toute la douleur qu'il tentait de cacher, mais elle ne pouvait rien faire. Elle se sentait impuissante, incapable de changer la situation.
Ce matin-là, le bureau semblait particulièrement calme. Éléa s'efforçait de se concentrer sur son travail lorsqu'elle aperçut Sophie entrer dans les locaux. Tout de suite, son estomac se serra. Elle n’avait plus croisé Sophie depuis la dernière fois où elle avait assisté à une dispute entre elle et Alexandre. À chaque apparition de Sophie, Éléa ressentait un malaise grandissant. C’était comme si sa simple présence lui rappelait la barrière infranchissable entre elle et Alexandre.
Mais aujourd’hui, quelque chose dans l'attitude de Sophie semblait différent. Elle affichait un large sourire, comme si elle jouait un rôle, celui de la femme parfaite. Elle salua les employés avec une affabilité calculée, jetant des regards affectueux en direction du bureau de son mari. Éléa remarqua que Sophie portait une robe élégante, ses cheveux parfaitement coiffés, tout dans son apparence semblait étudié pour projeter une image de perfection.
Lorsqu'elle entra dans le bureau d'Alexandre, Éléa entendit la porte se refermer doucement. Elle ne pouvait s'empêcher d’être troublée par la situation. Comment Sophie pouvait-elle se comporter avec une telle légèreté alors que tout semblait s’effondrer autour d’elle ? Éléa était partagée entre le dégoût et la pitié. Sophie jouait un rôle, celui de la femme aimante, mais elle ne semblait pas voir les failles béantes dans son mariage.
Dans le bureau, Sophie se rapprocha d’Alexandre avec une désinvolture feinte, comme si tout allait bien entre eux. Elle lui lança un sourire éclatant en s'installant sur le bord de son bureau, croisant ses jambes avec nonchalance.
— Je pensais que ce serait sympa de passer te voir ce matin, dit-elle d’une voix douce, presque sucrée.
Alexandre leva les yeux vers elle, un air de fatigue évident sur son visage. Il hocha la tête, essayant de masquer la tension qu'il ressentait à sa simple vue.
— C’est gentil, répondit-il simplement, mais son ton manquait de chaleur.
Sophie, imperméable à son manque d’enthousiasme, continua de lui parler avec animation, racontant sa soirée avec ses amies, ses projets pour la semaine, tout en le caressant distraitement sur l’épaule. Éléa, qui était juste à côté dans son propre bureau, entendait chaque mot, chaque rire étouffé. Elle se força à garder les yeux rivés sur son écran, mais la présence de Sophie l'irritait plus qu'elle ne l’aurait imaginé.
Sophie ne voyait pas la réalité qui se jouait sous ses yeux. Elle semblait tellement absorbée par son propre monde, par son image et ses occupations, qu’elle ne remarquait pas à quel point Alexandre était brisé. Éléa, quant à elle, le voyait très clairement. Alexandre souffrait, et Sophie passait à côté de lui, indifférente à sa douleur. Chaque geste affectueux qu'elle posait semblait vide, comme une obligation sociale, un rôle qu'elle devait jouer.
Mais la mascarade ne dura pas longtemps. Alexandre, qui jusque-là avait tenté de rester calme, perdit soudainement patience.
— Sophie, commença-t-il, la voix tendue. Il faut qu’on parle.
Le sourire de Sophie vacilla légèrement, mais elle conserva sa façade.
— Oh, qu'est-ce qui ne va pas ?, demanda-t-elle d'une voix douce, mais il était évident qu’elle ne s’attendait pas à ce que la conversation prenne cette tournure.
Alexandre soupira, se passant une main sur le visage. Il semblait à bout de forces.
— Je n’en peux plus de cette situation, lâcha-t-il brusquement. Nous ne passons jamais de temps ensemble. Chaque fois que je fais un effort pour nous rapprocher, tu trouves une excuse pour m’éviter. J’essaie de sauver ce qui reste de notre mariage, mais j’ai l’impression que tu ne veux même pas essayer.
Sophie resta silencieuse un instant, surprise par la franchise soudaine de son mari. Éléa, bien que mal à l’aise, entendait tout à travers les cloisons minces. Elle se crispa à l’idée d’être témoin d'une nouvelle dispute, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un étrange soulagement. Alexandre disait enfin ce qu’elle avait elle-même remarqué depuis longtemps.
Sophie haussa les sourcils, visiblement vexée.
— C’est ridicule, Alexandre. Tu exagères comme toujours. Je suis là, je fais de mon mieux. Ce n’est pas parce que je sors avec mes amies de temps en temps que je ne m’intéresse pas à notre mariage.
— Ce n’est pas “de temps en temps”, rétorqua Alexandre, sa voix devenant plus dure. Tu passes plus de temps avec elles qu’avec moi. Comment veux-tu que je le prenne ? Je t’aime, Sophie, mais je ne peux pas continuer à me battre seul pour ce mariage.
Sophie roula des yeux, visiblement exaspérée.
— Je crois que tu dramatises, Alex. Tout va bien.
Le silence qui suivit fut écrasant. Éléa, à quelques mètres de là, ressentit un profond malaise, mais aussi une colère sourde contre Sophie. Comment pouvait-elle être aussi aveugle ? Comment pouvait-elle ne pas voir la souffrance de son mari, l’effort qu’il faisait pour sauver leur relation ? Éléa comprit alors que Sophie détruisait leur mariage par son indifférence et son manque de maturité. Elle jouait la femme parfaite, mais sous ce masque, il n’y avait qu’un vide émotionnel.
Le coup de grâce
Après un long moment de silence, Alexandre se leva de son bureau, le regard sombre.
— Je vais prendre ma journée, déclara-t-il brusquement.
Sophie le regarda, déconcertée.
— Quoi ? Pourquoi ? On est en train de parler !
— Non, toi tu parles, répondit-il froidement. Moi, j’essaie de te faire comprendre à quel point je souffre, mais tu refuses d’écouter. Alors, je vais partir. Peut-être que ça te fera réfléchir.
Sans un mot de plus, il se dirigea vers la porte, laissant Sophie seule dans le bureau, complètement abasourdie. Éléa, quant à elle, sentit son cœur se serrer en voyant Alexandre passer devant elle, l’air brisé. Il avait essayé. Il avait fait des efforts, mais Sophie n’était pas prête à comprendre.
Il quitta les lieux sans un regard en arrière, et Éléa sut, à cet instant, que quelque chose de profond venait de se briser.