La Luna du Dieu Alpha

9. Raja

Astrea se promenait tranquillement dans les étals du marché, prêtant une attention particulière à tout ce qui s'y trouvait et essayant de mémoriser tout ce qui pouvait lui être utile, à elle et à son Professeur. Cependant, elle a dû rapidement admettre qu'il n'y avait pas grand-chose... des vêtements usés, de vieux gadgets, de la nourriture douteuse et de vieux meubles cassés, voilà ce qui était proposé sur le marché des renégats.

Cette prétendue ville survivait à peine.

C'était précisément ce à quoi elle et son Professeur s'attendaient.

Des renégats par excellence. De la façon dont tout le monde les imaginait, et cela ne lui convenait pas.

Parce que Fenrir et son équipage étaient tout sauf typiques.

S'ils étaient en train de former un royaume, il devait sûrement y avoir des gens qui aspiraient à autre chose que cela... Et elle n'en voyait aucun ici.

"Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier qui t'intéresse ici ?" Elle n'avait même pas remarqué que Fenrir marchait si près derrière elle maintenant, et quand il s'est penché pour lui chuchoter ces paroles, son souffle était comme une brise fraîche sur sa peau dans la chaleur de la journée. Elle a dû se retenir de fermer les yeux et se détendre contre son torse massif, surtout après ce qui s'était passé dans la voiture en venant ici.

Quoi que cela ait été.

"Montre-moi juste tout", lui a-t-elle répondu en se retournant, principalement pour lui montrer qu'il ne l'intimidait pas et que le trajet en voiture ne l'avait en rien affectée.

"C'est tout", a-t-il plaisanté en enlevant ses lunettes de soleil et en agitant la main autour de lui. "Ou bien tu t'attendais à autre chose ?"

Il la mettait à l'épreuve, il se moquait d'elle.

"Non, Fenrir, c'est exactement ce à quoi je m'attendais", lui a-t-elle répondu en haussant un sourcil et en soutenant son regard. "Tu n'as pas réussi à me surprendre jusqu'à présent."

"Vraiment ?" Les coins de ses lèvres se sont relevés et elle savait que c'était une erreur de dire ça. "Donc, notre balade mouvementée n'a pas été une surprise suffisante ? Je prends des notes, Astrea."

"Moi aussi !" Lui a-t-elle répondu en relevant la tête avec défiance.

"Je vois que je dois augmenter le niveau de mon jeu", a-t-il dit en souriant narquoisement.

"Tu n'as pas idée !" A-t-elle soufflé avec agacement. "Dis-moi, Fenrir, comment se fait-il que ton palais ait eu tout ce merveilleux repas pendant que ton peuple mène une vie comme ça ? D'où ça vient, et pourquoi la distribution est-elle si injuste ?"

"Que puis-je dire, Astrea", a-t-il dit en faisant disparaître l'expression amusée de son visage en une seconde. "Nous sommes des renégats, et ici, c'est la survie du plus fort."

C'était une réponse raisonnable. Pour un renégat, bien sûr. L'île et la République du Sud étaient différentes.

Et pourtant, quelque chose clochait. Elle le sentait dans ses tripes, et son intuition ne l'avait jamais trompée jusqu'à présent.

"Te rends-tu compte que ce qui était sur ta table aujourd'hui pourrait nourrir quelques familles ici ?" Lui a-t-elle lancé, l'espièglerie disparaissant de leur regard réciproque.

"Et te rends-tu compte que nous avions un invité important avec nous ?" Lui a-t-il dit lui rappelant sa propre présence.

"Alors, c'est de ma faute maintenant ?" Elle n'arrivait pas à croire qu'il insinuait cela.

"Non, apparemment, je suis juste un mauvais dirigeant", a dit Fenrir avec moquerie, accentuant le dernier mot.

"C'est toi qui le dis, pas moi", a dit Astrea en haussant un sourcil, puis elle s’est retournée sur les talons, accélérant le pas pour le semer, de peur de dire quelque chose qu’elle pourrait regretter plus tard, sachant qu'elle était déjà allée trop loin.

Elle était déjà allée trop loin.

Tu es vraiment une diplomate, a ajouté Nova pour attiser le feu comme toujours.

J'apprends de la voix agaçante dans ma tête ! Astrea n'ignorait pas le petit coup de gueule de sa louve.

Elle semblait complètement déplacée dans son environnement alors qu'elle marchait dans les rues avec sa stupide tenue blanche et coûteuse. Elle le savait. Ce n'aurait pas été une mauvaise idée de se changer avant de quitter la forteresse, mais il était trop tard pour ça maintenant. Fenrir l'influençait de la pire des manières, et elle commettait une erreur après l'autre.

Astrea sentait sa présence à ses côtés, mais ne le lui faisait pas savoir. Bien sûr, il ne la laisserait pas se promener seule, mais moins il en saurait sur elle et son entraînement, mieux ce serait. Elle devait reprendre le contrôle.

Ils marchaient en silence pendant un moment et Astrea se précipitait dans l'une des ruelles étroites, Fenrir la suivant de près, tous deux ne se disant toujours pas un mot alors qu'ils s'enfonçaient dans l'obscurité.

Elle ne devait pas se comporter ainsi avec lui. Sa mission exigeait le contraire, mais... il la déstabilisait si facilement. Elle avait besoin d'une pause.

Une maison délabrée dans une petite rue avec une petite fille debout juste à côté de l'entrée attirait l'attention d'Astrea, et elle s'est retrouvée à s'y rendre sans même s'en rendre compte. C'était la première fois qu'elle voyait un enfant ici. Un enfant qui, pour une raison quelconque, était devenu un renégat. Quelque chose qui n'aurait jamais dû arriver dans une meute ou un groupe d'où elle venait.

Mais c'était ainsi.

"Salut ma chérie." Astrea essayait de sourire à la fille qui la regardait avec des yeux bleus et vifs. Pour une renégate, elle était plutôt propre et bien habillée avec un jean et un sweat à capuche rose. La petite fille n'avait aucune intuition qui pourrait lui sauver la vie en cet endroit.

"Salut", a murmuré la petite fille, un regard curieux parcourant l'étrangère de haut en bas.

"Emma ?" Astrea entendait une voix féminine à l'intérieur de la maison et a vu une femme sortir en courant, tenant une autre petite fille par la main. La deuxième fille était identique à la première, avec de boucles noires et frisées, avec des yeux noisette, portant presque les mêmes vêtements. La seule différence était une tache sur son sweat à capuche.

Des jumelles. Elever un seul enfant dans cette "ville" était probablement suffisamment difficile, cette mère avait des jumelles à entretenir.

La fille devant Astrea ne savait pas comment réagir, mais sa mère l'a tirée rapidement derrière elle par son poignet, regardant la louve devant elle avec méfiance. Astrea pouvait dire rien qu'au regard que cette femme se battrait jusqu'à la mort pour sa fille si elle le devait.

"Je ne vous veux aucun mal." A dit Astrea en levant les mains pour montrer ses intentions. "Je suis juste..."

"Tu n'es pas d'ici", la femme l'a interrompue, son hostilité était évidente dans sa voix.

"Non, je ne suis pas d'ici. Je suis une invitée..."

"Tu ferais mieux de partir !" La mère s'est emportée en ne voulant pas l'écouter. "Emma ! Ava ! À l'intérieur !"

"J'étais juste..."

"Tu es un désastre en puissance !" La femme a secoué la tête, se préparant à fermer la porte sur elle, les deux filles jetant des regards effrayés entre les deux adultes.

"Elle est avec moi !" A dit Fenrir en empêchant la porte de se fermer avec sa main, et pendant un moment, la femme semblait sur le point de le frapper en état de légitime défense. Ses yeux parcouraient tout son corps, et Astrea a remarqué que ses lèvres s'écartaient sous le choc lorsque ses yeux se sont attardés sur les cicatrices du Roi des renégats, puis sur les bracelets de perles à son poignet. Une chose à laquelle Astrea n'avait jamais prêté attention auparavant, pensant qu'ils faisaient simplement partie du look de Fenrir.

Maintenant, elle commençait à remettre leur présence en question. Le Roi des renégats ne s'intéressait pas à la mode, et il était peu probable qu'il suive une tendance, même s'il y en avait ici. Les bracelets signifiaient-ils quelque chose ? Personne d'autre ici ne les portait, bien qu'elle n'ait pas spécifiquement cherché à les trouver.

"C'est vous..." a murmuré la femme, et Fenrir a hoché la tête en réponse.

"Astrea, pourrais-tu nous laisser seuls quelques minutes, s'il te plaît ?" Son ton laissait entendre que ce n'était pas une demande. C'était un ordre.

Elle a d'abord hésité, mais s'est rendue rapidement compte que cela ne la dérangeait pas de partir. Elle ne pouvait rien faire pour la famille aujourd'hui de toute façon, et si Fenrir avait une chance de les aider d'une manière ou d'une autre, elle l'accepterait volontiers.

Elle s'est éloignée donc, plongée dans ses propres pensées. Voir les jumelles lui rappelait des choses qu'elle pensait avoir déjà oubliées.

Elle avait aussi une jumelle autrefois. Elle avait une famille.

Et ils lui ont tous été arrachés lors d'une nuit fatidique.

Astrea n'était même plus sûre de se souvenir correctement des événements. Pourtant... certains détails étaient gravés dans sa mémoire pour toujours.

Leur voiture roulait au milieu des bois le soir lorsqu'elle s'était soudain retournée, faisant tourner le monde autour d'eux. Astrea se souvenait des cris de sa sœur, Stella, sa fausse jumelle qui lui ressemblait encore tellement.

Elle se souvenait des monstres qui les avaient attaquées, brisant la vitre et emportant d'abord l'homme au volant. Probablement son père... elle ne pouvait plus s'en souvenir.

Seule la ceinture de sécurité la maintenait en place et son frère aîné, Brian, avait coupé les sangles avec ses griffes pour Stella et elle malgré sa grave blessure, leur criant de s'enfuir pour sauver leur vie.

Elle se souvenait de la peur qui avait saisi son corps, l'empêchant de bouger quand il était temps de s'enfuir. Brian s'était transformé pour essayer de les protéger, mais deux énormes bêtes noires l'avaient déchiqueté devant ses yeux, mettant fin à sa jeune vie.

Les sœurs se serraient les doigts comme si cela allait les aider, puis elles ont couru. Elles ont couru. Couru, couru, couru.

Leurs robes blanches assorties étaient comme des balises pour les monstres, les rendant facilement repérables dans l'obscurité. Stella n'avait qu'une seule chaussure après l'accident et était légèrement en retard quand elles l'ont attrapée, rompant la prise des jumelles et les séparant. Astrea s'est tournée pour voir où se trouvait sa sœur, pour trouver sa jumelle déjà morte par terre. La robe de Stella n'était plus blanche... Elle voulait pleurer et crier, mais pour une raison quelconque, elle ne pouvait pas. Les yeux brillants des bêtes noires la regardaient, leurs grognements lui faisant comprendre qu'elle était la prochaine.

Il n'y avait pas d'issue.

Elle reculait pas à pas jusqu'à ce qu'elle trébuche et tombe dans une petite pente qu'elle n'avait pas remarquée, roulant jusqu'aux racines d'un grand vieil arbre. Couverte d'égratignures et de contusions, elle rampait désespérément entre les racines massives, essayant de se cacher. En quelques instants, elle a vu les racines s'écraser et des éclats lui voler au visage.

Une douleur perçante dans sa cuisse, et elle était traînée vers sa mort inévitable.

Le monstre qui l'avait saisie avait décidé de prendre son temps avec elle et de profiter de ce dernier meurtre de la nuit.

Elle n'avait même pas eu sa première transformation nocturne pour avoir une chance de se battre. Il n'y avait aucun moyen de se défendre, et quand les griffes lui ont tranché l'abdomen, il n'y avait rien qu'elle pouvait faire à part crier alors que la douleur immense se propageait dans son petit corps.

Un cri guttural sortait de sa poitrine, et par miracle, le monstre s'est éloigné d'elle avant même qu'elle ne réalise ce qui se passait.

Le sang jaillissait de ses plaies, et elle se sentait si effrayée et seule quand des mains chaudes se sont posées sur sa peau, des yeux ambrés qui se verrouillaient sur les siens.

"Je te tiens, petite", a dit le Professeur d'un ton rassurant. "Je suis là maintenant, et personne ne te fera de mal."

Astrea n'a pas remarqué à quel point elle avait réussi à s'éloigner seule. Elle a été ramenée brutalement à la réalité quand quelqu'un a attrapé son poignet et l'a tirée dans une des ruelles sombres, lui couvrant la bouche de la main en même temps.

"Doucement !" A murmuré l'homme inconnu à son oreille comme si cela devait la calmer.

Cependant, c'était intéressant. Exactement la distraction dont elle avait besoin pour éviter de se noyer dans ses pensées et ses souvenirs.

Elle était curieuse de voir où cela allait conduire. Cet homme était-il seul, ou avait-il un complice ? Allaient-ils commettre un crime ou peut-être essayaient-ils de la prévenir ? S'agissait-il effectivement d'un crime, à quel point était-il bien organisé ? Après tout, elle devait tout savoir... le bon et le mauvais.

Il essayait de la jeter à terre lorsqu'il a jugé que c'était assez sûr, mais Astrea savait comment retrouver son équilibre rapidement, elle restait donc debout, jetant rapidement un coup d'œil à ses alentours.

Une impasse. Deux à gauche, et deux bloquent la sortie. Nova a confirmé ce qu'Astrea savait déjà.

C'était un piège

"Il n'est pas nécessaire de se faire mal", a dit l'un des quatre hommes alors qu'ils l'entouraient. Ce gang avait l'air de vrais renégats, avec toute la saleté et les mauvaises intentions dans leurs yeux. De vrais criminels qu'Astrea ne serait pas trop désolée de tuer

"Nous n'avons pas vu un bel oiseau comme toi depuis notre arrivée ici", a dit celui qui ressemblait à leur chef avec un rire, immédiatement soutenu par son équipage.

"Nous voulons juste nous amuser", a dit un autre, la regardant avec convoitise, ce qui la faisait frissonner.

"Les garçons", les lèvres d'Astrea se retroussaient involontairement. "Pourquoi ne l'avez-vous pas dit plus tôt ? J'étais justement à la recherche d'un peu d'amusement moi-même."

Sa réponse les surprenait, mais pas au point de les faire fuir. Suffisamment pour les arrêter afin qu'ils ne fassent rien pendant qu'elle se débarrassait élégamment de sa longue veste blanche et la plaçait soigneusement sur quelques boîtes, en étirant son cou au passage.

Déesse de la Lune, elle avait besoin de ça maintenant.

Les quatre hommes se rapprochaient lentement d'elle, et elle les gratifiait de son sourire le plus éblouissant, "Messieurs, on y va ?"