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Violence et bonté

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Extrait : "Entièrement tapissée de vigne vierge et cachée sous l'ombrage d'un tilleul, la maison du vieux Desnoyers faisait un charmant point de vue, et les promeneurs qui, de loin, l'apercevaient comme un nid sous les feuilles, ne manquaient pas de se dire : « Qu'on doit être bien là ! Quelle tranquillité ! Que ces gazons sont frais ! Que cette eau est limpide ! Il fait bon vivre dans cette petite retraite. » C'était effectivement une retraite..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - La maison du vieux garde-1
I La maison du vieux garde Entièrement tapissée de vigne vierge et cachée sous l’ombrage d’un tilleul, la maison du vieux Desnoyers faisait un charmant point de vue, et les promeneurs qui, de loin, l’apercevaient comme un nid sous les feuilles, ne manquaient pas de se dire : « Qu’on doit être bien là ! Quelle tranquillité ! Que ces gazons sont frais ! Que cette eau est limpide ! Il fait bon vivre dans cette petite retraite. » C’était effectivement une retraite, et des plus jolies, offerte par Mme d’Embrun au vieux garde en qui son mari avait mis, à juste titre, toute sa confiance. Ce brave homme avait servi la famille de M. d’Embrun depuis l’âge de quinze ans, et il en avait plus de soixante. Son dernier maître venait de mourir, et le vieux garde l’avait pleuré comme un ami, car Albert était non seulement juste et bon, mais aimable. Dès les premiers jours qui avaient suivi la mort du jeune chef de famille, le respectable Desnoyers avait été complètement rassuré sur son propre sort et celui de sa femme, la vieille Corentine. La riche veuve, maîtresse absolue de la propriété, avait dit au vieillard : « Rien n’est changé ici ; mon bon mari a été rappelé de Dieu, mais son souvenir remplit ce domaine, et je respecterai jusqu’aux moindres désirs de M. d’Embrun. Il savait combien vous êtes fatigué, et il avait le projet de vous dire : « Repose-toi, mon vieil ami ; voici un toit, un foyer, tu ne nous quitteras jamais. » Il est parti ; mais je suis là, et je vous dis aussi : « Voici un toit et un foyer. » Et depuis ce jour-là un homme jeune et robuste avait pris la charge qu’exerçait jusque-là Desnoyers ; et celui-ci, souffrant de rhumatismes, et boitant même un peu, s’était paisiblement établi avec sa femme dans le gracieux pavillon qu’on allait appeler dorénavant : la maison du vieux garde. Dans le premier moment, il y avait bien eu, au fond du cœur, un sentiment pénible : « On croit donc que je ne suis plus bon à rien ? » Mais cette amertume n’avait été que passagère, car Mme d’Embrun, toute bonne et bienveillante, avait promptement ajouté : – Me voilà seule ; j’ai besoin d’être aidée, secondée, pour élever le mieux possible mon petit Robert, le fils unique que mon bon mari m’a laissé. Vous savez combien cet enfant vous aime ? – C’est vrai, Madame ; feu notre cher maître me disait quelquefois en riant : « Je suis jaloux, mon vieux ; Robert aime autant être chez toi qu’avec nous ». – Eh bien, Desnoyers, je veux me servir de cette affection même pour lui faire du bien. Vous connaissez le malheureux défaut qui semble grandir avec lui ? Vous et votre femme êtes doux et paisibles. Je désire que, quand mon enfant ne pourra pas être avec moi, il soit auprès de vous. Dans votre maison il ne verra que de bons exemples et n’aura jamais sous les yeux des scènes de violence, propres à développer en lui ces dispositions à la colère qui me désolent ! – Que Madame ne s’en mette pas trop en peine. Le petit a bon cœur ; avec ça on arrive à se corriger. – Ah ! j’espère que ce défaut ne deviendra pas une passion, mais je n’en réponds pas. Combien d’hommes ne savent pas maîtriser leurs emportements ! Et ceux-là ont été, comme mon petit Robert, des enfants dont la violence ne tombait, que sur des riens. Plus tard, pourtant, ils ont fait des victimes ! » C’est par ces quelques mots que Desnoyers avait été dédommagé de la cession qu’il faisait à un autre de ses attributions de garde. Il ne battrait plus les bois, à la recherche des braconniers, il ne serait plus le premier défenseur de Mme d’Embrun, de son fils et de ses biens. Ce rôle actif passait au leste et nerveux Brossard, mais lui, vieux serviteur, il allait protéger spécialement l’enfance de Robert, l’héritier de son jeune maître, de cet Albert qu’il avait initié aux plaisirs de la campagne : à la chasse, à la pêche, aux longues courses à travers champs. Cet Albert, il l’avait profondément aimé ; et, pour en donner la raison, il avait coutume de dire : « Ce jeune homme-là, c’était la crème des riches ! Et puis, je, l’avais vu naître ! » Corentine avait eu quelque peine à quitter la maisonnette où elle s’était mariée, où elle avait vécu pendant trente-cinq ans ; mais il fallait bien se rendre à l’évidence ; son mari n’était plus en état de remplir les laborieuses fonctions de garde, et la retraite, si honorable, qu’on lui offrait ne pouvait qu’exciter un sentiment de reconnaissance. La bonne femme s’était donc installée dans le pavillon, à l’ombre du tilleul. Elle y avait aussi installé son chat, le modèle de ceux de sa race, doux par nature et parce qu’il était toujours à moitié endormi. Depuis que le tranquille Minet était accoutumé au pavillon, sa tranquille maîtresse en avait fait autant, et elle finissait par regarder sans tristesse, entre les hauts peupliers, la maison blanche, au toit de tuiles, qui avait été si longtemps la sienne. Quant à Desnoyers, ce qui le consolait, c’était d’abord son titre de garde qu’on lui avait, d’un commun, accord, conservé, en y ajoutant l’épithète de vieux, qui, loin d’être blessante, à Hauteroche, y proclamait le droit aux égards et au respect. Ce qui, d’autre part, rassérénait complètement le front du bon serviteur, c’était de voir le petit Robert se trouver bien auprès de lui et de Corentine, passer des heures dans le pavillon ou dans le jardinet, qui en était devenu comme une dépendance, enfin éprouver beaucoup de plaisir à caresser le gros chat, dormant des demi-journées sur les genoux de Corentine. « Le bel enfant ! s’écriait parfois le vieillard. Vois-tu, ma femme, il me rappelle Albert à cet âge : c’est son regard franc, sa parole nette, assurée, sa vivacité, son bon cœur. – M. Albert n’a jamais été pétulant jusqu’à la colère. Va, Guillaume, il ne sera pas ce qu’était son papa. Ah ! ces hommes-là ne devraient jamais mourir ! ils font de si bons maîtres ! Quand on les voit en haut, et soi en bas, on est content tout de même. – Oui, M. d’Embrun méritait d’être aimé pour lui-même, à part ses grands biens et l’influence que lui donnait sa position dans le pays ; mais, entends-le bien, ma femme, j’aimerais son enfant rien qu’à cause de lui. Et puis enfin, il est gentil, ce petit ; il a des moments charmants. – En passant : mais le plus souvent il est insupportable ; criant, frappant du pied à la moindre contrariété. Je me souviens, moi aussi, de l’enfance de M. Albert. Ah ! quelle différence ! Il rendait sa mère heureuse, lui ! tandis que M. Robert, à cinq ans, a déjà fait pleurer la sienne. – Bonne dame ! elle a aussi par trop peur ; tout ça s’arrangera avec le temps. » Comme on le voit, les vieux époux ne s’entendaient pas sur tous les points. Cependant ils ne se querellaient pas pour cela ; chacun gardait sa manière de voir, et voilà tout. Ce ménage était si uni, si heureux, que dans la famille des châtelains on avait surnommé Desnoyers Philémon, et sa femme Baucis. Souvent Mme d’Embrun donnait ce surnom à son vieux garde, quand elle parlait de lui à sa cousine. Mlle Trépiez, cousine par alliance de la jeune veuve, avait au moins le double de son âge, et semblait n’être là que pour exprimer des idées opposées à celles de Mme d’Embrun. La grande bonté de celle-ci pouvait seule entretenir la paix dans l’intérieur. C’était, entre ces deux femmes, un antagonisme involontaire, provenant d’opinions contraires sur tous les sujets imaginables. Cette cohabitation, Mme d’Embrun la supportait avec une patience de tous les instants. Le champ de bataille où l’on se serait le plus souvent battu, si la douce Emmeline avait eu d’autres armes que le silence, c’eût été l’ensemble des théories sur l’éducation des enfants. En face de la violence de Robert, sa mère voulait établir le calme par la bonté. Elle prétendait adoucir le naturel de son enfant par sa propre mansuétude, et s’efforçait, dans les punitions qu’elle devait imposer, de rester froide, grave et de se posséder. La théorie de Mlle Trépiez était tout à fait autre. D’un caractère ombrageux et impétueux, elle éprouvait, devant les fureurs du petit garçon, une émotion si subite et si peu contenue que, s’il lui avait appartenu, elle eût toujours commencé par tomber dessus, lui adressant les paroles les plus menaçantes, et lui administrant les claques les mieux appliquées. « Il n’y a que cela, disait-elle, d’un ton qui n’admettait pas la réplique. Si j’avais des enfants, je vous réponds qu’ils seraient sages ! Je les camperais aux quatre coins de ma chambre, et ils s’amuseraient comme ils pourraient, sans bruit surtout ! Mais, à la moindre colère, je les fouetterais d’importance, et trois fois de suite ! » Mme d’Embrun ne pouvait s’empêcher de sourire, tout en se félicitant de n’avoir été que la cousine. Robert n’aimait guère Mlle Trépiez ; et plus d’une fois, en l’entendant exposer devant lui son plan d’éducation, il s’était sauvé dans la maison du vieux garde, pour raconter ses propres méfaits, avec plus ou moins de componction, et les sinistres discours de la vieille cousine. Quand Robert était chez son bon ami Desnoyers, il se croyait au port. Ce vieillard, avec sa haute taille, sa large carrure et ses moustaches grises, lui semblait le symbole de la puissance, et, une fois sous son égide, il croyait que nul danger ne pouvait le menacer. Le plus doux passe-temps de Robert était le jardin de son vieil ami, où il restait quelquefois plusieurs heures à jouer. Dans ce jardin, le brave homme cultivait les fleurs dont Mme d’Embrun aimait autrefois à se parer. C’étaient surtout des roses. Son mari lui en apportait souvent une, choisie parmi les plus belles ; et, comme depuis son veuvage, elle n’en souffrait plus à son corsage noir, Desnoyers avait dit à l’enfant : « Si vous le voulez, je vous apprendrai à cultiver les roses ; et quand vous serez un peu plus grand, vous en obtiendrez de très belles, que vous offrirez à votre maman, comme le faisait votre papa. – Maman n’aime plus les roses depuis que papa est au ciel. – Elle aimera celles que vous aurez soignées vous-même. – Tu crois ? – J’en suis sûr. – Alors apprends-moi ? Comment fait-on pour cultiver les rosiers ? – On les arrose, on les taille au printemps ; on retranche les branches mortes, ou malades ; et quand on voit que le rosier languit, on lui met, au pied, un peu de bon terreau. – Je ne saurais jamais faire tant de choses. – On les fait l’une après l’autre ; je vous apprendrai, vous verrez. – Ah ! tant mieux ! Je ferai venir des rosés ! des roses pour ma petite maman ! » C’étaient deux bien bons amis que le vieux garde et l’enfant. Néanmoins le pavillon servait parfois de théâtre à de tristes scènes. Lorsqu’une contrariété vive troublait la joie de Robert, il devenait tout à coup irrité, témoignait son déplaisir par des cris, des gestes, des trépignements, et, s’excitant de plus en plus par sa propre impatience, il arrivait à la colère : colère d’enfant sans doute, mais qui présageait les colères lointaines de l’âge viril. Dans la maison du vieux garde, Robert était à son aise et content. Il se plaisait à suivre Desnoyers dans ses menus travaux, et l’aidait volontiers, ou du moins croyait l’aider. Robert avait conservé, de la familiarité de ses premières années, l’habitude de tutoyer son vieil ami ; et quand, d’après l’avis de sa mère, il avait essayé de perdre cette habitude, Desnoyers s’y était formellement opposé, disant : « Votre père ne m’a pas fait ce chagrin-là ; quand il était tout petit, je le prenais sur mon bras, je l’assoyais sur mon épaule, ou je le mettais à cheval sur mon cou, et il me disait : "Je t’aime !" Quand il est devenu seul maître du château et de la moitié du pays, il m’a dit : "J’ai confiance en toi". Enfin, quand il s’est vu mourir, il m’a dit : "Adieu ; reste auprès de ma femme et de mon enfant ; ne t’en va jamais !" Et vous, qui êtes son petit garçon, vous voudriez ne pas me tutoyer ? Ah ! vous me feriez pleurer ! » L’enfant, avec l’élan de son bon cœur, s’était jeté au cou du vieux garde en disant : « Je veux faire comme papa, car moi aussi je t’aime ! » Desnoyers, c’était pour Robert le mobile de la vie active. Près de lui, il apprenait à devenir fort, entreprenant, hardi comme doit l’être un garçon ; même il faisait fièrement l’exercice, son petit fusil au bras, sous les yeux du vieux garde, qui criait d’une voix de stentor : « Garde à vous ! – Portez arme ! – Présentez arme !… » Et le reste. Le conscrit n’était jamais plus content que quand Desnoyers affirmait qu’il avait des dispositions toutes particulières pour le service militaire ; il se redressait alors et gagnait deux centimètres en hauteur. Ses jeux favoris étaient, avec le fusil, une trompette, un tambour, un sabre, une giberne, un canon, tout ce qui, dans son esprit, lui donnait le droit de dire avec orgueil : « Je suis soldat ! » Dès son jeune âge il semblait comprendre que rien n’est beau, rien n’est noble, rien n’est admirable comme l’abnégation du soldat.

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