Prologue
Plusieurs siècles plus tôt :
Christoff ignora les jeunes garçons et les jeunes filles du village quand il le traversa en courant. Plusieurs d’entre eux s’arrêtèrent pour le montrer du doigt et se moquer de lui. Il était presque deux fois plus petit qu’eux alors qu’il avait le même âge. Il était né prématurément et n’avait jamais vraiment rattrapé son retard sur les autres.
— Lemar, attends ! cria Christoff à son frère aîné.
Ce dernier grimaça en le regardant par-dessus son épaule.
— Rentre à la maison ! lui ordonna-t-il.
— Mais père m’a dit de t’aider à ramener les objets dont il a besoin pour réparer le système d’irrigation, dit Christoff.
Lemar s’arrêta et pivota sur ses talons d’un air furibond pour faire face à son frère. Bien que Christoff eût l’habitude que son grand frère soit fâché contre lui, cela le dérangeait quand même. Il essayait cependant de ne pas le montrer car cela ne ferait qu’accroître la méchanceté de Lemar à son égard.
— Rentre à la maison, Christoff, répondit cruellement Lemar. Je ne veux pas être vu avec toi.
— Mais, commença-t-il à protester.
Il déglutit quand Lemar le poussa en arrière avec assez de force pour le faire tomber. Il leva les yeux vers son frère aîné et tenta de ne pas lui montrer à quel point cela le blessait. En arrière-plan, il entendit les jeunes du village ricaner et l’insulter encore plus.
— Je t’ai dit de rentrer à la maison, lança sèchement Lemar. Tu te ridiculises. Je ne veux pas que les autres pensent que je suis comme toi, faible, inapte à être un guerrier.
— Je ne suis pas faible, protesta Christoff. J’aide à la ferme pendant que tu pourchasses les femelles.
Il grimaça à la vue de la rage qui brilla dans les yeux de Lemar. Son dragon et son symbiote sentirent que son frère était sur le point de perdre le contrôle une fois de plus. Christoff laissa son dragon sortir lorsqu’il vit son frère se transformer. Son symbiote forma une fine armure autour de lui. Il était, comme son dragon et lui, plus petit et plus faible que la plupart de ceux des autres garçons.
Il roula pour se relever seulement quelques secondes avant que Lemar ne se jette sur lui. Le coup qu’il lui porta en plein torse fut douloureux et le vida de son air. Il savait qu’il lui serait impossible de vaincre son frère. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était essayer de se protéger autant que possible de la raclée qu’il était sur le point de recevoir.
Lemar ! Père m’a dit de venir t’aider. S’il te plaît, ne sois pas fâché, murmura-t-il, essayant de calmer son frère quand il le frappa de nouveau, cette fois à la patte avant gauche.
Tu n’écoutes jamais ! Tu es faible et inutile, Christoff ! Tu ne devrais même pas vivre, grogna Lemar en frappant de nouveau son frère avec sa queue, lui laissant une longue série de marques dans le dos.
C’est pas vrai, j’écoute, se défendit Christoff. J’écoute mère et père. Ils ne pensent pas que je suis faible et inutile.
Il grimaça quand son frère lui mit un coup de queue dans la mâchoire. La force du coup le fit tournoyer. Un cri rauque lui échappa lorsque Lemar prit une de ses ailes déformées entre ses dents acérées et mordit.
Son dragon réagit en enroulant sa queue autour de la cheville gauche de Lemar avant de tirer dessus tout en se jetant en arrière afin de faire cesser la douleur. Ce double mouvement fit tomber les deux dragons. Christoff roula immédiatement quand il sentit Lemar lâcher son aile afin de protéger son dos. Des larmes roulaient le long de ses joues tandis qu’il s’efforçait de se libérer avant de se relever en tremblant.
Il se tordit de peur et lança son pied vers son frère quand il lui attrapa la patte. Un hurlement de douleur lui échappa quand Lemar enfonça ses griffes acérées dans son mollet. Christoff sentit une vague de panique quand sa patte se déroba sous lui, le faisant retomber par terre.
Lemar profita de sa faiblesse pour rouler sur lui. Les griffes pointues qui se trouvaient dans son mollet un instant plus tôt s’enfonçaient à présent dans sa gorge, l’asphyxiant. Il se débattit faiblement pour repousser Lemar, mais c’était inutile. Son frère l’emportait largement sur lui.
Christoff était certain que Lemar ne s’arrêterait pas cette fois. Son frère aîné avait honte de lui, il le savait, mais il n’aurait jamais cru qu’il irait jusqu’à le tuer par frustration et par honte. Luttant pour reprendre son souffle, il leva les yeux et vit la haine qui brûlait dans ceux de Lemar.
Non, cette fois mon frère ne s’arrêtera pas, pensa Christoff, résigné, alors que des points noirs commençaient à obscurcir sa vision.
Lemar avait peut-être raison. Il aurait peut-être été préférable qu’il meure lorsqu’il n’était qu’un nourrisson.
— Lemar, arrête ! ordonna l’un des vieux guerriers. Lâche immédiatement ton frère.
Christoff était certain que Lemar n’aurait pas écouté l’ordre de l’ancien si le symbiote de celui-ci ne lui avait pas grogné pas dessus. Son frère lui lança un dernier regard haineux avant de le lâcher et de s’éloigner brusquement, se retransformant en sa forme bipède alors qu’il s’éloignait du corps affaissé de Christoff.
— Il ne devrait pas être en vie, grogna Lemar avec colère en agitant la main. Il est faible, pathétique ! Il ne peut pas protéger notre village et il ne sera jamais assez bien pour trouver une compagne.
— Je sais, mais ce n’est pas à toi de le tuer, déclara l’ancien. C’est à ton père.
Christoff se transforma et se retourna jusqu’à être assis. Il essuya les larmes sur ses joues d’un geste frustré. Il savait que Lemar le détestait encore plus quand il pleurait.
— J’aide père, se défendit Christoff en se frottant le nez contre son bras. Je travaille dur.
L’ancien se tourna pour le regarder avec dégoût.
— Tu ne seras jamais apte à être un guerrier, petit. Tu crois aider tes parents, mais ils te donnent des corvées qui ne conviennent même pas à une femelle.
Christoff essuya les nouvelles larmes qui coulèrent sur son visage quand les villageois assemblés ricanèrent et opinèrent de la tête. Il se mit debout en chancelant avant de serrer les poings le long de son corps et de lever la tête. Son père et sa mère savaient qu’il n’était pas faible. Ils lui disaient chaque jour combien il leur était précieux. Il travaillait dur à leurs côtés dans les champs pendant que Lemar allait au village pour lutter avec les autres garçons et faire du charme aux femelles. Il devenait plus fort chaque jour. Oui, ses ailes ne lui permettraient sans doute jamais de voler, mais il pouvait tout de même se transformer en dragon et se battre. Son père lui enseignait comment faire et un jour, il vaincrait Lemar et montrerait à son grand frère qu’il pouvait défendre le village si nécessaire.
— Ce n’est pas vrai, murmura Christoff en fixant l’ancien, la tête haute. Le pain que vous mangez vient de nos champs. Je travaille avec mon père et ma mère pour planter, faire pousser et récolter les céréales qui servent à le faire. Je suis pas faible !
Le mâle plissa les yeux en guise d’avertissement.
— Change de ton avec moi, mon garçon, ou je finirai ce que ton frère a commencé, grogna l’ancien. Prends ce que tu es venu chercher et rentre chez toi. Je parlerai à ton père des perturbations qui ont eu lieu aujourd’hui.
Christoff voulut protester mais son dragon et son symbiote le pressèrent tous les deux de se taire. Pivotant maladroitement sur ses talons, il ignora les rires tandis qu’il se frayait un chemin vers l’atelier de ferronnerie. Il prendrait les pièces dont son père avait besoin et rentrerait chez lui. Il savait que Lemar ne rentrerait pas avant la tombée de la nuit.
— Tu aurais dû le tuer, Lemar, dit l’une des jeunes filles juste assez fort pour qu’il l’entende. Tu es si fort. Je n’arrive pas à croire que tu aies un frère comme Christoff.
Ce dernier ignora la vague de douleur qui l’envahit en entendant ces mots blessants. Il montrerait à tous qu’il était fort et alors la déesse baisserait les yeux vers lui et les comblerait, son dragon, son symbiote et lui.