En ce qui la concernait, elle paraissait tout à fait consolée quand elle me rejoignit pour le dîner intime dans le petit salon où Fathi lui-même nous servit. Elle était nue sous un pyjama vert d’eau que nouait, très lâchement, une large ceinture orange. Elle nous eut vite débarrassés de Fathi. Elle paraissait inquiète de mes réponses brèves et de la méchanceté de mon regard, aussi de mon peu d’appétit. « Deary, je vois que vous n’êtes pas content. Why ?C’est moi qui devrais. Je vous avais dit de ne pas jouer !… » Je fis un gros effort : « Helena, cette fantasmagorie doit prendre fin… Je regrette qu’elle finisse si tôt, voilà tout ! Je vous dois de trop belles heures pour que vous doutiez que j’en garderai – et pour moi seul – l’ineffaçable souvenir… Helena, je vais partir ce soir… Arrangez-vous, avec Mary… Vendez-lui une de vos robes !… Vous mettrez le comble à vos bontés en me procurant vingt-cinq louis… » Elle se retourna vers moi, brusquement, et me prit la tête entre ses doigts crispés : « C’est vrai, darling, tu veux me quitter parce que je suis pauvre ? – Je vais vous quitter pour ne pas devenir fou ! Vous ne vous rendez pas compte une seconde de la situation dans laquelle m’a placé Durin !… Et je sais que mon séjour ici ne fait que la compliquer… Helena, j’entrevois un abîme. S’il en est temps encore, Helena, chère Helena, laissez-moi en sortir !… – Mais vous ne pensez qu’à vous ! Que vais-je devenir toute seule ? Je vous aime tant, cher, cher Rudy !… I love you so much !… Et qu’est-ce que dira Sir Archibald quand il saura que vous m’avez quittée si tôt ?… Je lui ai écrit que vous étiez heureusement arrivé et que vous consentiez… à être… comment on dit en Italie ?… sigisbée ?… enfin, mon flirt jusqu’à son retour ! Il a la plus grande confiance en vous, darling !… Naturellement, avant son retour, vous seriez parti, car, lui aussi, il verrait le mensonge de votre visage. Songez que nous avons passé six semaines ensemble… et puis il faut que vous plaidiez pour ce pauvre Durin !… Mais nous avons le temps ! Pourquoi précipiter les choses ?… Vous êtes vraiment tragique, cher… Why ?Tout s’arrange dans la vie, je vous assure !… Pour les robes, il ne faut pas y penser… vous ne connaissez rien du monde. Oh ! je vous dis, vous êtes un enfant, juste un simple baby !… Elles sont déjà toutes vendues… C’est une affaire faite depuis longtemps avec Mary et Fathi… Je ne puis, moi, Lady Skarlett, porter une robe plus de deux fois… Now, I couldn’t, alors, j’en ai fait de l’argent… tout de suite… J’ai déjà même touché sur les robes de la saison prochaine… Mary est très bonne… mais elle ne peut faire plus. Je vous dis que je suis dans la dernière des misères, la reine des paupers (mendiants), ajouta-t-elle en riant de toutes ses dents éclatantes. Je suis cassée. Vous n’aurez pas le cœur, Rudy, de quitter une petite femme aussi misérable !… » Et, câline comme une chatte d’appartement, cette lionne me mettait ses petites pattes redoutables sur la bouche pour m’empêcher de répondre, me baisait les paupières, me frôlait de toute sa chair odorante. Du coin de sa serviette trempée dans le champagne, elle chassait encore l’image de l’autre et c’était moi, bien moi, qui roulais, pantelant, sur sa gorge d’airain brûlant. Inutile de dire que les jeux les plus sérieux succédèrent à ces menues tendresses. Le cerveau vide, anéanti, je gisais entre ses bras comme une bête morte. Elle put croire que je dormais. Mensonge ! Entre mes cils mi-clos, je l’observais. Elle avait à nouveau ce regard dur, froid comme l’acier, ce regard brutal de ceux qui se préparent au combat, qui rassemblent avant de les extérioriser toutes les facultés dont ils espèrent la victoire, ce regard que je lui avais vu à plusieurs reprises, quand je l’avais retrouvée, après nos premières heures d’amour, dans l’auto qui nous conduisait à Rouen. Elle vit tout à coup que je ne dormais pas… Elle se pencha sur moi, brusquement : « Ah ! tu me regardes ?… Tu te demandes à quoi je pense ! Rudy, je vais te le dire !… toi aussi, tu vas me connaître sous mon vrai visage ! Look here ! J’ai bien réfléchi depuis hier, depuis cette nuit ! La vie avec toi me plairait… La vie dont j’ai un tel dégoût que je me vautre sur elle comme sur un tapis de luxure dans une boîte à plaisir !… Et s’il n’y avait que le dégoût, mais il y a aussi l’ennui. I am sick of it all, je suis malade de tout ! Avec toi, je ne m’ennuierais pas. Tu es si jeune… et joli vraiment… et si bêta ! Durin t’a tenu par le bout du nez, il t’a eu sur un crochet… mais je t’apprendrai, et si tu veux, nous aurons Durin, tous les deux !… – Oh ! fis-je en me redressant, car la conversation prenait un tour qui commençait à m’intéresser énormément… – Tu dis, oh ? Quoi ?… Tu sais que c’est une dernière partie que celle que je vais te proposer là contre l’illustre Mister Flow. Tâte bien ton cœur. Te sens-tu de taille ?… » Elle avait perdu son babil enfantin. Ses étranges formules, ses discours étaient directs et dans un français qui oubliait de se parer d’idiotismes étrangers. « Dame ! Je ne sais pas. » Elle repartit à rire, puis, redevenant sérieuse : « Au fait, tu as raison d’hésiter ; peut-être vaut-il mieux que tu repartes et que tu ne penses plus à moi ; j’attendrai une autre occasion, voilà tout ! – Laquelle ?… – L’occasion de tout quitter. – Vous voulez quitter le baronnet ?… Et cette réputation dont vous vous dites si jalouse… votre situation dans le monde, vous n’y avez pas pensé, Helena ? – Je ne pense qu’à cela depuis deux ans !… Mon petit, tu te demandes quelle est cette énigme ?… Sais-tu quel âge a le baronnet ? – Non ! – Soixante ans ! Et notre vie intime, une chose dont on ne peut se douter. Mais cela ne regarde que nous. Et puis, ce n’est pas de quitter le baronnet qui m’inquiète… – Alors ?… – C’est de quitter Durin ! Durin ne me lâchera pas comme cela. Elle est là, la partie à jouer… et peut-être à perdre !… – Vous me stupéfiez… En attendant, il est en prison !… – Oh ! s’il voulait s’échapper, il n’y serait plus demain ! Tu as cru me révéler le célèbre Mister Flow ; je le connaissais avant toi, mon pauvre petit… Vous saviez qui il était ? – Tu penses ! En prison, Mister Flow, mais il y a été dix fois et dix fois il s’est envolé !… Les gardiens deviennent ses complices sans le savoir… et peut-être en le sachant. N’a-t-il pas su faire de son avocat son complice ! Jeux pour lui que tout cela ! Seulement, Durin ne s’échappera pas. Il ne commettra pas cette faute. Durin est un pauvre niais de domestique, bien dévoué à son maître et qui, dans un mouvement d’égarement, a chipé une épingle de cravate pour l’offrir à sa maîtresse. Car Durin me trompe. Je ne le lui reproche pas, sois-en bien assuré… – Vous craignez qu’il ne dise tout au baronnet ?… – Enfant ! tu déraisonnes : si tu crois qu’il a été le valet de chambre de Sir Archibald pendant deux ans pour le plaisir de venir lui dire : « Vous savez, je couche avec votre femme ! » Elle essuya son front en sueur : « Tu vas comprendre, mon chéri, tu vas comprendre ! Je te dis que tu vas tout savoir. Si tu me trahis, toi, tant pis !… Je suis vraiment lasse de tout ! Il me faut une autre vie dans un autre coin du monde… Quelque chose de tout à fait nouveau, ou la mort… oui, la mort… après une nuit d’amour avec toi, cher Rudy !… » Elle m’étreignit à me faire crier de douleur. Elle commençait à m’épouvanter avec ses idées de suicide. Elle m’en avait assez dit pour que je la crusse aussi profondément enlisée que moi dans la vase où m’avait poussé l’ahurissante machination de Durin. Mais je ne voulais pas mourir, moi !… Je ne trouvais pas que ce fût une solution à envisager. Pas le moins du monde ! À part moi, j’en revenais toujours là : j’ai fait la commission de Durin, je n’ai plus qu’à m’en aller et à ne rien dire !… Possible ! mais je ne m’en allais pas !… Ces bras qui me tenaient prisonnier, je n’essayais pas de les détacher. L’exaltation de cette femme arrivait à son paroxysme et ce fut dans une sorte de délire qu’elle me jeta tout son programme qui tenait en peu de mots : « Je brûle la politesse à Fathi avec mes bijoux et il y en a pour des millions. Ils sont à moi ! Le baronnet me les a donnés. J’ai le droit d’en faire ce que je veux. Je les vends et nous allons sous des noms tout neufs faire de l’élevage en Argentine… Nous achetons une province, loin, derrière le Rio-n***o. Comme tant d’autres qui ne voulaient plus du Vieux monde !… Le baronnet fera prononcer le divorce et nous nous marierons, Rudy !… Je veux que tu dises oui tout de suite, ou non ! – Oui », jetai-je. Dame ! ce programme était simple et m’allait comme un gant. Je trouvais même que c’était trop beau. Trop beau, en effet, car il y avait un « mais ». « Oui, mais il y a Durin…Il faudra bien nous cacher, tu sais, petit chéri, pour que Durin ne nous trouve pas !… – La Guyane est là pour un coup, fis-je… Vous n’avez qu’à le dénoncer !… – Fou ! Vous êtes fou ! ou vous ne voulez pas comprendre !… Rudy, je suis la complice de Durin !… » Elle aussi !… Je me redressai et, la regardant bien en face : « Si vous êtes sa complice comme moi, cela pourrait peut-être encore s’arranger !… – Je suis sa complice depuis toujours !… avoua-t-elle sur un air assez sinistre… Je suis sa complice depuis qu’il y a un illustre Mister Flow !… – Vous, Lady Helena !… – Plus bas, je vous en prie !… C’est lui qui a fait mon mariage avec Sir Archibald. Oui, il y a trois ans, aux Indes !… Archibald croyait qu’il était mon frère !… C’était mon amant !… « Tu vois, je me perds avec toi, mais tu as l’air si bon, si jeune, si bêta, j’ai confiance !… Je t’aime et je te dis tout ! Quand je me suis mariée au baronnet, j’avais vingt-deux ans… Depuis cinq ans, Mister Flow était mon amant et j’avais partagé toutes ses aventures ! Quelquefois, dans les galas costumés, on peut me voir en rat d’hôtel… un petit costume de soie noire qui rend tous les hommes fous… et cela me rappelle des heures… des heures bien curieuses… Dans ce temps-là, je ne m’ennuyais pas… Oh ! Mister Flow m’avait fait aimer le métier !… C’est très amusant, si tu savais ! Maintenant encore, quand je suis sans argent, j’ai des envies folles de sortir la nuit dans les corridors… Mais maintenant je risque trop et Durin ne me le pardonnerait jamais. Il a eu trop de mal à faire de moi une très respectable lady ! » Je l’écoutais bouche bée. J’ai entendu bien des histoires au palais. Je croyais y avoir appris à ne plus m’étonner de rien dans le genre. Nous avons eu quelques révélations retentissantes sur les dessous mondains. La pègre dorée pouvait s’y payer cent mille francs des avocats qui la saluaient bien bas. Le public se retenait d’applaudir. La pince monseigneur et le pied-de-biche se trouvaient à l’honneur, maniés qu’ils avaient été par des mains gantées chez le bon faiseur. Tout de même, l’histoire de Lady Helena me coupait le souffle ! Elle se prétend Roumaine, d’une excellente famille, qui lui a donné une éducation parfaite… Littérature, art, danse, musique, et un don exceptionnel pour les langues. Ses parents la destinaient à un diplomate qui a fait parler de lui dernièrement à la Société des Nations, très riche, mais peu séduisant pour une enfant pleine d’inspiration. Dans un bal, au Casino de Constantza, elle connut un jeune Anglais qui voyageait pour son plaisir et qui avait fait ses études à Cambridge. Vingt-deux ans, amusant, bon danseur, bonne raquette. Elle l’aima. Elle déclara à ses parents qu’elle n’épouserait que lui. C’était Durin. Alors, il portait son véritable nom. Elle ne me dit point lequel. Les parents prirent des renseignements. Le jeune homme, qui recevait une pension d’une façon assez mystérieuse, avait brusquement quitté Cambridge dans des conditions qui restaient obscures. Au fait, depuis qu’il avait passé le détroit, il ne vivait que d’expédients et de larcins. Doué de l’imagination la plus vive, il réalisait avec une chance jamais troublée un rêve d’extravagantes aventures qui séduisit singulièrement Helena à laquelle il avoua tout, se posant en héros au-dessus des lois qui n’ont été inventées que pour la protection des imbéciles. Helena avait eu une scène terrible avec ses parents. On l’avait conduite dans la montagne et claustrée chez des paysans. C’est là que Doug (diminutif de Douglas) vint la chercher, la voler !… Elle était prête à le suivre au bout du monde. Elle devint sa chose, sa maîtresse, son élève !… Helena semblait avoir conservé de ces premières années un souvenir plein d’ivresse. Leur audace était sans bornes et leurs mensonges joyeux. Leurs plus belles nuits d’amour étaient des nuits de cambriole dans les palaces ou sur les paquebots, car ils menaient une vie des plus luxueuses, puisant avec autant de grâce que de sûreté dans les richesses accumulées par le labeur des autres. Cette existence, comme on pense bien, n’était point sans danger, mais l’imminente catastrophe ajoutait un piment au plat de leur quotidienne aventure. Ils avaient changé dix fois de nom, de personnages, n’ayant qu’à se baisser pour ramasser papiers et passeports à leur convenance. Ils s’étaient fait prendre plusieurs fois, mais ils « s’en sortaient » toujours. La beauté d’Helena, unie à l’astuce et à l’adresse de Doug, avait tôt fait de les libérer de toutes les chaînes, de leur ouvrir toutes les portes. Cependant, il leur devenait bien difficile de travailler ensemble. Pour dépister la police, ils durent se séparer. Ils exercèrent leurs petits talents chacun de son côté. Et ils se retrouvaient le plus honnêtement du monde pour épuiser leurs bénéfices qu’ils mettaient en commun. Avec quelle joie ils se faisaient l’étalage du résultat ! de leurs travaux ! Et c’était à qui se raconterait la plus belle histoire. Charmante émulation ! Un jour, Doug avait été si content de son élève qu’il lui avait commandé à Londres une trousse de cambrioleur de haut luxe… C’était le fameux sac ! Ainsi, j’appris que le sac que j’avais apporté à Helena n’était pas celui de Durin, mais son bien à elle ! « Je l’ai revu avec plaisir, me dit-elle ; je craignais qu’il ne lui arrivât malheur dans cette stupide affaire. Vous m’avez été sympathique tout de suite quand je vous ai vu avec mon sac, mon sac qui vous a tant ennuyé, petit ami ! » Je crois qu’il est tout à fait inutile de perdre mon encre à décrire ma psychologie pendant qu’Helena, les yeux brillants du feu de ses chers souvenirs, nirs, et heureuse de pouvoir s’épancher au sein de son bon Rudy, me faisait revivre les heures enchantées de son premier amour et de ses premiers travaux. Je me demandais si c’était elle qui était inconsciente ; j’hésitais maintenant à m’étonner, sinon de moi-même. Je ne savais plus où était la règle. La règle de quoi ? La règle de vie ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Il nous est resté une locution de la guerre : le système D… et une autre : ne pas s’en faire !… Bigre ! on va loin avec ces deux locutions-là !… Oui, on devient lady ou Durin… Ou l’on sauve Verdun !… Mais pourquoi Durin était-il Durin tandis qu’Helena était lady ? Je n’allais pas tarder à l’apprendre. Vous allez voir que tout s’enchaîne, mais autant Helena s’était étendue avec joie sur les temps heureux où elle parcourait le monde comme un petit rat d’hôtel, autant elle mit de précision et de sécheresse à me narrer sa dernière et pourtant glorieuse aventure. Doug s’étant aperçu, un jour, qu’Helena était devenue d’une surprenante beauté, conçut qu’avec une associée aussi rare il y avait mieux à faire que d’ouvrir des tiroirs ou de courir les couloirs d’hôtel, la nuit. Il rêve d’un coup énorme qui rétablirait définitivement leur fortune à tous les deux : faire faire à Helena un mariage féerique, et, le mari disparu (de sa belle mort ou autre), prendre sa place. En attendant, il devient le frère d’Helena et commence ses opérations aux Indes. Il avait pensé d’abord à un maharadjah. Mais l’affaire se compliquait de plusieurs ménages et aussi de diplomatie. C’est dans les salons de Bombay qu’ils furent présentés à un gouverneur célèbre par ses derniers services rendus à l’Empire, aux moments des troubles, dans les provinces voisines de l’Afghanistan. Ici, Sir Archibald Skarlett entre en scène. Personnage très austère, très presbytérien et très cruel. Il en avait donné d’horribles preuves lors des dernières répressions. Tout de suite, il devint amoureux fou d’Helena. Et il l’épousa en dépit de tout ce que put lui dire son frère cadet, Sir Philip. Malgré toutes les précautions prises par Doug, Sir Philip soupçonnait fort le frère d’Helena d’être autre chose que son frère. Aux premiers mots qu’il en dit à son aîné, il y eut rupture entre Archibald et Philip. Sir Archibald ne pouvait imaginer, en vérité, qu’il était la prise de deux malfaiteurs, car Helena ne faisait rien pour le séduire. Ce mariage, dit-elle, lui répugnait. Sir Archibald lui faisait peur ! Enfin, elle ne pouvait se faire à cette idée que son cher Doug la poussât dans le lit d’un autre !… « – Laisse donc, me dit Doug, ton mari est phtisique… Il n’en a pas pour trois ans !… Trois ans, c’est bien vite passé !… » « Trois ans avec un vieillard phtisique, cruel, presbytérien et sadique ! Voilà l’enfer qui s’ouvrait devant moi ! « Doug ne se laissa point toucher. Il fut terrible. « Et je laissai s’accomplir cette horreur !… Passons !… Archibald était fou de moi. Pour un sourire, il me couvrait de pierreries. J’avais à ma disposition toutes les sommes que je voulais ! Doug en abusa. Mon mari apprit que les trois quarts de ce qu’il me donnait passait à mon frère. Alors, il me défendit de le revoir et il inventa Fathi. Vous comprenez, maintenant, pourquoi Lady Helena, fabuleusement riche, ne peut faire un banco de deux mille louis si elle n’a pas le duc de Wister derrière elle ou son cher petit Rudy pour lui avancer cent mille francs ! » Doug, patient, redevint Mister Flow. Il fit encore quelques bons coups en attendant que Sir Archibald se décidât à trépasser. Mais on ne sait par quel miracle, la santé du baronnet s’améliora, surtout quand il eut quitté les Indes pour l’Europe. Un séjour en Italie lui fit le plus grand bien. Mister Flow, inquiet pour sa combinaison, décida de venir surveiller ses affaires de plus près. C’est à ce moment que Sir Archibald fait connaissance de Mr. Prim dont il ne peut bientôt plus se passer. Celui-ci, cependant, se voit dans la nécessité de fausser compagnie au baronnet et à la séduisante Helena, car des affaires urgentes l’appellent en Amérique. Avant de partir, il rend à son ami un dernier service. Il fait entrer chez lui, sous son exceptionnelle recommandation, la perle des valets de chambre, le nommé Durin, qui le servira très fidèlement pendant deux ans. Si Durin est dans la place, c’est que Mister Flow trouve que Sir Archibald est bien long à mourir… Un cri d’Helena : « Tu comprends, petit chéri, un assassinat, jamais !… » Elle parle sérieusement. Tant mieux, me voilà rassuré… Cette femme n’a jamais assassiné personne. C’est déjà quelque chose, à notre époque, et pour quelqu’un qui n’appartient pas à la classe moyenne. Et voilà ! Il ne s’agit plus maintenant que de savoir si je vais partir avec cette femme et les quelques millions que représentent ses bijoux. Elle m’explique très nettement comment les choses vont se passer : « Me sauver, moi, avec les bijoux, il n’y faut pas penser. Cela est impossible, assurément ! Nous aurions Fathi dans le dos tout de suite. Et puis, je serais signalée… Sir Archibald accourrait… et Durin nous donnerait de ses nouvelles, je te prie de le croire !… Non… Il faut que je reste insoupçonnable… et toi aussi, naturellement, pendant que nous préparons tranquillement notre petit voyage… – Insoupçonnable de quoi ? – D’avoir fait le coup ! – Quel coup ? – Rudy, vous ne comprendrez jamais rien ! Vous avez tant d’innocence, mon chéri… Écoutez : une nuit, vous cambriolez Fathi !… Puis tu pars, petit chéri !… Je te rejoins un peu plus tard ! » Je bondis : je cambriole Fathi, moi ?… Mais je ne sais pas cambrioler, moi !… « Oh ! je vous l’apprendrai, darling !… »