Chapitre VII

838 Words
VIINaturellement, les parents de Jonathan étaient effondrés, on l’aurait été à moins, je les trouvais empaquetés dans leur peine. Ils acceptèrent de me recevoir, après que j’eus inventé une histoire abracadabrantesque, en affirmant que mon fils était un ami du leur et que celui-ci, ayant été très affecté, me demandait de venir en éclaireur pour les assurer de toute sa sympathie. J’en rajoutai dans le pathos pour faire plus vrai que nature. — Il ne sort plus de sa chambre, il reste prostré des heures, il se sent responsable, il aurait dû être près de lui etc. Pour un peu, ils m’auraient plaint, alors que c’est eux qui étaient le plus à plaindre évidemment. J’avais honte intérieurement de mon mensonge, comme souvent, mais je retournai la situation en ma faveur, me persuadant que je faisais tout ça pour le repos de leur fils. Ils habitaient une longère restaurée ne payant pas de mine, dans la campagne theixoise, un jardinet coquet aux hortensias devant, à la mode de Bretagne, derrière s’étalaient des champs et des bois à perte de vue, ce que devait particulièrement affectionner leur fils amoureux de la nature. Je l’imaginai, se baladant dans la campagne, un MP3 sur les oreilles ou, plus vraisemblablement, un enregistreur pour les cris d’oiseaux – un enregistreur ? – cette pensée me mit la puce à l’oreille. La mère, Isabelle Dalban, née Lachaux, avait les yeux ravagés par les torrents de larmes qu’elle avait versés. C’était une personne au visage dégageant une grande douceur, une sorte de madone bretonne, qui avait dû aimer son fils plus que tout et le porter au pinacle. Le père Luc montrait moins sa peine, mais on sentait qu’elle était infinie, même s’il la cachait par réflexe atavique. C’était quelqu’un aux traits durs, au corps sec, sans doute ordinairement d’un tempérament autoritaire. Toutefois, il ne perdit pas le nord, en insinuant que j’étais un peu âgé pour avoir un ado de fils et qu’il trouvait très curieux que Jonathan ne le leur ait jamais présenté. Je trouvai une excuse potable en précisant qu’il étudiait à Rennes, ne rentrait que le week-end et qu’ils correspondaient pendant la semaine par SMS ou par mail. Bref, le conducteur routier, en grève de volant, préféra aller couper du bois dehors, ce qui me combla d’aise, tant la douleur d’avoir perdu un fils ne l’empêchait pas de garder les idées claires. Sa femme se montra tout acquise à ma cause. — Peut-être votre fils partageait-il la même passion que le mien… imagina-t-elle. — Il en a plusieurs, vous savez, et ça change souvent à cet âge-là, c’est celui de toutes les quêtes… — Jonathan adorait les oiseaux. C’est peut-être pour ça qu’il est allé mourir là-bas… — Ah, le mien aussi, il se prénomme Clément. Par un tour de passe-passe, j’avais transformé mon neveu en un fils envisageable, ce n’était plus qu’un demi-mensonge – donc à moitié pardonné. — Il passait tout son temps dans les bois et les champs autour de chez nous, elle embrassa le tout d’un geste ample en désignant une fenêtre, ou dans les réserves ornithologiques très nombreuses par ici. Il faisait des enregistrements… « Un enregistreur ? » Voilà que ça me reprenait. — Sur son téléphone portable ? — Non, ce n’est pas assez fiable. Après de nombreux essais, il venait de s’en acheter un du tout dernier cri. — Si j’osais me permettre… Elle coupa court à mon empressement. — On ne l’a pas retrouvé… La police m’a dit qu’on ne l’avait pas retrouvé. — Si j’osais vous demander… la chambre de Jonathan… je rendrai mieux compte à mon fils. Mon culot m’étonna. Cette dame ensanglantée avait le cœur sur la main et je n’avais pas envie de m’essuyer les pieds dessus, c’est vrai que je commençais à partager sa peine, elle avait de tels accents de sincérité que j’étais parfaitement désarmé. Me prit une envie folle de l’aider et de trouver au plus vite le meurtrier de son fils. C’est ce que j’essayai de lui dire maladroitement en la serrant dans mes bras. Elle ne s’attendait pas à une telle effusion et elle recula imperceptiblement, tout en jetant un œil par la fenêtre. Je compris à cette occasion que son mari était du genre jaloux et qu’il ne fallait pas approcher son objet de trop près. Elle m’accompagna dans la chambre de Jonathan, en haut d’une mezzanine et, pleine de tact, elle s’éclipsa pour me laisser seul. Je me mis automatiquement à fouiner, une obligation dans mon nouveau métier. Je découvris des appareils photo et même un téléobjectif, ainsi qu’un appareil pour mesurer les sons. Pour le reste, c’était une classique chambre d’ado, avec des affiches et des pochettes de disques disséminées, un ordinateur bien sûr et, derrière un rideau, marquant un espace réservé, des centaines de clichés d’oiseaux, des magazines et des livres sur le sujet, ainsi qu’une collection très ancienne des volumes de Darwin, dont l’un dédicacé par un certain professeur Lantéry. Je trouvais aussi plusieurs DVD et CD étiquetés sur les cris d’oiseaux et les lieux où ils avaient été enregistrés. Mais aucune trace de l’enregistreur dont sa mère m’avait parlé. Je lui demandai la permission d’emprunter tout ce matériel sonore et visuel. Peut-être “mon fils” remarquerait-il un détail qui pourrait aider les enquêteurs… — À condition que vous me les rapportiez – la police en a fait des copies, me dit-elle. C’était un souvenir de son fils, auquel elle tenait et elle pourrait ainsi entendre sa voix dans quelques années, puisque tout s’estompe. Les témoignages le ramèneraient un peu auprès d’elle. Je lui affirmai que le matos serait entre de bonnes mains et qu’il lui serait rendu rapidement.
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