Préface
PréfaceCe livre est le dernier qu’on lira du joyeux conteur que fut Charles Leroy. Et encore n’est-il pas tout entier écrit de sa main.
Quand le pauvre garçon fut atteint d’une congestion cérébrale, en juin dernier, il avait arrêté le plan du Secret du Sergent et écrit un assez grand nombre de chapitres.
Sa femme, madame Jeanne Leroy, qui fut souvent sa collaboratrice dévouée et qui, d’ailleurs, a signé elle-même plusieurs ouvrages de réel talent, acheva le roman commencé.
Le lecteur ne sera donc pas étonné de trouver, au milieu des scènes corsées, coutumières à Charles Leroy, certaines pages d’une tendresse charmante et d’une délicatesse que ne comportait point toujours le genre du Colonel Ramollot.
Peut-être convient-il de mettre en tête du dernier livre de Leroy quelques lignes sur l’existence de ce brave garçon qui fut la joie de toute une génération.
Charles Leroy était né en 1844. Après avoir été d’abord apprenti horloger, il entra à l’Administration de Chemin de fer du Nord. Malgré le sérieux travail fourni à son bureau, il ne cessa d’écrire des articles, des monologues, des romans et toute sa célèbre série du Colonel Ramollot.
Car cet extraordinaire fantaisiste était un laborieux infatigable.
Sa gaîté, faite d’observation piquante et de spirituelle imagination, avait sa place marquée dans la presse satirique.
En 1868, Leroy entra à la rédaction du Tintamarre où il publia des suites d’articles irrésistiblement comiques, tels que le Guide du Duelliste indélicat, l’Assassin à Paris et les Cent mille manières de s’amuser en embêtant les autres.
C’est au Tintamarre qu’il commença la publication d’articles humoristiques sur les ridicules et les travers des vieux officiers, articles qui composèrent bientôt des volumes qu’on s’arracha : Ramollot était créé !
Leroy collabora en outre au Monde comique, à l’Esprit follet, au Sifflet, au Derby, à la Silhouette, où il faisait de la critique d’art fort judicieuse.
Entre-temps, et en dehors de sa longue série de Ramollot, il publia des romans comme La Boîte à musique, Un gendre à l’essai, Les Filles de Laroustit, des fantaisies comme l’Histoire comique illustrée de l’Assemblée nationale, La Foire aux Conseils, etc., etc.
Dans le discours si plein de cœur que Théodore Cahu prononça sur la tombe de son vieux camarade Leroy, je prends ces quelques phrases qui me semblent bien répondre aux reproches d’antipatriotisme souvent formulés contre notre pauvre ami :
… « Charles Leroy a fort amusé toute une génération. Il a créé un type désormais légendaire. Son “Colonel Ramollot” a pu lui susciter quelques détracteurs, car toute vérité n’est pas bonne à dire ; mais que d’éclats de rire il a provoqués, et quels services il a rendus ! À sa façon, j’ose le dire, Charles Leroy fut un patriote. N’est-ce pas accomplir une œuvre patriotique que de séparer le bon grain de l’ivraie, de grossir les ridicules pour les forcer à disparaître, de corriger les défauts en les montrant au doigt ?
Charles Leroy n’avait jamais appartenu à l’armée. Un grave accident survenu dans son jeune âge l’avait tenu forcément éloigné de la caserne ; son Ramollot n’est donc point une œuvre de souvenir, une malicieuse vengeance : c’est une création personnelle. Mais ce type existait, moins accentué peut-être, mais regrettable quand même. S’il a presque complètement disparu, peut-être l’œuvre de Charles Leroy n’est-elle pas étrangère à cet heureux résultat ; car le ridicule est plus puissant que les décrets ministériels, même les mieux intentionnés ; et ceux qui de près ou de loin appartenaient à la famille de Ramollot ont compris qu’ils devaient se moderniser ou disparaître. »
Charles Leroy est mort le 11 juillet 1895. C’est toute une gaîté qui a disparu avec lui.
ALPHONSE ALLAIS.