Je n'arrive toujours pas à croire que l'on m'ait rappelée! Me dis-je assise dans le hall d'entrée de l'immeuble victorien où se trouve le magazine qui a répondu à ma candidature. Avec tous les cv que j'ai envoyée, c'est le seul coup de fil que j'ai reçu! Je revois encore Jane et John me regardant avec pitié, en train d'attendre près du téléphone. Lorsque la sonnerie a retentit, j'ai tout de suite su que c'était pour moi et je ne me suis pas trompée. Bon, je n'ai jamais entendu parler de ce "Sharp Magazine" mais peut importe, tout ce qui compte, c'est qu'un journal à Londres veuille bien me donner ma chance.
Quand j'ai réussi à décrocher mon stage au journal local, mon père à voulu empêcher le rédacteur de m'embaucher, car une jeune fille journaliste dans la famille, ce serait pire que le choléra selon lui! Il a fallu toute la diplomatie de ma mère pour l'en dissuader.
C'est la troisième fois que je me débrouille vraiment toute seule: la fac, le stage et maintenant peut-être mon premier emploi... Soudain, les sarcasmes de cet Andrew Winston, me reviennent en mémoire : " Nous jouissons tous ici des connexions de nos parents..." Parlez pour vous mon cher! Ces petites victoires me montre que je suis le bon chemin, celui que je me suis tracé moi-même.
Une jeune femme blonde, les cheveux coupés à la garçonne et à l'allure élégante, vient me chercher sur ma chaise.
Emily : "Mademoiselle Bedington, nous sommes près à vous recevoir." dit-elle poliment.
Amélia : "Merci."
Je la suis et nous traversons un grand espace pleins de bureaux. Les personnes présente s'affairent dans une certaine excitation: ils téléphones, écrivent des notes sur des machines à écrire, discutent bruyamment... Nous arrivons jusqu'à l'entrée d'un des deux seuls bureaux dotés d'une porte, elle frappe puis m'ouvre sans attendre de réponse. Elle me laisse entrer et referme derrière moi une fois que je suis à l'intérieur. J'ai à peine le temps de me détendre car je reconnais immédiatement l'homme assis au bureau juste devant moi. Il a ce sourire énigmatique qui n'a cessé de m'agacer lors de cette funeste soirée de chasse.
Anthony : "Bonjour, Amélia." dit-il détaché.
Ah! Nous utilisons nos petits prénoms à présent... pensais-je avec exaspération.
Amélia : "Andrew." répondis-je en essayent d'être le plus neutre possible.
Anthony : "Anthony!" dit-il presque vexé que je ne me souvienne pas de son prénom. "Asseyez-vous, je vous en pris, l'entretient va commencer." dit-il en me montrant le siège devant lui.
J'hésite un instant à m'asseoir car il va certainement m'énerver... d'ailleurs il m'énerve déjà! Il veut se moquer de moi pour me prouver, qu'il a une fois de plus raison sur ces convictions. Et bien, rendons lui les choses difficiles...
Finalement, je m'assieds sur la chaise qu'il m'indique et le regarde droit dans les yeux.
Amélia : "Je suis surprise que vous ayez retenue ma candidature."
Anthony : " Ce n'est qu'un entretient préalable. Vous n'avez pas encore la place." me fit-il remarquer.
Amélia : " Je sais ce que signifie un entretient."
C'est bien, c'est lui qui commence les hostilités, je n'aurais donc qu'à me défendre.
Anthony : " Vous avez fait un stage au Heathfield Herald si je comprends bien. Vous étiez la seule femme?"
Amélia : " Heu... non. Nous étions cinq."
Anthony : " Quels étaient leurs postes?"
Amélia : " Et bien, il y avait une dactylo, deux correctrices et une femme de ménage."
Anthony : " Quel était votre poste?"
Je ne vois pas très bien où il veut en venir avec ces questions, mais je ne montre aucun signe de déstabilisation.
Amélia : " J'étais stagiaire. Je soutenais le rédacteur en chef en quelques sortes. Je lisais le courrier des lecteurs, j'écrivais certaines choses peu importantes: les petites annonces, les avis de décès et les bancs de mariages..."
Anthony : " Ces femmes, qui effectuaient des tâches subalternes dans le journal, d'où venaient-elles? Je veux dire de quel milieu social étaient-elles?"
Amélia : " Comme la plupart du personnel du journal, elles étaient du monde ouvrier. J'ai discuté avec certaines d'entre elles et souvent c'était les seules de leurs familles à avoir été à l'école plus longtemps qu'à l'accoutumé."
Anthony : " Elles avaient donc besoin de ce travail pour vivre?"
Amélia : " Bien sûr."
Anthony: " Pourquoi vous donnerais-je la place d'une de ces femmes? Vous n'avez pas besoin de ce travail, vous en avez juste envie. Vous n'avez rien fait d'autre que d'envoyer des cv, et attendre dans le confort d'un grand appartement dont vous n'avez pas à vous souciez du loyer. Est-ce-que je me trompe?"
Je me disais bien que toute cette comédie n'était là que pour m'enfoncer encore un peu plus...
Amélia : " Je n'ai pas besoin de ce travail, j'en ai envie, c'est vrai! Mais ça ne fait de moi une femme oisive, si c'est ce que vous sous-entendez. Sinon, je resterais dans le confort de mon grand appartement londonien où j'écouterais des disques, en buvant du thé et en mangeant des petits biscuits, tout en attendant désespérément qu'un homme tel que vous me dise quoi faire de ma vie." répondis-je en essayant d'imiter son petit sourire énigmatique.
Il me regarde avec un air circonspect. Il colle son dos contre sa chaise, puis ses lèvres se plissent à nouveau.
Anthony : " C'est justement parce-que ce travail n'est pas une nécessité que c'est intéressant de vous avoir... et puis, je n'aurais aucun état-d'âme à vous virer si vous êtes nulle. " dit-il naturellement.
Amélia : " Qu'est-ce-que ça veut dire?"
Anthony : " Ça veut dire que je vous prends... à l'essaie d'abord, puis si vous faites l'affaire, vous garderez votre place. Vous pouvez sortir, nous en avons terminer. Allez voir Emily, elle vous fera signer tous les papiers."
Amélia : " Et bien, je suppose que je dois vous dire merci. Je commence quand?"
Anthony : " Demain."
Je me lève et me dirige vers la porte.
Anthony : " Ah...et... Amélia ?" me dit-elle derrière mon dos.
Amélia : " Oui." dis-je en me retournant.
Anthony : " Ici ce n'est pas un salon bourgeois, on s'appelle par son prénom et on va droit au but car le temps est précieux, alors si vous savez que vous ne pouvez pas passer au-dessus de ça. Dite le moi maintenant."
Amélia : " Je saurez m'en accommoder. À demain, Anthony."
Je ferme la porte derrière moi. Je reste interdite quelques instants quand je comprends ce qu'il vient de se passer. J'ai obtenue mon premier travail rémunéré, à Londres qui plus est, en moins d'une semaine!
Mais... je travaille avec ce Winston... enfin... Anthony! Il est mon patron. S'il croit que je vais accepter ses abus d'autorité sans rien dire... Il ne sait pas qui il a engagé. Dés que je trouve quelque chose mieux, je m'en vais! Cependant, je pense que je vais jouer un peu. Il a soulevé un point intéressant : c'est vrai que je n'ai pas besoin de travailler, cela veut donc dire que je n'ai rien à perdre...