Chapitre Deux
Roxi revient en poussant un chariot de glace.
— C’était qui ? s’enquit-elle en désignant Harrison d’un mouvement de tête.
— Harrison Steele.
— Steele ? Comme dans Steele Conglomerate ? demande-t-elle, un sourcil arqué.
Je réponds par l’affirmative.
— On faisait de l’aviron ensemble à Stanford.
J’ignore ce qui m’a poussé à divulguer cette information, si ce n’est que j’ai envie de fanfaronner un peu. J’ai arrêté l’aviron il y a un moment, bien que Steele et le reste de son équipage aient insisté pour me recruter. Or c’est pour me faire des contacts que j’ai commencé à pratiquer ce sport, non par amour de la discipline. Steele et ses amis, eux, sont complètement mordus.
— Pourquoi est-ce que tu tiens le bar, alors ? N’est-il pas co-sponsor ?
En plus d’être observatrice, elle a clairement fait ses devoirs. Ou alors c’est Muffy qui l’a briefée.
— Harrison m’a demandé d’apporter de l’alcool ce soir. Ce que j’ai fait, dis-je en tendant la main en direction des mignonnettes.
Elle plisse les yeux.
— Mais les distillateurs ne servent pas, habituellement, si ?
Je marque une pause, deux réponses s’affrontant dans ma tête. En vérité ? J’ai toujours préféré rester en coulisse. Puis la vie ne m’a pas vraiment laissé le choix. Travailler est pour moi une obligation. Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche comme Harrison, Stockton, ou encore les frères Case. J’ai dû trimer, me battre pour obtenir tout ce que je possède aujourd’hui. Et même si j’ai à présent tout ce dont je pourrais rêver et même plus, une petite voix dans ma tête ne cesse de me rappeler que tout pourrait partir en fumée du jour au lendemain. Comme si je ne méritais pas vraiment ma situation. Mais je ne me sens pas assez en confiance pour avouer tout cela à une étrangère, malgré ses formes sulfureuses et son sourire avenant. Alors j’opte pour une réponse à la con.
Je lui lance un sourire.
— Seulement quand une femme captivante accepte de leur tenir compagnie.
Son sourire s’élargit.
— Tu me trouves captivante ? Pour une fois qu’on ne me complimente pas sur mes seins !
Je baisse la tête et me fends d’un rire qui me secoue des pieds à la tête. Roxi est tout sauf douce et réservée, j’adore. Elle est brillante, en plus. Je le vois à son regard, à son sens de la repartie, et ça m’excite encore plus que ses formes ou que le serpent qui remonte le long de sa jambe.
— Tes seins méritent aussi des compliments.
Mes mots restent suspendus dans l’air, crépitant d’électricité. À mesure qu’ils se frayent un chemin en elle, son regard se charge d’intensité. Je me rapproche d’elle. Dans ses talons hauts, ses yeux arrivent quasiment à hauteur des miens, ce qui n’est pas sans me plaire – l’idée que je n’aurais même pas besoin de me pencher pour l’embrasser ou pour la b****r contre un mur me fait b****r. Ma voix devient graveleuse.
— Mais ce que je préfère, c’est ta bouche.
Je la vois digérer mon commentaire, soupeser les implications. Mon cœur bat douloureusement contre mes côtes. J’ai l’impression de risquer plus gros en poursuivant ce petit jeu torride et périlleux, qu’en jouant au poker ce soir. Et pourtant j’ai tout misé.
— Tu as de bons atouts, toi aussi, s’empresse-t-elle de répondre sans détourner les yeux.
Une telle chaleur émane d’elle que je la vois presque irradier de son corps par vagues, son parfum floral embaumant l’infime espace qui nous sépare.
— Je dirais même que tu es à croquer.
— Dans ce cas, est-ce que tu serais intéressée par… un moment coquin ?
Je suis stupéfait d’avoir une conversation comme celle-ci au gala le plus important de l’année. Et excité à deux cents pour cent. Si nous avions été seuls, je l’aurais pliée par-dessus la table en plaquant une main entre ses cuisses. Le fait qu’on doive se contenter de se regarder dans le blanc des yeux en se balançant des remarques de plus en plus salaces, c’est érotique à en crever.
Elle arque un sourcil.
— Intéressée ? Le mot est faible.
— Dis-moi ce que tu veux, dis-je entre les dents.
Ma queue est dure comme l’acier, et frotte si fort contre ma braguette que j’ai peur que cette dernière n’y laisse des traces. La tension dans mes burnes m’empêche de me concentrer, mais hors de question de me laisser distraire de cet échange, surtout vu la vitesse où la température monte. C’est trop… bandant. Ma peau est soudain ultra sensible, chaude et irritée. Et la seule chose qui pourrait me soulager serait une caresse de sa main.
Sa voix, lorsqu’elle s’exprime, semble étranglée, blanche. Folle de désir.
— Que tu embrasses mon cou. Que tu me caresses le long du dos, que tu me mordes et que tu tires sur mes cheveux. Que tu me maintiennes en position et que tu m’arraches des gémissements avec ta langue.
Putain de bordel de merde.
— Je commencerai par suivre ce tatouage de serpent le long de ta jambe, pour voir jusqu’où il va.
Et j’ai une idée très précise de la réponse.
— Est-ce que ça te plairait ?
Ses pupilles sont si dilatées que ses yeux semblent noirs. Un son plaintif reste coincé au fond de sa gorge, puis elle hoche très légèrement la tête.
— Et ensuite, quand j’aurai atteint la bouche du serpent, je m’assurerai de bien goûter ta petite chatte trempée.
Sa respiration est entrecoupée, comme si elle était déjà à mi-chemin de l’o*****e, ivre de plaisir rien qu’en entendant mes mots. Ça me motive à continuer.
— Puis quand je t’aurai fait jouir sur ma langue, que tu crieras mon nom, au moins deux fois – là, je te retournerai sur le ventre pour te prendre par derrière tout en pinçant des tétons pour que tu remues sur ma queue.
Le sang, épaissi sous l’effet de ce désir grandissant, bourdonne à présent dans mes oreilles.
— Ça te suffirait, comme moment coquin, Roxi ?
Sa langue vient lécher sa lèvre inférieure, et mon Dieu, j’ai envie de la mordiller.
— C’est un bon début, lance-t-elle avec un sourire.
Je suis à ça de la porter sur l’épaule et de l’emporter comme un homme des cavernes, en envoyant promener whisky et cocktails. Mais je ne ferais jamais un coup pareil à Steele. Ni à Muffy d’ailleurs. Or cette dernière vient d’interrompre notre échange d’un claquement de doigts.
— À vos places, mes chéris. À vos places ! Les invités comment à arriver.
J’affiche un sourire crispé, soulagé de recevoir ce rappel à temps, car je ne voudrais surtout pas me retrouver coincé au bras d’une femme. Même si celle-ci s’avérait terriblement tentante.
Les heures passent comme au ralenti.
À force de sourire à ces visages inconnus, je commence à avoir des crampes aux joues. À mon côté, Roxi incarne le charme et la séduction ; elle parle d’une voix claire et pleine d’assurance, divertissant les invités, s’assurant qu’ils passent un bon moment, puis leur offre une mignonnette de whisky qu’ils glissent dans leur sac à main ou la poche de leur veste. Son aisance m’épate et me galvanise en même temps. Son aptitude à captiver les foules ne fait que renforcer mon envie de la connaître davantage.
— Où est-ce que Muffy t’a dégotée ? dis-je tout bas, presque pour moi-même, profitant d’une accalmie.
Puis je ris grassement, encore tendu de désir. Apparemment, elle possède une ouïe particulièrement fine.
— Je ne l’avais jamais rencontrée avant ce soir, dit-elle en me décochant un regard amusé.
Je me retourne pour lui faire face.
— C’est une blague.
Elle secoue la tête, ses lèvres ébauchant un sourire plus lubrique.
Hmm.
— Donc Muffy t’a juste recrutée au hasard ?
Elle prend un air dépité.
— Je crois que j’ai dû lui sembler un peu seule et perdue.
Elle incline la tête, me jaugeant sans mot dire, comme si elle hésitait à se livrer à moi.
— Mon rencard m’a posé un lapin.
— Mais pourquoi ? m’ébahis-je, songeant déjà à tirer profit de l’erreur de ce crétin.
— Je peux être un peu… compliquée à gérer, parfois, lâche-t-elle dans un petit rire en secouant la tête.
— S’il pense ça, alors ce n’est pas l’homme qu’il te faut.
Deux cercles roses bourgeonnent alors sur ses joues, révélant une traînée de taches de rousseur. Je me demande si elle en cache d’autres, des taches de rousseur, et si oui, où.
— Hmm. Dangereusement beau et gentil. C’est un combo ravageur, M Whisky.
Elle fait glisser un doigt le long de ma boutonnière. Et ce simple geste suffit à refaire flamber le désir qui sommeillait en moi.
— Je ne suis pas gentil, dis-je en protestant.
Cette fois, son rire est grave et sensuel. Il me va droit aux burnes.
— Je parie…
Elle fait courir sa paume le long de mon torse avant de poursuivre :
— Que sous cette façade de dur à cuir se cache un adorable chaton inoffensif au grand cœur.
— Nan, fais-je, fléchissant les muscles sous son toucher. Je suis un dur, même à cœur.
Une lueur de désir vient brouiller son regard.
— Alors prouve-le, me défie-t-elle. Fais-moi toutes les choses dont tu t’es vanté tout à l’heure.
Mon Dieu.
Ma queue tressaille comme pour attirer l’attention. Ce n’est pas la première fois qu’une femme me fait des avances, mais jamais je n’avais été ivre de désir…
Kirkwood Hall s’emplit à vue d’œil. Une odeur caractéristique d’argent et de pouvoir se dégage de l’assemblée. J’en profiterai moi aussi un peu plus tard, mais en attendant, pourquoi pas vivre quelque chose d’un peu plus… fou ? Le groupe a entamé un morceau, c’est le moment idéal pour s’éclipser discrètement. Mais… je n’ai pas de capotes. p****n de merde.
— Je n’ai pas pris de capotes.
— J’en ai, moi.
Pourquoi suis-je étonné ?
— Est-ce que tu veux me prendre en photo d’abord et l’envoyer à une connaissance ?
Elle esquisse une moue amusée.
— Je n’ai pas peur de toi, tu sais.
— Pourquoi cette assurance ?
— Pour commencer, il y a des caméras de surveillance partout. Ensuite, je sais me débrouiller toute seule. Puis…
Une lueur d’hilarité traverse son regard.
— T’es clairement un chaton, au fond, et je parie tout ce que tu veux que tu ne me ferais pas de mal, à part si je te suppliais de le faire.
Un rire gronde dans mon ventre. Elle n’a pas tort – du moins pour ce qui est de lui faire mal. Mais je n’ai rien d’un chaton.
— T’es folle.
Et sexy à en crever. Je brûle d’envie de cartographier ses courbes, ses reliefs plus ou moins escarpés. De connaître les endroits où elle est douce et molle, et au contraire, ceux où sa peau semble directement plaquée sur ses os.
— C’est possible, convient-elle en pinçant les lèvres. Mais c’est le cas de tout le monde, au fond, non ?
Elle marque un point.
— Et je trouve que c’est ce qui est intéressant, justement. De voir si nos folies respectives se recoupent aux bons endroits, insiste-t-elle en faisant courir ses doigts le long de ma veste de costard.
Un éclair d’énergie me traverse l’échine. Je n’avais jamais entendu personne le formuler ainsi, mais oui. D’ailleurs, je n’ai pas encore rencontré de femme aussi portée sur le sexe que moi, ou qui accepte la face sombre de mon être sans chercher à me changer. Je la fixe droit dans les yeux, et pendant une seconde aux allures d’éternité, j’ai l’impression de me tenir au bord d’un gouffre. Comme si le choix que je m’apprêtais à faire allait déterminer le reste de ma vie. Comme s’il n’y aurait plus de retour possible à partir de là.
Nous parlons en même temps.
— Il y a une chambre…