Chapitre II

1120 Words
Chapitre IILe prince Castel-Forte prit la parole, et ce qu’il dit sur Corinne attira l’attention de toute l’assemblée. C’était un homme de cinquante ans qui avait dans ses discours et dans son maintien beaucoup de mesure et de dignité ; son âge et l’assurance qu’on avait donné à lord Nelvil, qu’il n’était que l’ami de Corinne, lui inspirèrent un intérêt sans mélange pour le portrait qu’il fit d’elle. Oswald, sans ces motifs de sécurité se serait déjà senti capable d’un mouvement confus de jalousie. Le prince Castel-Forte lut quelques pages en prose, sans prétention, mais singulièrement propres à faire connaître Corinne. Il indiqua d’abord le mérite particulier de ses ouvrages ; il dit que ce mérite consistait en partie dans l’étude approfondie qu’elle avait faite des littératures étrangères ; elle savait unir au plus haut degré l’imagination, les tableaux, la vie brillante du midi, et cette connaissance, cette observation du cœur humain qui semble le partage des pays où les objets extérieurs excitent moins l’intérêt. Il vanta la grâce et la gaîté de Corinne, cette gaîté qui ne tenait en rien à la moquerie, mais seulement à la vivacité de l’esprit, à la fraîcheur de l’imagination : il essaya de louer sa sensibilité ; mais on pouvait aisément deviner qu’un regret personnel se mêlait à ce qu’il en disait. Il se plaignit de la difficulté qu’éprouvait une femme supérieure à rencontrer l’objet dont elle s’est fait une image idéale, une image revêtue de tous les dons que le cœur et le génie peuvent souhaiter. Il se complut cependant à peindre la sensibilité passionnée qui inspirait la poésie de Corinne et l’art qu’elle avait de saisir des rapports touchants entre les beautés de la nature et les impressions les plus intimes de l’âme. Il releva l’originalité des expressions de Corinne, de ces expressions qui naissaient toutes de son caractère et de sa manière de sentir, sans que jamais aucune nuance d’affectation pût altérer un genre de charme non seulement naturel, mais involontaire. Il parla de son éloquence comme d’une force toute-puissante qui devait d’autant plus entraîner ceux qui l’écoutaient, qu’ils avaient en eux-mêmes plus d’esprit et de sensibilité véritables. « Corinne, dit-il, est sans doute la femme la plus célèbre de notre pays, et cependant ses amis seuls peuvent la peindre ; car les qualités de l’âme, quand elles sont vraies, ont toujours besoin d’être devinées : l’éclat aussi bien que l’obscurité peut empêcher de les reconnaître, si quelque sympathie n’aide pas à les pénétrer. » Il s’étendit sur son talent d’improviser, qui ne ressemblait en rien à ce qu’on est convenu d’appeler de ce nom en Italie. « Ce n’est pas seulement, continua-t-il, à la fécondité de son esprit qu’il faut l’attribuer, mais à l’émotion profonde qu’excitent en elle toutes les pensées généreuses ; elle ne peut prononcer un mot qui les rappelle, sans que l’inépuisable source des sentiments et des idées, l’enthousiasme, ne l’anime et ne l’inspire. » Le prince de Castel-Forte fit sentir aussi le charme d’un style toujours pur, toujours harmonieux. « La poésie de Corinne ajouta-t-il, est une mélodie intellectuelle qui seule peut exprimer le charme des impressions les plus fugitives et les plus délicates. » Il vanta l’entretien de Corinne : on sentait qu’il en avait goûté les délices. « L’imagination et la simplicité, la justesse et l’exaltation la force et la douceur se réunissent, disait-il, dans une même personne, pour varier à chaque instant tous les plaisirs de l’esprit on peut lui appliquer ce charmant vers de Pétrarque : Il parlar che nell’anima si sente ; et je lui crois quelque chose de cette grâce tant vantée, de ce charme oriental que les anciens attribuaient à Cléopâtre. Les lieux que j’ai parcourus avec elle, ajouta le prince Castel-Porte, la musique que nous avons entendue ensemble, les tableaux qu’elle m’a fait voir, les livres qu’elle m’a fait comprendre, composent l’univers de mon imagination. Il y a dans tous ces objets une étincelle de sa vie ; et s’il me fallait exister loin d’elle, je voudrais au moins m’en entourer, certain que je serais de ne retrouver nulle part cette trace de feu, cette trace d’elle enfin qu’elle y a laissée. Oui, continua-t-il (et dans ce moment ses yeux tombèrent par hasard sur Oswald), voyez Corinne, si vous pouvez passer votre vie avec elle, si cette double existence qu’elle vous donnera peut vous être longtemps assurée ; mais ne la voyez pas, si vous êtes condamné à la quitter : vous chercheriez en vain, tant que vous vivriez, cette âme créatrice qui partageait et multipliait vos sentiments et vos pensées, vous ne la retrouveriez jamais. » Oswald tressaillit à ces paroles ; ses yeux se fixèrent sur Corinne, qui les écoutait avec une émotion que l’amour-propre ne faisait pas naître, mais qui tenait à des sentiments plus aimables et plus touchants. Le prince Castel-Forte reprit son discours, qu’un moment d’attendrissement lui avait fait suspendre ; il parla du talent de Corinne pour la peinture, pour la musique, pour la déclamation, pour la danse : il dit que dans tous ces talents, c’était toujours Corinne ne s’astreignant point à telle manière, à telle règle, mais exprimant dans des langages variés la même puissance d’imagination, le même enchantement des beaux-arts sous leurs diverses formes. « Je ne me flatte pas, dit en terminant le prince Castel-Forte, d’avoir pu peindre une personne dont il est impossible d’avoir l’idée quand on ne l’a pas entendue ; mais sa présence est pour nous à Rome comme l’un des bienfaits de notre ciel brillant, de notre nature inspirée. Corinne est le lien de ses amis entre eux ; elle est le mouvement l’intérêt, intérêt de notre vie ; nous comptons sur sa bonté ; nous sommes fiers de son génie ; nous disons aux étrangers : – regardez-la, c’est l’image de notre belle Italie ; elle est ce que nous serions sans l’ignorance, l’envie, la discorde et l’indolence auxquelles notre sort nous a condamnés ; – nous nous plaisons à la contempler comme une admirable production de notre climat, de nos beaux-arts, comme un rejeton du passé, comme une prophétie de l’avenir ; et quand les étrangers insultent à ce pays d’où sont sorties les lumières qui ont éclairé l’Europe ; quand ils sont sans pitié pour nos torts qui naissent de nos malheurs, nous leur disons : – regardez Corinne ; – oui, nous suivrions ses traces, nous serions hommes comme elle est femme, si les hommes pouvaient comme les femmes se créer un monde dans leur propre cœur, et si notre génie, nécessairement dépendant des relations sociales et des circonstances extérieures, pouvait s’allumer tout entier au seul flambeau de la poésie. » Au moment où le prince Castel-Forte cessa de parler, des applaudissements unanimes se firent entendre ; et quoiqu’il y eût dans la fin de son discours un blâme indirect de l’état actuel des Italiens, tous les grands de l’état l’approuvèrent : tant il est vrai qu’on trouve en Italie cette sorte de libéralité qui ne porte pas à changer les institutions, mais fait pardonner, dans les esprits supérieurs, une opposition tranquille aux préjugés existants. La réputation du prince Castel-Forte était très grande à Rome. Il parlait avec une sagacité rare ; et c’était un don remarquable dans un pays où l’on met encore plus d’esprit dans sa conduite que dans ses discours. Il n’avait pas dans les affaires l’habileté qui distingue souvent les Italiens ; mais il se plaisait à penser, et ne craignait pas la fatigue de la méditation. Les heureux habitants du midi se refusent quelquefois à cette fatigue, et se flattent de tout deviner par l’imagination, comme leur féconde terre donne des fruits sans culture, à l’aide seulement de la faveur du ciel.
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