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Jérome Paturot à la recherche d'une position sociale

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Extrait : "Si le Jérôme Paturot de l'histoire est abaissé et déconfit politiquement, s'il a cessé d'être bonnetier millionnaire et député, il peut se consoler par sa fortune littéraire, car le voilà écrivain populaire, et classé parmi ceux qui ont le plus marqué dans notre temps. Ses mémoires divertissent la foule et charment les gens de goût ; on les lit à tous les étages, et partout ils sont bien accueillis."

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Chapter 1
Avant-proposDE L’ÉDITION ILLUSTRÉE. Les éditions de ce livre se sont succédé avec une rapidité qui ne m’avait pas encore permis d’en revoir les détails avec tout le soin désirable. Cette fois, moins pressé par le temps, j’ai pu me livrer à un examen plus scrupuleux, et indiquer des changements qui ne sont pas sans importance. C’est, il me semble, l’un des devoirs de l’écrivain, que d’opposer sa propre sévérité à la bienveillance du public, et de ne point laisser amollir par le succès l’instinct du mieux, et la juste défiance de soi-même. À un autre titre, cette édition me présentait un intérêt particulier : M. Grandville avait bien voulu se charger de l’illustrer. On pourra voir, en parcourant ce volume, quelle verve il a su y répandre, quel esprit, quelle finesse, quelle philosophie il y a déployés. Rendre ainsi les choses, c’est les animer d’une vie nouvelle ; aussi le prompt débit qu’a obtenu mon livre sous cette forme est-il dû entièrement à l’artiste si justement populaire, et il m’est doux, en le remerciant de son concours, d’avoir à lui rendre ici ce témoignage. L. REYBAUD. Première partieL’usage du bonnet de coton n’est pas une de ces institutions éphémères destinées à disparaître avec la civilisation qui les vit éclore. C’est, au contraire, un besoin organique fait pour survivre à beaucoup de coutumes qui se croient éternelles. Je n’en veux pour preuve que le nombre toujours croissant des bonnetiers et la belle figure qu’ils font dans notre société industrielle. L’autre jour, je me trouvais chez l’un d’eux, le mieux assorti peut-être de tout Paris en matière de ces couvre-chefs que le peuple, dans sa langue figurée, a nommés casques à mèche. J’hésitais entre un bonnet à flot avantageux, ondoyant, épanoui, et un autre bonnet dont le sommet était couronné par un appendice plus modeste. L’un me tentait par sa majesté, l’autre par sa simplicité, et longtemps je serais demeuré indécis si le marchand n’eût pris la parole : « Je vous conseille ce genre de flot, me dit-il en me présentant l’un des bonnets ; c’est celui que M. Victor Hugo préfère. » Ce mot me fit oublier la marchandise ; je regardai le marchand. C’était un jovial garçon, de trente-cinq ans à peu près, haut en couleur et d’un aspect peu poétique. Le nom qu’il venait de prononcer se conciliait mal avec cet ensemble : « Vous connaissez donc M. Victor Hugo ? lui dis-je. – Si je le connais !… » répliqua-t-il en étouffant un soupir. Puis, comme s’il eût fait un retour sur lui-même, il ajouta : « Je suis son bonnetier. » J’achetai l’article qu’il me présentait ; mais, dans le petit nombre de paroles qu’avait prononcées cet homme, j’avais entrevu un monde de douleurs secrètes et toute une existence antérieure pleine d’amertumes et de mécomptes. Évidemment, avant de se réfugier dans le commerce paisible des bonnets de coton, cette âme avait dû chercher sa direction dans d’autres voies et courir quelques aventures. Ce soupçon prit de telles racines en moi, que je résolus de l’éclaircir. Je revins donc chez le bonnetier, sous un prétexte ou sous un autre ; je l’interrogeai doucement en attaquant le point sensible, et bientôt j’obtins des aveux complets. Jérôme Paturot, c’est son nom, était une de ces natures qui ne savent pas se défendre contre la nouveauté, aiment le bruit par-dessus tout, et respirent l’enthousiasme. Se passionner pour les choses sans les juger, se livrer avec une candeur d’enfant aux rêves les plus divers, voilà quelle fut la première phase de sa vie. L’exaltation était pour lui un sentiment si familier, si habituel, qu’il se trouvait malheureux dès que la sienne manquait de prétexte ou d’aliment. Avec de semblables instincts, Paturot était une victime promise d’avance à toutes les excentricités. Il n’en évita aucune, et se signala plus d’une fois par une ardeur qui avait l’avantage de ne pas être raisonnée. Il admirait tout naïvement et s’engouait des choses avec une entière bonne foi ; il eût, en des temps plus farouches, confessé sa croyance devant le bourreau. Seulement il changeait volontiers d’idole, se rangeant toujours du côté de celle qui avait la vogue et dont le culte était le plus bruyant. Ce fut ainsi qu’il parcourut toute la sphère des découvertes modernes dans l’ordre littéraire, philosophique, religieux, social et même industriel. Il n’aboutit au bonnet de coton qu’après avoir successivement passé par les plus belles inventions de notre époque. À la suite de quelques entretiens, j’avais obtenu la confiance de Jérôme Paturot. D’aveu en aveu, je parvins à lui arracher l’histoire de sa vie entière, et peut-être n’est-il pas sans intérêt de la consigner ici pour apprendre à nos neveux à combien de tentations les enfants de ce siècle furent en butte. C’est Paturot lui-même qui va raconter ses douleurs.

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