L'amante secrète du Cheikh

Bobbie poussa un long, sonore et grossier râle de frustration tout en frottant une tache têtue. Un petit casque mp3 sur la tête, elle écoutait une vieille mélodie populaire pour faire passer agréablement le temps de service nocturne. Si ce n'était cette musique apaisante, il y a des siècles qu'elle aurait cassé la baignoire à coup de massue. Normalement ce n'était pas à cette heure de la nuit qu'elle devait faire un tel travail de nettoyage mais l'occupant de la chambre était absent après y avoir passé la majeure partie de la journée alors on avait désigné Bobbie pour vite nettoyer car elle cite: 《Monsieur al-Din Jalal n'aime pas voir une tierce personne présente dans sa suite lorsqu'il y est et il préfère la tranquillité après de longues heures passées à négocier des affaires》. Du moins c'est ce que lui avait solennellement récité le directeur du prestigieux Pollard-Opera Hotel concernant les préférences ou habitudes aussi étranges que énervantes de ce client important qui avait fraîchement débarqué. Encore un riche homme d'affaires qui se croyait être le roi et le centre du monde avait donc pesté la femme de chambre une fois son patron parti. Elle ne serait pas étonnée d'apprendre qu'il aimait son café avec des cubes de glaçons et du sel de mer. Depuis son arrivée, ce saoudien semblait cultiver du mystère, de l'admiration ainsi que de la crainte autour de lui. Tout le monde disait son nom à voix basse en chuchotant comme s'il pouvait apparaître à tout moment. Certaines de ses collègues rougissaient à l'entente de son nom. Bobbie ne savait pas de qui il s'agissait, elle ignorait même à quoi il ressemblait. Oh si elle l'avait voulu, elle aurait su tout ça en un simple claquement de doigts. Les employés des hôtels aimaient ragoter, c'était connu. Au diable le professionnalisme quand il s'agissait des derniers potins. Sauf que elle, les cancans et les bruits de couloir ne l'intéressaient guère. Tant qu'elle percevait son salaire à la fin du mois, c'était l'essentiel. Mais c'est justement sa paie mensuelle qui allait se voir diminuée si elle ne faisait pas correctement ce pour quoi on lui avait assigné cette suite princière. Et donc il fallait qu'elle nettoie bien cette maudite salle de bain de fond en comble. Elle frotta encore plus violemment la tache brune. – Fichue saleté. Je te jure que si tu ne pars pas, je te délogerai avec un caterpillar. Suite à cette menace proférée à l'encontre de la souillure, elle y vera une bonne dose de javel. S'armant du peu de force qu'il lui restait dans le bras après une demi-heure passée à laver la baignoire, elle frictionna férocement la partie où stagnait la salissure récalcitrante. La brune soupira enfin de victoire quand la tâche s'enleva après cinq minutes d'intense frottage. Elle balaya le tout avec l'eau accumulée dans la baignoire et vida cette dernière. Après avoir également essuyé le sol carrelé, elle s'empara du seau contenant ses produits désinfectants. Elle détestait tellement ce boulot même si ça payait plutôt bien. C'est pour cette raison qu'elle prévoyait de démissionner dès la semaine prochaine. En trois ans, elle avait mis assez d'argent de côté pour à présent se faire plaisir et s'acheter le violon de ses rêves. Elle pouvait enfin travailler à domicile en tant que gardienne d'enfants tout en jouant librement sa musique sur le toit de l'immeuble une fois la nuit tombée. Et puis rester chez soi, c'était bien plus reposant pour une paresseuse comme elle. En effet quitter son confortable domicile tôt le matin pour ne rentrer que la nuit était synonyme d'enfer pour elle. – Bon, à présent ma journée de travail est finie. Je peux désormais rentrer chez moi et prendre un repas chaud bien mérité, se dit-elle mentalement alors que la chanson mise en boucle reprenait pour la énième fois. La brune jeta un coup d'œil à la montre bon marché qui ornait son petit poignet. Il était temps qu'elle s'en aille avant que monsieur "al-machin-truc" ne revienne. Il ne manquerait plus qu'on la sanctionne au dernier moment à cause de cet homme bizarre. Mais sans qu'elle ne le sache encore, le destin de la jeune femme allait être scellé dès qu'elle allait franchir la porte. La scène qui suivit, elle la vécut au ralenti, exactement comme dans les films romantiques qu'elle affectionnait maladivement.