Chapitre 8

851 Words
CHAPITRE 8ABASOURDIE, Séverine regardait le corps de l’Albanais. Il n’y avait aucun doute possible. C’était bien son voleur. Et sans vouloir sombrer dans un délire de persécution, elle ne pouvait croire à une coïncidence. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale. – Tout va bien ? insista Hassène. Elle s’ébroua. – Oui, mais le visage de ce type me rappelle quelqu’un que je connais. – Je doute que tu aies jamais rencontré ce malheureux. Loran Baris, 32 ans. Vivant de petits larcins du côté de la gare du Nord. Plusieurs fois arrêté par la police et relâché. Comme je t’ai dit, pas de famille connue en France. Mais titulaire d’une carte de séjour en règle. Séverine retrouva son professionnalisme et alla s’entretenir avec la coordinatrice de prélèvements pour organiser la suite. Mais dès qu’elle le put, elle s’isola pour appeler Quentin Bartoldi. Pas de chance : au commissariat, on lui répondit que le brigadier-chef Bartoldi était de repos. Voulait-elle parler à quelqu’un d’autre ? Séverine déclina la proposition, en assurant qu’il n’y avait aucune urgence. Après avoir raccroché, elle tourna et retourna un moment la carte que le jeune policier lui avait donnée, où il avait inscrit ses coordonnées personnelles, puis se décida à composer le numéro. Elle avait besoin de parler à quelqu’un qui soit au courant de son problème. Quentin répondit dès la deuxième sonnerie. À croire qu’il attendait son appel. – Bonjour, Docteur Dombre. Vous avez du nouveau ? Il avait gardé son numéro en mémoire. Ça la fit sourire. Bien qu’il ait quinze ans de moins qu’elle, ce garçon lui inspirait confiance. – Je suis désolée de vous déranger… – Pas du tout, je vous avais dit que vous pouviez m’appeler à tout moment. – Eh bien, euh… je crois que j’ai retrouvé mon voleur. – Quoi ? Mais comment ? Où ça ? – Il est en réanimation chez moi. Il a reçu une balle dans la tête près de la gare du Nord. Il est en état de mort cérébrale. – C’est inouï, ça ! Avez-vous son identité ? Je vais me renseigner auprès de mes collègues du SAIP1. Elle lui donna le nom de l’Albanais. – Vous ne trouvez pas un peu curieux que mon voleur se fasse descendre quelques jours après m’avoir attaquée ? – Vous savez, Docteur, ces petits délinquants sont souvent des dealers et peuvent être victimes de règlements de comptes… Séverine ne sut quoi répondre. Il n’avait pas tort. Mais il ne connaissait pas l’existence d’Adrian Dibra ni l’attitude menaçante de Dark Ice et Blue Ice. Devait-elle le mettre au courant ? – Je vous rappelle d’ici une heure, reprit Bartoldi. Elle accepta. Ça lui laissait un délai de réflexion. Elle raccrocha et enregistra le numéro du policier dans son répertoire. * Séverine mit à profit ce répit pour faire le point sur le prélèvement d’organes envisagé sur la personne de Loran Baris. Pendant qu’elle téléphonait à Quentin, l’angiographie avait confirmé la mort cérébrale. Les résultats des groupes sanguins et tissulaires venaient d’arriver. La machine hospitalière, bien huilée, se mettait en route. Il restait à vérifier l’absence d’opposition à un prélèvement d’organes dans le registre national des refus. Puis à recueillir le témoignage des proches. Mais dans le cas du jeune Albanais, la recherche de la famille s’avérait problématique. Et se trouvant sur le territoire français, il était soumis au principe du consentement présumé, en vigueur depuis… 1976 (loi Caillavet)2. Son portable vibra. Ce devait être Quentin Bartoldi. Il avait fait vite ! Tiens, son numéro était masqué. Normal, il souhaitait sans doute qu’on ne puisse pas noter ses coordonnées. Elle-même prenait cette précaution lorsqu’elle contactait un patient depuis son téléphone personnel. Au bout du fil, un silence, puis une voix qu’elle reconnut aussitôt. C’était celle de Dark Ice, rauque et menaçante. – Docteur Dombre, ici Sukalem Daci, le collaborateur de monsieur Adrian Dibra. Séverine, pétrifiée, n’avait plus une goutte de salive dans la bouche. – Mais comment avez-vous eu mon numéro de portable ? parvint-elle à articuler. – Nous avoir beaucoup de ressources, Docteur. Mais pas le problème. Vous avez en ce moment donneur compatible avec monsieur Dibra. Groupe sanguin concorde et groupes tissulaires pas mauvais. Vous faire la greffe ? Elle n’arrivait pas à y croire. C’était terrifiant. Ils semblaient au courant de tout en temps réel. Mais par quel miracle ? Elle retrouva un peu de combativité pour répondre sèchement. – Monsieur Dacia, pardon, Daci, vous savez très bien que ce n’est pas possible ! Il y a des règles de répartition des organes contrôlées par l’Agence de biomédecine. On ne peut passer outre. De plus, monsieur Dibra n’est pas encore inscrit sur la liste d’attente ! Puis-je vous demander d’où vous sortez ces informations sur ce donneur potentiel ? Dark Ice ne prit même pas la peine de répondre. – Pas grave, autre donneur d’ici peu. Et Docteur, je rappelle : discrétion absolue. Clic. Son interlocuteur avait raccroché. Inondée d’une sueur glaciale, au bord du malaise, Séverine venait de réaliser que ses tourmenteurs connaissaient aussi les résultats des groupes sanguins et tissulaires du jeune Baris. Car ils avaient raison : lui et Dibra étaient compatibles. Son téléphone affichait un appel manqué de Quentin Bartoldi. Mais elle savait maintenant qu’elle ne lui dirait rien, l’image de Vincent occupait son esprit. Elle mourait d’envie d’appeler son fils. Mais à ce rythme-là, il finirait par suspecter un problème. Et elle devait avant tout le protéger. 1. Service de l’accueil et de l’investigation de proximité. 2. Beaucoup ignorent cette date, tant le traitement médiatique de ce thème délicat privilégie le sensationnel à l’information, et croient que le principe du consentement présumé est plus récent. Certains ne connaissent même pas son existence et sont convaincus que l’accord de la famille est nécessaire.
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