Chapitre 1er : Amnésie

1634 Words
CHAPITRE 1er : AMNÉSIE« J’ouvre les yeux. Je me vois, allongé sur ce lit, enfoncé sous une couverture en laine. Confus, nauséeux, j’essaie de rassembler mes esprits… En vain. J’essaie de me souvenir de la nuit dernière et de celles d’avant ; d’hier, d’avant-hier, d’avant-avant-hier… Pas de sons, pas d’images. Rien. Je me lève et me dirige vers la fenêtre. J’ouvre grand les rideaux, et j’en aperçois d’autres à l’horizon, des rideaux de pierre et de fer : un interminable mur qui semble s’étendre sur des dizaines de kilomètres, des barbelés tout autour. Plus près de moi, en contrebas, des maisons anciennes au bord de petites routes. Entre les deux, de vastes champs de terre rouge ; et sur ces champs, d’innombrables rangées d’arbustes, comme autant de lignes vertes. Il fait chaud. Il fait lourd. J’entends au loin comme des bruits de guerre, mais je ne vois rien. Je ne sais pas d’où ça vient, ce n’est pas tout près, c’est sûr, enfin je crois. Sur la table à l’autre bout de la chambre, il y a mes affaires : un sac d’habits et une veste posée dessus. Je regarde instinctivement dans la veste pour y chercher quelques informations qui pourraient me rafraîchir la mémoire. J’y trouve trois quatre billets et quelques pièces, je me dis ironiquement : « C’est déjà ça ! » Je fouille dans ce sac, passant au crible la moindre chemise, le moindre pantalon, la moindre poche, le moindre caleçon, la moindre paire de chaussettes. Rien. Là-bas, sur la table de chevet, j’aperçois un collier fait d’une ficelle en cuir noir, avec comme pendentif, une petite pierre violette. Je le mets autour de mon cou. Sur cette commode encore : un cahier et un stylo. Je me saisis du cahier, je l’ouvre. Pages après pages, j’y lis des textes en tout genre, des histoires, des poésies, une vingtaine, peut-être plus. Ça doit être à moi, de moi, forcément, enfin, je pense. Je tourne les pages en essayant de trouver un nom, un indice, un déclic… Et pendant ce temps, il semble que la guerre continue. Aux sons des échanges de tir, s’ajoutent maintenant celui des sirènes de police ou d’ambulance ou de je-ne-sais-quoi. À l’incompréhension, s’ajoute la confusion. À la confusion, l’angoisse, la peur du vide, le vertige. Les bruits restent lointains, c’est déjà ça. Tenant toujours ce cahier dans mes mains, j’inspecte le reste de la chambre, jusque sous mes draps, sous le lit, dans la salle de bain, les toilettes. Je ne comprends pas : je devrais au moins avoir des papiers d’identité ou quelque chose comme ça. J’aimerais pouvoir rester calme et méthodique, mais j’entends la panique qui frappe à ma porte. Impatiente, elle frappe et frappe encore. Dans ma tête : le vacarme. Toc toc toc… Il va bien falloir que je lui ouvre à un moment ou à un autre, que je lui donne quelque chose pour la calmer, des réponses, au moins une : –Où es-tu ? –Je n’en sais rien. –Que fais-tu là ? –Bonne question. –Comment es-tu arrivé dans cette chambre ? –Si quelqu’un pouvait me le dire. –Qui es-tu ? –Qui je suis ? Toc toc toc… J’ai inspecté la chambre dans ses moindres détails, deux fois, trois fois, quatre fois. Mes réponses ne sont pas ici. Elles sont forcément derrière cette porte. Sur cette porte, une clé. Accroché à cette clé, un numéro : 43. Toc toc toc… Ok ! Ok, je vais t’ouvrir, mais ne me saute pas dessus s’il te plaît, donne-moi encore un peu de temps, je… je vais trouver. Je tourne cette clé, j’ouvre cette porte, et me voilà dans un long couloir. Dans ce couloir, d’autres portes, alignées de chaque côté. Je tourne à gauche, j’avance. Je vois devant moi une personne qui entre dans ce qui doit être sa chambre. Je suis donc très certainement dans un hôtel. Au bout du couloir, un escalier que j’emprunte lentement, regardant autour de moi, cherchant encore à me remémorer une image, un détail. Quatre étages plus bas, j’arrive au rez-de-chaussée. Là-bas, il y a quelqu’un à la réception. Il a des réponses pour moi, forcément. Je me demande comment je dois aborder la chose. Dois-je lui avouer ne plus me souvenir de comment ni pourquoi j’ai atterri ici ? Ou dois-je faire semblant ? Je ne sais pas, et pourtant je suis déjà face à lui : –Bonjour Monsieur. –Bonjour. –Hmm… Voilà, en fait. Euh… –Oui ? –À quel nom ai-je réservé ma chambre ? –Alors, vous êtes chambre ? − 43. –43, Monsieur Daouz ! –Monsieur Daouz ? –Oui ! Euh… non ! Pardon. En fait, Monsieur Daouz est en 42. Excusez-moi un instant (cherchant sur son registre). Pardonnez-moi, j’arrive tout de suite. Il disparaît quelques instants derrière une porte. Derrière moi, deux hommes discutent : –Je n’ai pas dormi de la nuit ! –Trouve-moi quelqu’un ici qui a pu fermer l’œil ! –Quand il y a eu cette grosse explosion à trois heures du matin, je te jure, je pleurais comme une petite fille, et je priais le bon Dieu pour que ça ne nous tombe pas sur la tête ! –Tu es croyant toi maintenant !? –À trois heures du matin, je l’étais, ça, c’est sûr ! Et d’ailleurs, je le remercie de nous faire rentrer au pays aujourd’hui ! Les deux hommes rient de bon cœur, alors que le jeune réceptionniste réapparaît, la mine dépitée : « Je suis désolé Monsieur, le nom de votre réservation n’est pas noté sur le registre, je ne comprends pas. La personne qui était en poste hier vient de prendre congé. Mais nous allons arranger ça, je vais vous enregistrer à nouveau. À votre nom ou au nom de votre société ? » Je me dis qu’il vaudrait peut-être mieux que je lui avoue tout. Je laisse d’abord passer les deux hommes qui attendaient derrière moi, puis je reviens vers lui, me collant littéralement au bureau d’accueil. Je lui dis alors à voix basse : –En fait, je ne sais pas ce qui m’est arrivé cette nuit, mais je ne me souviens plus de rien. –De rien ? –Absolument rien. Je me suis réveillé tout à l’heure, sans savoir où j’étais ni même qui j’étais… Je cherche à me souvenir. Je suis sûr que ça va revenir, enfin j’espère. Je pensais que vous pourriez m’aider. –Ok, d’accord. Je vais regarder (puis, scrutant le registre). Alors, vous êtes donc arrivé hier soir. La chambre est payée pour cinq jours, pour une personne, mais il n’y pas de nom. C’est vraiment étrange. Et je ne vois pas d’autre information. –Un numéro de téléphone ? –Non. –Un numéro de carte de crédit ? –Vous avez payé en espèces –Je n’ai pas laissé de papiers, pas de carte d’identité ? –Non (cherchant encore et toujours dans son registre). Normalement, on devrait avoir toutes ces informations, mais là, rien. Désolé Monsieur… Je vais essayer de joindre mon collègue qui vous a accueilli hier soir. Voulez-vous aussi que j’appelle la police pour leur demander de faire des recherches ? –Non merci. Ça ira pour l’instant. Je vais… Je vais faire un tour. Je me dirige vers la sortie quand le jeune homme me rattrape : –Monsieur ! Vous êtes au courant pour les affrontements ? –Je les entends comme tout le monde. Mais ce n’est pas tout près, non ? –Pour l’instant oui. Mais, vous savez, dans ces conditions, ce n’est pas très recommandé pour un étranger de sortir en ville tout seul. En plus, avec votre problème de mémoire… Je crois qu’il vaudrait mieux que vous restiez ici. –Étranger ? –Oui ! Vous êtes français. –Comment ça, je suis français !? Vous m’aviez dit que je n’avais laissé aucun papier d’identité. –Mais, Monsieur, nous parlons en français depuis tout à l’heure. –Et vous ? Vous n’êtes pas français ? –Non Monsieur. Je parle en français avec vous. Je parle en anglais avec nos clients anglais. En espagnol avec… –Ok. Ça va, j’ai compris. Ainsi donc je suis français ! –Enfin, je crois. Vous pourriez peut-être aussi être belge, ou suisse, ou canadien. Mais dans ce cas, j’aurais reconnu votre accent. C’est comme moi, vous voyez, quand je vous parle, vous devez certainement remarquer que j’ai un accent. –Maintenant que vous me le dites… (à ce moment-là, encore confus, je ressens le besoin de me confier au jeune réceptionniste). Je ne sais pas vraiment ce que je sais et ce que je ne sais pas. Je découvre tout ça peu à peu, c’est… étrange. Je connais bien tous ces pays dont vous me parlez, et bien d’autres sans aucun doute. Je pourrais tous les situer sur une carte du monde. Je pourrais aussi vous donner le nom de leur capitale : Londres, Paris, Madrid… mais je ne me souviens pas de mon propre prénom, c’est fou ! Les deux hommes là-bas, je sais qu’ils parlent anglais, et je comprends ce qu’ils disent. Je comprends donc l’anglais ; je ne m’en souvenais pas, ou plutôt je ne savais pas que je m’en souvenais. Vous me suivez ? –Non Monsieur, pas vraiment. –Pour vous dire les choses simplement, je pourrais répondre à bien des questions sur notre monde, mais sur moi, je ne sais plus rien. Enfin, je crois. –D’accord Monsieur (un brin circonspect, mais poli). –Vous voyez par exemple (j’insiste), je ne me souviens plus dans quel pays nous sommes, mais si vous me le rappelez, je saurais tout vous dire sur ce pays, j’en suis sûr ! –Ici, nous sommes dans le pays de Kanaʻn, Monsieur. –Kanaʻn !? C’est étrange, ça ne me dit absolument rien. Vous êtes sûr !? –Oh oui, Monsieur (il laisse échapper un léger sourire), tout à fait sûr. –D’accord. Et la ville ? –Néapolis, Monsieur ! –Néapolis !? Alors là… Je ne vois pas du tout. C’est étrange tout de même. Et l’hôtel ? –L’Hôtel du Jasmin, Monsieur. –Ok. Et… –Désolé d’insister, Monsieur, mais le mieux serait de faire appeler la police, pour qu’ils vous aident à retrouver votre identité. –Oui, peut-être, vous avez certainement raison. –Asseyez-vous à la table là-bas, je vais vous apporter un café et de quoi déjeuner. –Oh oui ! un café s’il vous plaît ! Avec un sucre. –Vous aimez donc votre café sucré, Monsieur ! (il sourit à nouveau). Vous voyez, vous n’avez pas tout oublié ! L’odeur du café chaud résiste à tout ! Je crois que ce jeune homme a dû sentir l’étendue de mon désarroi et a voulu par ce petit trait d’humour m’arracher un début de sourire. Je m’exécute sans trop en faire. Cinq petites minutes ont passé, et le voilà déjà qui m’apporte mon petit-déjeuner, en m’informant des dernières nouvelles : –J’ai eu au téléphone mon collègue. Il dit très bien se souvenir de vous parce que c’est assez rare que des gens prennent cinq jours de suite et paient en espèces. Il m’a dit que vous étiez seul. Il jure avoir noté vos nom et prénom sur le registre, mais, vraiment, je ne les retrouve nulle part. Je ne comprends pas. Je lui ai demandé de venir dès que possible. J’ai aussi fait appeler le commissaire. Il m’a dit qu’il vous enverrait une équipe dès que la situation le permettra. Vous comprenez, il y a des urgences à traiter en ce moment. –Ok, ok. Je vais… Je vais remonter dans ma chambre un peu. Je vais me doucher et… Je reviendrai vous voir tout à l’heure. N’hésitez pas à m’appeler quand vous aurez du nouveau. –Pas de problème, Monsieur. Ne vous inquiétez pas, nous allons vous aider.
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