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2568 Words
Quelques secondes plus tard, je risque un nouveau coup d'œil et je relève de la tête mais il me fixait encore et cette fois, nos regards se croisent. Sans que je ne l'empêche. Nos pupilles ne se lâchent pas, une tempête d'émotions me submerge. Mon rythme cardiaque ralenti alors que je me sens de plus en plus mal. Que m'arrive-t-il? L'Alpha d'Asie interpelle celui qui me scrute, sûrement pour lui poser une question et il détourne son regard. Ses yeux. L'instant étrange vole en éclat, je me sens nauséeuse. Je ne suis pas bien, j'ai une envie de plus en plus prenante de vomir et la tête me tourne. Je me lève. Je titube et commence à descendre vers la sortie sous les regards indignés des autres Omégas. Au bout de ce qui me semble une éternité, je me retrouve enfin dehors. Des points noirs apparaissent dans mon champ de vision et des bras enserrèrent ma taille. Je me retourne lentement, en titubant, pour tomber sur Gab. Ce dernier me regarde d'un air soucieux. Je finis par me sentir gêner et me dégage le plus doucement possible de son étreinte. Je ne veux pas le blesser. Il ne tarde pas à m'interroger, curieux, sans tenir compte du fait que je l'ai évincé: -"Je t'ai vu quitté la salle... ça va? Tu as mal à la tête?" Je reste muette. Mon champ de vision se trouble. Je cligne plusieurs fois des yeux. Puis je ne vois plus rien et je sens le sol se rapprocher. ••• Je me réveille dans mon lit, à l'hôtel. J'ai mal partout et une violente douleur me vrille le crâne. Je repousse les couvertures qui me tiennent trop chaud. J'observe le reste de la pièce de mon lit. Gab est assis sur une chaise à côté de moi. Il a l'air de somnoler. Je jette un coup d'œil ma montre qui ne me quitte jamais. Il est quinze heures. Je me relève doucement. La douleur s'atténue lentement et au bout de quelques minutes, je me sens mieux, beaucoup mieux. Le seul bémol: j'ai faim. Mon ventre gargouille, confirmant mes pensées. Je me lève complètement, enfile un sweat sans faire de bruit, faisant attention à ne pas réveiller Gabriel. Puis je sors de ma chambre et monte dans l'ascenseur pour descendre croquer un morceau. Je me retrouve dans la salle de déjeuner de l'hôtel et commande une cuisse de poulet avec des haricots verts. Le premier plat qu'il m'est tombé sous les yeux et qui m'a fait envie. Lorsque le plat arrive, je l'attaque et, sans prendre la peine de savourer, je dévore mon repas à la vitesse d'Usain Bolt. Mon assiette enfin vide, je remercie le personnel et remonte dans ma chambre. Gab n'est plus là. Je réfléchis. Que vais-je faire maintenant? N'ayant pas trop le choix, je décide de revenir à la Réunion. Le trajet dure quelques minutes et je rentre une seconde fois dans le bâtiment, les portes étant ouvertes. À l'intérieur, rien a changé depuis que je suis partie: les Omégas écoutent toujours ce que disent les Alphas. Je regagne la place que j'avais délaissé ce matin et m'y assieds. Je n'étais pas venue ici pour écouter mais pour le voir. L'Alpha d'Europe. Qui m'a rendu littéralement malade. L'Alpha a l'air d'avoir une discussion assez houleuse avec un Alpha de Pays. Pourtant, je n'écoute pas. Je suis ailleurs, dans un lieu créé par mon imagination. Je fais abstraction de ce qu'il se passe autour de moi. Je rêve. Éveillée. Je secoue la tête et me concentre, épuisée par ce qu'il se passe. Mon Alpha a l'air plutôt petit. Ses cheveux sont noirs et ses prunelles sombres, marrons, brillent de colère. Son visage harmonieux dégage un certain charisme qui doit bien lui servir dans maintes situations. La mâchoire serrée, il écoute attentivement l'autre Alpha. Je baisse mes yeux sur ses vêtements. Il porte une chemise blanche retroussée sur ses avants bras. Ses mains agrippent le pupitre devant lui. Je reste un long moment à le fixer, perdant toute notion du temps puis mon regard dérive sur les Omégas. Il y a ceux qui sont concentrés et qui écoutes avec attention et il a ceux qui, comme moi, ont l'air de s'ennuyer ferme. Les minutes défilent. Les nombres de l'horloge électrique défilent. La fin de la première séance approche. Au fur et à mesure, les personnes commencent à se lever et se dirigent vers la sortie. L'horloge indique qu'il est dix-neuf heures, je soupire, une journée se termine, la nuit commence. Je me lève de mon siège, récupère mon manteau et l'enfile. Mes orbes vertes descendent sur le bas de la salle. Les Alphas sortent et sont maintenant escortés par des policiers et des gardes du corps. Bien évidemment, leurs Bêtas les entourent. Les Bêtas, ce sont en quelque sorte les suppléants des Alphas, ils forment une équipe avec laquelle l'Alpha communique et demande des conseils. Il y a aussi quelques Luna, les femmes des Alphas. Ils passent devant nous, les uns après les autres. Quand le défilé est enfin terminé, je sors du bâtiment et me dirige encore une fois vers l'hôtel. Sur le chemin, j'aperçois Gabriel et lui fonce dessus. Il faut quand même que je le remercie pour tout à l'heure... -« Eh! Gabriel! », je l'interpelle. Il se retourne et s'arrête, le sourire aux lèvres quand il me voit courir. Je hoquette, le souffle court, quand j'arrive à son niveau. -« Je voulais te remercier. Pour tout à l'heure. » Son sourire s'élargit et je me surprend moi-même à étirer les lèvres dans une moue vexée. -« C'est normal Lou... En tout cas, bravo, je me rends compte que tu as des performances physiques hors du commun. », me raille-t-il. Je lui envoie mon poing dans son épaule et il maugrée en reculant. Je ris et il ne tarde pas à me suivre. C'est un bon moment que nous passons ensemble mais qui se termine vite quand nous arrivons à l'hôtel, en évoquant nos impressions sur cette première séance. Je monte dans ma chambre tandis qu'il rejoint la sienne de son côté. J'en profite pour appeler mes parents, puis Elsa, à qui je raconte tout, en omettant certains détails, bien évidemment. Comme le fait qu'une attirance commune nous rapproche, Gab et moi. C'est vers vingt-trois heures que je me mets au lit, après cette journée éprouvante. Puis je sombre. ••• Je fais de nombreux rêves cette nuit. Tous différents des uns des autres. Pourtant, je n'en garde aucun souvenir. Je finis pas me réveiller après un cauchemar et regarde ma montre en m'étirant, mon front couvert de sueur. Puis je bondis littéralement de mon lit. Il est huit heures et demi, flûte! J'ai une demi-heure pour rejoindre la deuxième séance. Je prends vite fait une douche, me saisis d'une barre de céréales et descends dans la rue. Devant l'hôtel, un peu désorientée, je m'élance et cours vers le bâtiment sous les regards surpris des New-Yorkais. J'arrive pile poil à temps puisque les portes se referment juste après moi. Elles sont désormais verrouillées. Je me retrouve sur mon siège peu de temps après, le souffle court. Je passe une main sur mon visage pour enlever la fine pellicule de sueur qui me couvre suite à ma course effrénée et l'élastique qui entoure le poignet de ma main gauche disparaît et se loge dans mes cheveux. Très bon moment pour refaire sa coiffure... Mais maintenant, j'ai une queue de cheval haute et on ne voit plus aucune trace du désordre précédent. Je secoue la tête et me concentre sur ce que disent les Alphas, l'agriculture intensive au Brésil. Un sujet qui m'intéresse, enfin. J'ai toujours était assez préoccupée par tout ce qui concerne l'environnement, la nature, les espèces en voie de disparition, la déforestation... Alors quand, lors d'une conversation, on aborde un des ces sujets, je suis toujours la première à parler. Je me souviens de la fois, où, toute petite, j'étais revenue à la maison en persuadant mes parents qu'il fallait faire du recyclage, trier ses déchets et ne jamais jeter les poubelles dans la nature. Je souris à ce souvenir. Soudain, une dispute éclate au sein des Alphas des Continents. Énorme désaccord sur la mixité entre les humains et les loups-garous. Je sursaute alors que la voix de l'Alpha d'Afrique s'élève et résonne puissamment dans l'amphithéâtre hors norme: -« Nous ne sommes pas d'accord! Très bien! Demandons l'avis du public... Je demande au numéro six de chaque rangée de venir nous rejoindre, vous allez prendre la parole pour expliquer votre point de vue en vous justifiant. Je veux des arguments valables, c'est un sujet important et mes collègues ne semblent pas le comprendre. » Je jette un coup d'œil à ma rangée pour voir qui va prendre la parole parmi nous. Étrangement, je ne suis pas surprise quand je comprends enfin que le numéro six, c'est moi. Évidemment, il fallait s'y attendre. Raide comme un piquet, je descends les escaliers qui mènent à la gigantesque estrade. L'appréhension me noue le ventre, je n'aime pas parler à l'oral, en public, c'est encore pire. C'est de la timidité, tout simplement... Certaines personnes disent que c'est un défaut, je ne suis pas d'accord. La timidité a aussi de nombreuses vertus. Comme pour me rassurer, je remarque que Gabriel est dans la même situation que moi. Je me rapproche de lui et le frottement de son bras contre le mien délie le noeud qui s'était logé dans mon estomac. Gab et moi nous trouvons maintenant sur l'estrade. Voir autant de personnes autour de soi est vraiment impressionnant et je hoquette lorsque je tourne discrètement sur moi-même. Des femmes et des hommes remplissent l'amphithéâtre par milliers et le nouveau point de vue dans lequel je pénètre m'offre une vision différente de mon environnement. Je panique. Concentre-toi sur ta respiration. Tout va bien se passer. Tu n'auras pas besoin de parler beaucoup. Calme-toi Lou. Pour ralentir les battements effrénés de mon coeur, j'observe incognito les autres personnes se trouvant dans la même situation que moi. À vue d'œil, nous sommes environ vingt-cinq pour des rangées d'approximativement soixante-dix personnes. Les Alphas des Continents et des Pays se tiennent aussi plus près de nous. C'est impressionnant de les voir de plus près, ces personnages légendaires de notre monde. Ceux qui affirment leur domination, ceux qui contrôlent les armées, ceux qui possèdent la majorité du pouvoir dans notre univers à nous autres, les loups-garous. Intriguée par ces visages aussi célèbres les uns que les autres, que ce soient ceux des Alphas des Pays ou des Continents, je détaille du regard chacun d'eux. Je trouve cela amusant de coller des expressions et des mimiques sur des photos inanimées. Puis mes yeux se posent sur l'Alpha d'Europe, l'Alpha qui a posé ses prunelles sombres sur moi tout à l'heure. Et qui a tout chamboulé. Son visage froid et en même temps chaleureux scrute avec une émotion dominante l'assemblée qui se tient en face de lui. Est-ce mon regard insistant posé sur lui qui fait dévier ses orbes chocolats vers moi? Je n'en sais rien. Mais je sais que je me retrouve happée par ce regard débordant d'une émotion que je ne connais pas, qui ne m'est en aucun cas familière. Je détourne la tête et passe une mèche de mes cheveux derrière mon oreille du bout des doigts. Gênée. Ce type m'hypnotise, c'est la seule explication possible. Pourquoi me sens-je si attirée par lui, alors? En tout cas, son apparence est très différente de près. Lorsque j'étais encore en haut des gradins, tranquille sur mon siège, le détailler dans toute sa puissance se révélait être impossible à réaliser avec précision. Même pour des yeux de loup-garous. Mais lorsque je me retrouve à proximité de lui, je ne peux m'empêcher de remarquer sa stature imposante alors qu'il se révèle bien plus grand que ce que j'avais imaginé. Ses épaules larges et carrées lui donnent une apparence virile qui ne doit pas laisser indifférente nombre de femmes. Je souris. Sans parler de sa musculature saillante, on peut dire que la nature l'a bien conçu. Ses cheveux fins et noirs sont légèrement coiffés et ses yeux marrons font ressortir sa peau hâlée. Je suis coupée dans mon observation minutieuse par Gabriel qui a fini de parler et qui se tient maintenant à côté de moi, un peu tremblotant. -« Tu en as pensé quoi? » Coupable de ne pas avoir écouté, je grimace et réponds du ton le plus naturel possible. -« C'était bien, ne t'en fais pas. Tu as su être convaincant, c'est le plus important, non? » Il esquisse une moue sceptique et je me retiens d'éclater de rire, chose pas très compliquée à réaliser quand je saisis enfin que c'est désormais à mon tour de parler. Je vais derrière le pupitre lentement, essayant de me préparer rapidement à ce que je vais dire. Bien sûr, quand je prends la parole, ce n'est qu'un bégaiement qui sort de ma bouche. -« Je... je prends le...le parti de l'Alpha d'Afrique. » Je fais une pause alors que des ricanements se font entendre dans l'immense amphithéâtre. Je serre les dents et essaie d'être plus ferme. « Effectivement, si on réfléchit bien, le concept de séparation des loups-garous et des êtres humains est insensé. Reprenons les paroles de Martin Luther King: "Vivons ensemble comme des frères où nous finirons comme des fous." N'isolons pas les êtres humains car au fond, nous sommes semblables à eux, avec des gènes de loups-garous en plus. Nous n'avons pas besoin que le monde et la société soient divisés, nous fonctionnons très bien sans séparation. Dans mon lycée, tous sont mélangés et il n'y a jamais eu de problème alors pourquoi en inventer? Et puis, les êtres humains nous apportent de l'objectivité, sans eux, qui sait si nous ne serions pas en train de nous entre-tuer? » Je me recule du pupitre et me dirige vers Gabriel alors que quelques applaudissements retentissent. Je soupire de soulagement. C'est terminé, le cauchemar est passé. Gab me donne une tape amicale dans le dos et un sourire vient éclaircir mon visage, alors que je décompresse rapidement. ••• Le reste de la Réunion se déroule normalement et lorsqu'elle se termine enfin, les Alphas partent en premier suivis par une garde impressionnante. Nous autres, Omégas, attendons un peu plus avant de pouvoir bouger et ensuite sortir, lorsque tous les Alphas sont hors de l'amphithéâtre. Du regard, je cherche Gab et quand je le trouve enfin, je me dirige vers lui et lui attrape le bras. Il me regarde d'un air interrogateur et je lui demande: -" Ça te dit d'aller faire un tour en ville? Je n'ai rien à faire et je vais m'ennuyer à l'hôtel." -"Ok, ça marche" Nous longeons une avenue et nous tournons dans de multiples rues. Finalement, une des rues que nous avons emprunté débouche sur une grande place qui est occupée par des centaines de militaires. J'interroge mon compagnon du regard et il me répond en me montrant le grand bâtiment au fond de la place. Je lis la pancarte de loin. C'est un hôtel, il a visiblement l'air d'être très luxueux. Intérieurement, je siffle d'admiration. Malheureusement, nous ne pouvons approcher plus car la place est fermée aux personnes. Alors Gab m'apporte la réponse qui me manquait: -" C'est là qu'habitent les Alphas."
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