Cover-2

2017 Words
— Je ne suis pas assez bien pour toi et ton frère, cracha Alice, se défendant par l’agressivité. — Laisse Steven en dehors de nous. Il n’est en rien dans ma décision. — Il ne m’a jamais aimée de toutes les manières. — Et c’est réciproque, me semble-t-il. Alors, cesse ton petit jeu immédiatement. Nathan s’était durci et Alice comprit qu’il ne servirait à rien de le provoquer, ou de lui demander de réviser son jugement. — Dégage de chez moi, fit-elle alors, mauvaise. Nathan n’insista pas et tourna les talons après avoir repéré que les prunelles de la jeune femme venaient de changer de couleur. Il l’entendit éclater en sanglots une fois la porte refermée. Appuyé contre un mur, il ferma les yeux quelques instants. Il culpabilisait un peu, mais se sentait également soulagé d’un grand poids. Il rentra chez lui peu après et téléphona à Steven. Ce dernier réconforta son petit frère, comprenant qu’il n’était pas facile pour lui de rompre. D’habitude, ses aventures ne duraient pas assez longtemps pour créer un réel attachement. Là, il avait dû trancher dans le vif et imposer la séparation. — Je l’ai fait pleurer, Steven. Je m’en veux. — Ça va passer et elle va s’en remettre. Tu as vu, comme moi, son attitude. Elle séduira un autre homme très vite. — Oui, sûrement. Et toi tu en es où avec Hélène ? — J’allais te l’annoncer. Elle a dit oui. Je vais donc convoler en justes noces dans quelques mois. Steven s’en voulut un peu de lui annoncer son mariage alors qu’il venait de rompre, mais il connaissait assez bien Nathan pour savoir qu’il devait le dévier de cette culpabilité. Son cadet avait une vision bien plus romantique que lui de la vie amoureuse. Nathan cherchait depuis longtemps celle qui l’accompagnerait toute sa vie. Steven, lui, était bien plus pragmatique et ne croyait pas en l’amour éternel. Il aimait Hélène, cela il en était certain, mais ne pouvait pas garantir qu’il en serait de même toute sa vie durant. En revanche, les frères Beaulieu avaient la volonté commune de se stabiliser dans leur vie privée. Chapitre 2 Rouen, été 2003 La jeune femme sortit du grand bâtiment le sourire aux lèvres en ce milieu d’après-midi. Trois jours après son anniversaire, elle venait d’être admise en licence en droit avec la mention très bien. C’était bien plus que ce qu’elle avait espéré et elle se déclara très fière d’elle. Elle s’éloigna un peu du grand bâtiment en verre et chercha son portable dans son sac. Elle n’eut pas le temps de le récupérer que ce dernier se mit à vibrer. Elle sourit. Son interlocuteur avait lu dans ses pensées, comme bien souvent. — Salut papa, j’allais t’appeler. — Les résultats sont affichés ? — Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ! — Arrête de me faire languir. Faut que tu ménages ton père, Mathilde, taquina l’homme amusé. Il n’avait pas à entendre la nouvelle, il l’avait déjà devinée au son enjoué de la voix de sa fille. Mathilde lui confirma la nouvelle et lui annonça sa mention. S’il était quasiment sûr du succès de sa fille, il ne s’attendait pas à une telle réussite. Père et fille exultèrent vraiment. Elle avait énormément révisé et méritait amplement son admission. — Papa, tu comptes rentrer tard ce soir ? demanda Mathilde, en faisant signe à sa b***e de copines de l’attendre. — Vers 18 h 30, ma chérie. Bruno soupira à l’autre bout du fil, devant son ordinateur. Il se doutait que Mathilde ne rentrerait pas immédiatement chez eux tant qu’elle ne serait pas certaine qu’il ne tarderait pas de trop. Il était le seul sur qui elle pouvait compter. Le seul qui arrivait encore à la rassurer. Elle lui confirma qu’elle allait rester un peu en ville avec ses copines, qu’elle essaierait de voir son petit-ami avant d’envisager l’idée de retrouver sa mère et son frère à la maison. Il ne répondit rien, s’en voulant un peu de ne pas arriver à gérer l’angoisse qui la tenaillait depuis toujours face à sa mère qui ne l’aimait guère et son frère qui la détestait. Les deux menaient la vie dure à la jeune femme qui se tenait, depuis toute gamine, à l’écart, mais qui ne pouvait pas empêcher les déferlantes de rage incontrôlées et injustifiées sur elle. Ils raccrochèrent et Mathilde rejoignit ses copines. Les cinq filles avaient réussi leur année sans avoir à passer au rattrapage. L’été serait donc très serein. Seule Mathilde savait que le sien serait actif. Elle avait réussi à se trouver un job d’été sur les deux mois, évitant ainsi, avec l’accord de son père, la semaine de vacances familiales. C’était désormais au-dessus de ses forces. Son père essayait tant bien que mal de garder sa famille à flot, mais il en avait de plus en plus assez des brimades que sa fille subissait. Sa femme était à nouveau tombée en dépression, ce qui jouait sur le caractère de leur fils aîné, très proche de leur mère. Pendant que Mathilde allait profiter du reste de son après-midi pour se détendre après sa période d’examens, son père se fit très pensif dans son bureau. Son collègue le fixa et lui proposa une pause cigarette qui leur permettrait de discuter loin des autres. Bruno s’entendait avec tous, mais seul Philippe était devenu son ami avec le temps. Les deux hommes sortirent dans la petite cour, devenue le fumoir de l’entreprise. Bruno tira sa première taffe en se disant pour la énième fois qu’il devrait arrêter à nouveau. Il avait tenu une année sans tabac, mais avait replongé quand son épouse avait, elle-même, rebasculé dans une grosse dépression. Leur vie de couple n’était que des montagnes russes au gré des internements de sa femme. Ils s’étaient mariés à vingt ans amoureux, aujourd’hui ils en avaient presque quarante-cinq et Bruno s’interrogeait beaucoup sur ce qu’étaient devenus ses sentiments envers Suzanne. Il restait avec elle par habitude, mais maintenant les enfants grands, il songeait de plus en plus à la quitter. Plus qu’à son fils, il pensait surtout à Mathilde qu’il adorait et qui le lui rendait bien. Jimmy, lui, était en conflit permanent avec son père. Conflit que la relation fusionnelle que Suzanne avait avec Jimmy alimentait énormément. Bruno s’épancha un peu vers Philippe. Il lui parla des regards que son fils posait sur sa fille et qui lui déplaisaient depuis quelque temps. — Tu te fais des films, car c’est compliqué entre vous tous actuellement. Puis tu m’as dit que Jimmy a toujours eu des drôles de comportements envers Mathilde quasiment depuis sa naissance. Tu es juste à cran et tu t’imagines des choses. — Peut-être oui. — Tu as pris une décision concernant ta femme ? interrogea doucement Philippe. — Sa psy pense que ce n’est pas le bon moment pour lui annoncer une séparation. — Ce ne sera jamais le bon moment et tu le sais, Bruno. Va bien falloir que tu penses à toi à un moment donné. — Je ne tiendrai plus longtemps. Je regarde attentivement les mutations. Si j’ai une belle opportunité, je pars avec Mathilde. Il en avait parlé de très nombreuses fois avec sa fille qui était prête à le suivre tant qu’elle ne restait pas avec sa mère et son frère. Elle avait de plus en plus peur de lui sans qu’il y ait pour autant plus de brimades, ou de gestes de la part de ce dernier. Elle le trouvait de plus en plus v*****t dans ses paroles ou réactions. Elle frissonnait à chaque fois qu’il la regardait. Par instinct, elle évitait de rester seule avec lui. En recherche d’emploi qui ne paraissait pas des plus actives, Jimmy passait de très nombreuses heures à la maison. Le comportement câlin qu’il avait avec sa mère la mettait très mal à l’aise et elle essayait de rester le plus loin possible de ce couple mère-fils qui, de toute manière, se suffisait à lui seul. De tout temps, elle avait connu sa mère en dépression. Du plus loin qu’elle se souvenait, elle n’avait jamais eu l’image d’une mère aimante. Elle était dans l’incapacité de se remémorer être dans les bras de sa mère, jouer avec elle, ou rire avec elle. Tous ses souvenirs, elle les avait uniquement avec son père. Pourtant, elle avait vu des photos d’elle avec sa mère alors qu’elle était bébé et tout semblait être idyllique. Son père lui avait expliqué que la santé de sa mère avait basculé vers ses trois ans. Jimmy rentrait à l’école primaire et elle à la maternelle. Elle s’était retrouvée seule à la maison, mais surtout elle avait eu l’impression que son fils, en grandissant, l’abandonnait. Elle s’était alors rapprochée de son garçon, n’ayant jamais réellement voulu avoir une fille. Du jour au lendemain, Mathilde était devenue celle dont on ne s’occupait plus, à qui l’on ne parlait plus sauf pour lui faire des reproches souvent injustifiés. D’un naturel solitaire, la gamine avait pris l’habitude de rester de très nombreuses heures dans sa chambre, ne sortant que lorsque son père était là et disponible pour elle. Finalement tout le monde avait grandi dans ce climat particulier, entrecoupé d’épisodes de dépression profonde où Suzanne était hospitalisée en maison spécialisée. Ce fut aussi le moment où Jimmy sombrait dans la violence. Il se battait souvent, obligeant Bruno à aller le chercher plusieurs fois au commissariat, jusqu’à ce jour où, excédé par frasques de son rejeton, il avait demandé au policier de garder son fils le plus longtemps possible en garde à vue. À dix-sept ans, Jimmy devenait délinquant et sa mère le couvrait sans cesse. Ce n’était jamais de sa faute, il avait besoin d’attention et la famille n’en serait pas là s’il accordait autant d’importance à son fils qu’à sa fille. Voilà les reproches que Bruno entendait depuis des années, alors qu’il aurait pu renvoyer ces mêmes remarques à son épouse. Mathilde, elle, faisait son bonhomme de chemin, réussissait tout ce qu’elle entreprenait malgré cet environnement hostile dans lequel elle évoluait. Sa réussite rendait encore plus Jimmy jaloux, mais elle était devenue championne pour l’éviter. Bruno en avait énormément parlé avec sa fille et elle savait bien qu’un jour il divorcerait de sa mère. Elle ne lui en voulait pas d’hésiter à franchir le cap. Il avait aimé leur mère, et l’aimait encore à sa façon, ne serait-ce que parce qu’elle lui avait donné sa fille. Il ignorait aussi son fils. De toute manière, dès qu’il essayait de parler avec Jimmy, ce dernier s’arrangeait pour rendre la discussion houleuse. Ils avaient tous l’impression depuis des mois de cohabiter plus que de former une famille. Père et fille avaient les mêmes pensées chacun de leur côté en ce jour de juin. Bruno retourna travailler avec la ferme intention de mettre à l’honneur la réussite de sa fille, une fois rentré à la maison. Mathilde se promena avec ses copines et retrouva Thibault. Ils étaient ensemble depuis plus d’un an et c’était la bulle d’oxygène de Mathilde face à sa famille. L’un comme l’autre avait des sentiments, mais ils savaient déjà qu’ils ne finiraient pas leur vie ensemble. Mathilde rêvait de faire carrière alors que lui se contentait de reprendre, petit à petit, la main sur le garage familial. Ils étaient conscients tous les deux qu’un jour leurs chemins se sépareraient. Mais pour le moment, la jeune femme ne se posait pas trop de questions, profitant des bons moments avec lui. — Bon va falloir que je rentre, fit-elle en soupirant alors que le temps avait passé trop vite à son goût. — Veux-tu que je te raccompagne ? proposa Thibault. Il savait que le retour était toujours très difficile pour elle. Mathilde déclina l’offre. Le temps qu’elle rentre son père devrait être là. La jeune femme prit son temps, rentrant à pied et souffla de soulagement quand elle aperçut au loin la voiture de son père sagement garée devant la maison. Elle fut accueillie par les fêtes de son labrador qui l’avait entendue arriver avant même qu’elle ne franchisse le seuil de la maison. — Alors il paraît que tu as réussi tes examens, attaqua sa mère alors qu’elle n’avait même pas posé son sac. — Bonjour maman. Oui je passe en licence. — Ça t’aurait tuée de m’avertir ? — Tu ne t’es jamais intéressée à ma vie, tu veux commencer aujourd’hui, lança Mathilde mauvaise. — Parle à maman autrement, cracha Jimmy, venant s’interposer entre sa sœur et sa mère. Il démarrait au quart de tour quand il s’agissait de leur mère. — Et toi aussi parle-moi autrement. Jimmy la fusilla de son regard noir et l’attrapa méchamment par le bras. Mathilde grimaça sous l’effet de la force de son frère. Il chercha à l’attirer à lui, mais elle lutta et le repoussa. Il perdit un peu l’équilibre. Cette défaillance physique, qui lui arrivait souvent, avait aidé Mathilde à plusieurs reprises. — Lâche ta sœur immédiatement, Jimmy, gronda leur père revenu dans la pièce. Jimmy le provoqua avec un rictus carnassier, mais obtempéra. Il relâcha sa pression. Il craignait tout de même un temps l’image paternelle. Mathilde se massa le bras et s’éloigna de son frère pour se rapprocher de son père.
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