Chapitre 1 : Une Rencontre

1204 Words
Aline, qui venait de fêter ses quinze ans, ne voyait toujours pas les fleurs de la vie. Mais, lorsque le vent printanier pénétrait dans sa chambre, elle chantait toujours au rythme de la brise qui effleurait les objets autour d'elle. “Oh vent souffle donc sur les étages de mon cœur, et emporte la poussière qui me rend malade avec toi. Souffle, toi qui as le souffle éternel…” Des larmes traçaient des sillons sur ses joues lisses. Son monde était empreint de solitude, une solitude si persistante qu'elle semblait être sa seule compagne. Pourtant, il parait que la solitude n'existe vraiment jamais, et que même dans l'illusion prisonnière de la folie, il est presque impossible de la trouver. Dans cette existence qu'elle feignait de vivre, la jeune fille s'était éclipsée dans un monde où elle ne pouvait plus voir le ciel. Il n'y avait ni étoiles, ni la lueur même d'un quelconque astre perdue en chemin. Elle traversait la vie comme une ombre, invisible aux yeux des autres et aux siens. En effet, si elle n'avait pas réussi à se faire des amis dans la société, elle n'arrivait pas non plus à en être une pour elle-même. Puis un jour vint. Toujours aussi surprenante, la vie décida, non pas faire fondre, mais de faire éclater au marteau, la glace qui protégeait le cœur de cette jeune adolescente, même si elle se blessait. Le risque était à prendre. Un midi, comme à son habitude, Aline mangeait seule à la cantine, un sandwich qu'elle avait ramené de la maison. Le brouhaha autour d'elle était aussi assourdissant que le silence qui hurlait dans sa maison, lorsque ses parents étaient absents. Alors qu'elle mordait dans son sandwich, un élève passa en criant : “Eh la vierge ? Tu devrais peut-être penser à changer de look si tu veux séduire quelqu'un ici.” Il éclata de rire après sa remarque, mais Aline resta impassible. Ce qu'elle ignorait, c'était que son présent allait prendre un nouveau tournant. Sans lui en demander la permission, le conducteur du bus du vécu allait la mener à emprunter un chemin inhabituel. Son cœur allait suffoquer devant ce renouveau. Les mots du jeune homme résonnaient encore dans la tête d'Aline lorsqu'elle entendit une voix mélodieuse lui demander, “ça va ?” Surprise, elle sursauta, lâchant son sandwich en criant, “Ah !” La mayonnaise abondante sur le pain tacha le sol. Ignorant les élèves qui se moquaient d'elle, Aline tourna la tête pour être hypnotisée par un regard. Elle remarqua une jeune fille aux cheveux bruns, retenu dans un chignon décoiffés, encadrant un visage lumineux et expressif, avec des yeux bleu océan qui semblait bousculer son âme. La nouvelle venue portait un manteau noir qui épousait la monotonie de la cantine et ses gestes révélaient une assurance innée. “À te voir, on dirait que tu as vu un fantôme. Je m'appelle Ana.” Voyant qu'Aline avait les lèvres mi-ouvertes, les yeux écarquillés, et les mains paralysées, Ana s'assit enfin sur la chaise à sa droite. Posant son sac à dos sur la table, elle dit, “J’espère que ça ne te dérange pas.” Pendant qu'Aline observait les gestes d'Ana, elle continuait, “je n'arrive pas à croire que tu t’es laissés faire par ce type. Il portait le même polo que mon daron porte chaque dimanche après midi…. ” Ana leva les yeux vers le ciel puis se frappa la tête tout bêtement avant d'ajouter, “Désolée, je ne t'ai même pas demandé ton prénom.” D'une voix tremblante et manquant d'assurance, Aline prit une seconde pour aspirer et expirer, avant de répondre, “Aline…” Ana sourit et, en même temps, prit la main d'Aline dans la sienne. “Timide ?” Pouvait-elle remarquer. L'odeur de lavande qui émanait des gestes d'Ana, parvint très rapidement à apaiser les tourments d'Aline. Elle ramassa alors le bout de pain au poulet tombé sur le sol puis se concentra dans le vide face à elle. Pour la première fois, bon nombre de ses pensées se turent. Le silence l'embrassait presque. Le vrai. Le paisible. Car, elle pouvait enfin discerner ses émotions plutôt que de ressentir un mal de tête. Ana pencha le visage vers la droite, “Ok… merci de me laisser parler seule.” Peu habituée à converser, Aline murmura donc, incertaine de ses propos, “je ne sais pas trop… Enfin, peut-être un peu.” Le sourire aux lèvres, Ana se montra heureuse d'avoir un nouveau monde à conquérir. Elle demanda, “ à chaque fois que je te vois, tu es toujours seule. Tu n'as pas d'amis ?” Le pouls d'Aline accéléra et ses mains se mirent à transpirer alors qu'elle cherchait à ordonner ses mots. Elle fut brusquement arrachée à ses pensées par Ana qui claquait des doigts avec impatience. “Tu me réponds  ?” “Désolée… c'était quoi ta question déjà ?” “Pourquoi est-ce que tu es tout le temps seule ?” “Je ne sais pas.” Mais sait-on même ? Sait-on pourquoi est-ce que la dépression nous choisit ? Sait-on réellement pourquoi est-ce que la solitude nous accable ? Le sait-on, dites-moi ? Aline se gratta la cuticule en ajoutant, “Je ne connais pas grand monde, mais quelque part, c'est mieux comme ça.” Ana se rabattit vers Aline, les sourcils froncés, puis s'écria, “Mieux comme ça ? Moi, je pense que non ! D'ailleurs, je décide que nous sommes amies dorénavant.” Elle adressait un clin d'œil à une Aline visiblement heureuse. Aline rêvassait à cause de cela, souriant, enchantée de lire dans les yeux de l'âme qui se tenait devant elle, les aventures qu'elle allait vivre très bientôt. Puis, cette charmeuse d'âmes s'exprima de nouveau. “Je pourrais avoir ton numéro ? Comme ça, on déjeunera encore ensemble demain.” Aline remua la tête avant de partager son numéro. Alors qu'elle était en train de remettre le pain aplati de son sandwich dans sa gamelle et nettoyait le bazar avec du Sopalin, les yeux d'Ana se plissèrent. Elle dit ensuite, “Tu sais quoi ?” Elle ouvrit son sac, ajoutant, “tiens,” tenant une pomme dans les mains. Une lame invisible dévoila les dents d'Aline et de ses mains moites, elle prit le fruit pour le dévorer rapidement. Son jus coulait sur les lèvres de la jeune fille et elle s'assurait de l'essuyer avec ses mains. À peine avait-elle terminé qu'Ana prit le noyau de sa main, et le mit dans un plastique. “Je le jetterai en chemin.” Devant une Aline à court de mots. “Viens avec moi.” Avant de se lever et de mettre son sac sur son dos, elle prit Aline par la main et la tira afin qu'elle se lève. “Il nous reste encore trente minutes avant la reprise des cours.” “On part où?” “Marcher un peu.” Ana leva l'épaule et sourit. Et sans hésiter, Aline s'abandonna à Ana. C'était la première fois depuis longtemps que quelqu'un lui donnait de l'attention, alors elle n'allait pas se rétracter. Bientôt, le monde jugerait sa folie, pourtant, personne ne la comprenait dans sa détresse.
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