Quinze minutes plus tard, elle était prête à crier. Elle s’était doutée que ce serait difficile, mais pas à ce point-là ! Elle se tourna vers Adam, le suppliant en silence de lui venir en aide.
— C’est le seul moyen ! Je suis la seule à pouvoir le faire ! répéta Gracie en regardant intensément les quatre hommes qui se tenaient devant elle. Il n’y a pas d’autre solution.
— Mon c*l, ouais ! dit Chance violemment.
Il eut un mouvement brusque de recul pour s’éloigner d’Adam, qui essaya de l’agripper.
— Chance… commença Gracie.
— Il a raison, Gracie. On ne te laissera pas faire ça. Jamais de la vie, dit Mark.
Gracie poussa à nouveau un soupir de frustration.
— Adam, dis-leur, toi. Tu sais que j’ai raison.
Adam regarda Gracie se lever avec grâce de la chaise qui se trouvait devant la rangée d’ordinateurs. Il ferma brièvement les yeux dans un effort pour contrôler la rage qui bouillonnait à l’intérieur de lui. Il savait qu’elle avait raison, mais il ne voulait pas que ce soit à lui de l’admettre. Adam ouvrit les yeux et regarda son jeune frère Adrian, qui n’avait pas prononcé un seul mot de tout le débat. Il avait la même expression résignée dans les yeux.
— Gracie a raison. Elle est la seule à pouvoir le faire.
Adam parla doucement, mais avec autorité. En tant que chef d’un petit groupe de rebelles à New York connu sous le nom des Cinq de la Liberté, c’était à lui de prendre les décisions difficiles. Il ne savait pas s’il arriverait à vivre avec certaines de ces décisions si jamais ils sortaient vivants de leur lutte pour la liberté.
Cinq ans plus tôt, la Terre avait été envahie par un groupe d’extraterrestres hideux à faire peur. Il n’y avait eu ni avertissement, ni promesse de paix, rien. Les extraterrestres, moitié organiques, moitié machines, avaient tout simplement commencé par rassembler autant d’Humains que possible et à les placer dans d’immenses camps de détention protégés par une sorte de bouclier.
Des millions avaient péri à cause du manque de nourriture et de soins médicaux. On avait appris plus tard, grâce au travail de pirates informatiques, ou de « geeks », comme Gracie aimait être appelée, que les extraterrestres projetaient de se servir des Humains pour remplacer les parties de leur propre corps qui se détérioraient. Les Alluthans faisaient des expériences sur les Humains captifs afin de tester leurs limites et leur degré de compatibilité.
Gracie avait perdu ses parents et sa sœur aînée la première fois que les extraterrestres avaient attaqué New York. Adam, son frère Adrian, et deux autres survivants, Chance et Mark, l’avaient trouvée cachée dans le vieux métro six mois plus tard.
Elle s’était enfuie avec son ordinateur portable et quelques disques durs externes, et elle avait réussi à se connecter à l’un des points d’accès de la salle d’entretien pour surveiller ce qui se passait. Les gouvernements des pays du monde entier avaient fini par s’unir pour contrer la menace, mais pas avant qu’un nombre écrasant d’Humains ait péri ou disparu dans les énormes camps de détention extraterrestres.
Gracie était la plus jeune fille de deux professeurs de l’université de New York. Sa capacité à comprendre le langage des ordinateurs, ainsi que les langues en général, était incroyable. À quinze ans, elle maîtrisait déjà complètement huit langues différentes et en parlait sept autres.
Elle utilisait également ses compétences pour décoder les langages créés par ordinateur afin d’avoir toujours un coup d’avance sur les Alluthans. Ces deux dernières années, elle s’était appliquée à étudier le langage et les applications informatiques des Alluthans pour trouver un moyen de les vaincre.
Adrian regarda son frère en fronçant les sourcils de façon crispée.
— Tu sais que c’est du suicide. Elle n’en sortira jamais vivante.
— C’est faux ! dit Gracie en fronçant les sourcils et en se retournant vers les quatre hommes, qui dominaient son petit gabarit d’un mètre soixante-deux. J’ai de très grandes chances de m’échapper.
— Et, dis-nous, comment est-ce que tu comptes t’y prendre ? grogna Chance en croisant les bras sur son torse imposant.
— Chance, je lis, j’écris et je parle leur langue. Je l’ai énormément étudiée et j’ai aussi beaucoup étudié leurs applications informatiques. L’Équipe N°2 a l’un de leurs vaisseaux de ravitaillement dans le vieil entrepôt au bord de la rivière grâce à moi. Tout ce que j’ai à faire c’est de le programmer pour qu’il rejoigne son vaisseau mère sur pilotage automatique. Une fois à bord, je téléchargerai les programmes que j’ai développés pour désactiver les boucliers qui protègent toutes leurs bases et tous leurs camps de prisonniers partout dans le monde. Une fois le téléchargement terminé, je reprogrammerai le vaisseau pour qu’il me ramène sur Terre, expliqua Gracie, un ton de plaidoyer dans la voix. Je sais que je peux le faire !
* * * *
Chance s’avança vers elle et l’attira contre lui, la tenant contre son corps. Elle était ce qui se rapprochait le plus d’une famille pour lui, mis à part les autres gars avec eux. Lui aussi avait perdu la sienne et il s’était promis de protéger Gracie depuis la première fois qu’il avait vu ses yeux vert émeraude lui rendre un regard apeuré dans le tunnel obscur cinq ans auparavant.
Pendant longtemps, il n’avait pas voulu admettre qu’alors qu’elle grandissait, ses sentiments pour elle avaient dépassé la seule affection fraternelle. À dix-sept ans, Gracie était encore trop jeune. Chance continuait de patienter aussi longtemps que possible avant de la réclamer comme sienne, mais il avait peur de ne jamais avoir l’occasion de lui dire ce qu’il ressentait pour elle.
— Et s’ils te trouvent ? Et si ça ne marche pas et que tu te retrouves prise au piège là-bas ? demanda Chance d’une voix rauque tout en la tenant contre son grand corps dur.
— Ça n’arrivera pas. Ça va marcher. J’ai vérifié et revérifié les programmes pour être sûre qu’ils fonctionnent. Tu as vu de tes propres yeux le bouclier s’écrouler, et que j’étais capable de prendre le contrôle du vaisseau et de le faire se poser. L’extraterrestre n’a rien compris à ce qui se passait, dit Gracie en refermant ses bras autour de Chance.
Elle voulait le rassurer, mais elle avait besoin, elle aussi, d’être rassurée.
— Quand est-ce qu’on passe à l’action ? demanda Adrian.
— Demain matin, répondit Adam. On a reçu la confirmation que tout le monde sur Terre sera prêt.
Mark acquiesça.
— Tu as plutôt intérêt à revenir, Calamity Jane, sinon je vais être très remonté contre toi.
Gracie sourit avec douceur avant de répondre.
— Je reviendrai, Mark. Je reviendrai.