Chapitre II

812 Words
Chapitre IISuite de la délivrance d’Asmodée. Ce démon, s’apercevant que sa vue ne prévenait pas en sa faveur l’écolier, lui dit en souriant : Eh bien, seigneur don Cleophas Leandro Perez Zambullo, vous voyez le charmant dieu des amours, ce souverain maître des cœurs. Que vous semble de mon air et de ma beauté ? Les poètes ne sont-ils pas d’excellents peintres ? Franchement, répondit don Cleophas, ils sont un peu flatteurs. Je crois que vous ne parûtes pas sous ces traits devant Psyché. Oh ! pour cela non, repartit le Diable ; j’empruntai ceux d’un petit marquis français, pour me faire aimer brusquement. Il faut bien couvrir le vice d’une apparence agréable, autrement il ne plairait pas. Je prends toutes les formes que je veux, et j’aurais pu me montrer à vos yeux sous un plus beau corps fantastique ; mais, puisque je me suis donné tout à vous, et que j’ai dessein de ne vous rien déguiser, j’ai voulu que vous me vissiez sous la figure la plus convenable à l’opinion qu’on a de moi et de mes exercices. Je ne suis pas surpris, dit Leandro, que vous soyez un peu laid : pardonnez, s’il vous plaît, le terme ; le commerce que nous allons avoir ensemble demande de la franchise. Vos traits s’accordent fort avec l’idée que j’avais de vous ; mais apprenez-moi, de grâce, pourquoi vous êtes boiteux. C’est, répondit le démon, pour avoir eu autrefois, en France, un différend avec Pillardoc, le diable de l’intérêt. Il s’agissait de savoir qui de nous deux posséderait un jeune Manceau qui venait à Paris chercher fortune. Comme c’était un excellent sujet, un garçon qui avait de grands talents, nous nous en disputâmes vivement la possession. Nous nous battîmes dans la moyenne région de l’air. Pillardoc fut le plus fort, et me jeta sur la terre, de la même façon que Jupiter, à ce que disent les poètes, culbuta Vulcain. La conformité de ces aventures fut cause que mes camarades me surnommèrent le Diable boiteux. Ils me donnèrent en raillant ce sobriquet, qui m’est resté depuis ce temps-là. Néanmoins, tout estropié que je suis, je ne laisse pas d’aller bon train. Vous serez témoin de mon agilité. Mais, ajouta-t-il, finissons cet entretien. Hâtons-nous de sortir de ce galetas. Le magicien y va bientôt monter, pour travailler à l’immortalité d’une belle sylphide qui le vient trouver ici toutes les nuits. S’il nous surprenait, il ne manquerait pas de me remettre en bouteille, et il pourrait bien vous y mettre aussi. Jetons auparavant par la fenêtre les morceaux de la fiole brisée, afin que l’enchanteur ne s’aperçoive pas de mon élargissement. Quand il s’en apercevrait après notre départ, dit Zambullo, qu’en arriverait-il ? Ce qu’il en arriverait ? répondit le boiteux ; il paraît bien que vous n’avez pas lu le livre de la contrainte. Quand j’irais me cacher aux extrémités de la terre, ou de la région qu’habitent les salamandres enflammées ; quand je descendrais chez les gnomes ou dans les plus profonds abîmes des mers, je n’y serais point à couvert de son ressentiment. Il ferait des conjurations si fortes, que tout l’enfer en tremblerait. J’aurais beau vouloir lui désobéir, je serais obligé de paraître, malgré moi, devant lui, pour subir la peine qu’il voudrait m’imposer. Cela étant, reprit l’écolier, je crains fort que notre liaison ne soit pas de longue durée : ce redoutable nécromancien découvrira bientôt votre fuite. C’est ce que je ne sais, répliqua l’esprit, parce que nous ne savons pas ce qui doit arriver. Comment, s’écria Leandro Perez, les démons ignorent l’avenir ? Assurément, repartit le Diable ; les personnes qui se fient à nous là-dessus sont de grandes dupes. C’est ce qui fait que les devins et devineresses disent tant de sottises, et en font tant faire aux femmes de qualité qui vont les consulter sur les évènements futurs. Nous ne savons que le passé et le présent. J’ignore donc si le magicien s’apercevra bientôt de mon absence ; mais j’espère que non. Il y a ici plusieurs fioles semblables à celle où j’étais enfermé ; il ne soupçonnera pas qu’elle y manque. Je vous dirai de plus que je suis dans son laboratoire comme un livre de droit dans la bibliothèque d’un financier : il ne pense point à moi ; et quand il y penserait, il ne me fait jamais l’honneur de m’entretenir : c’est le plus fier enchanteur que je connaisse. Depuis le temps qu’il me tient prisonnier, il n’a pas daigné me parler une seule fois. Quel homme ! dit don Cleophas. Qu’avez-vous donc fait pour vous attirer sa haine ? J’ai traversé un de ses desseins, repartit Asmodée. Il y avait une place vacante dans certaine académie : il prétendait qu’un de ses amis l’eût ; je voulais la faire donner à un autre : le magicien fit un talisman composé des plus puissants caractères de la cabale ; moi, je mis mon homme au service d’un grand ministre, dont le nom l’emporta sur le talisman. Après avoir parlé de cette sorte, le démon ramassa toutes les pièces de la fiole cassée, et les jeta par la fenêtre. Seigneur Zambullo, dit-il ensuite à l’écolier, sauvons-nous au plus vite : prenez le bout de mon manteau, et ne craignez rien. Quelque périlleux que parût ce parti à don Cleophas, il aima mieux l’accepter que de demeurer exposé au ressentiment du magicien ; et il s’accrocha le mieux qu’il put au Diable, qui l’emporta dans le moment.
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