Chapitre 1-1

2082 Words
Chapitre 1 La démarche féline, elle ondulait nonchalamment sans prêter une quelconque importance aux regards de la foule. Toute vêtue de noir, elle apparaissait sobre et si sensuelle à la fois que je me surpris à la déshabiller du regard. Ses courbes m’enchantaient et sa prestance me désarçonnait. Elle opérait en moi une magie encore inconnue à ce jour. Elle approchait. Je ressentis son parfum ; tous mes sens se mirent en éveil ! Je devais impérativement masquer mon malaise, ne rien laisser paraître pour mieux donner le change. Je pris un air détaché à sa venue. Tout en poursuivant son chemin, elle me foudroya de ses yeux vert émeraude. — Vous êtes avec nous ? me demanda Katy. À vrai dire non ! J’en avais oublié mon nouveau cercle d’amis. J’avais perdu le fil de la conversation. Face à mon désarroi, Jane vola à mon secours. Elle détourna les réponses en question, obligeant les autres à se retrancher dans de nouvelles hypothèses, le temps pour moi de renouer le contact. Merci Jane. Une fois de plus, tu m’avais sauvé la mise ! Nous entretenions toutes les deux des liens étroits, partageant un goût mutuel pour la philosophie, nous rejoignant par nos états d’âme. Adolescentes déjà, nous refaisions le monde. Aujourd’hui, nous prenions plaisir à le remodeler. J’étais le poète un peu fou, elle, ma raison. Elle savait faire de ma « folie » une créativité et de mes doutes une certitude que le temps me donnerait avec l’âge. J’avais toujours admiré chez elle cette sagesse d’esprit ; laquelle ne m’avait jamais fait défaut. — Allons-nous trouver une table, proposa Karl, si nous ne voulons pas rester là à sécher comme des harengs ! Sacré Karl ! Un franc-parler et un mimétisme à la féminité disproportionnée. Un très grand journaliste d’après ses collègues, toujours en quête de la perfection. Dur de faire mieux ! Intransigeant dans son travail, caustique dans la vie de tous les jours, il était souvent difficile à cerner. Je trouvais sa personnalité très séduisante, riche intellectuellement, débordante d’humour et très attentionnée. Il dégageait une certaine sensibilité parfois maladroite, ce qui le rendait d’autant plus touchant. La salle était comble. Le silence régnait. La conférence allait commencer. Nous adoptions tous une posture d’écoute comme des lycéens modèles. Le professeur Norton fit son apparition et les applaudissements retentirent. Il était venu exposer sa dernière théorie sur l’alchimie comportementale entre deux individus. Sujet indémodable dans les soirées mondaines. C’était un homme de grande envergure, doté d’une maturité exemplaire. Quelques chuchotements se firent encore entendre, puis le silence s’instaura dans un réel respect. En expert, il nous déroula ses arguments. L’auditoire était plongé dans une profonde réflexion. Nous nous laissions submerger par ses paroles tant son talent d’orateur nous transcendait. Nous aurions pu l’écouter durant des heures... Une seule lui avait suffi pour mettre un terme à son exposé. Nous restâmes tous un peu sur notre faim L’assemblée se leva à l’unisson, saluant cet homme quelque peu déconcerté devant tant d’acclamations. — Hello ! s’exclama Katy, en déployant de grands gestes pour attirer l’attention de son amie venue de je ne sais où. À son nom, je saisis tout de suite qu’il s’agissait de sa meilleure amie. Jane m’avait beaucoup parlé des liens privilégiés qu’elles avaient tissés toutes les deux. Une grande complicité les unissait balayant parfois le sens des règles de la hiérarchie. Katy était rédactrice en chef et Carter la directrice de la société. À les voir toutes les deux, on ne savait discerner le patron de l’employée, tant leurs affinités étaient grandes. Seul Karl, éternel confident de Katy, se jouait de cette ambiguïté pour taquiner Carter. Ainsi, arborant un large sourire, il invita cette dernière à les rejoindre en se confinant tout contre Katy. — Hello, ma chérie ! Viens, tu nous as manqué. Je te présente Jane, je t’en ai déjà parlé, tu t’en souviens ? On s’est connues à l’école de journalisme. — Bien sûr, ravie de vous connaître ! — Je suis honorée, mademoiselle Carter. — Et voici Jamie son amie d’enfance, écrivain et artiste peintre. — Enchantée ! — De même ! me souffla Jane, comprenant mon subit émoi. Décidément, elle avait le don manifeste de me surprendre. Elle s’était assise au côté de Karl, face à moi. Je sentis son regard, je n’osai y faire front. Je n’y étais pas vraiment préparée. Jane entama une conversation. Je profitai de cette diversion pour me redonner une contenance. Encore merci Jane ! — Peintre ? J’ai une passion pour la peinture. Quel est votre style ? me demanda prestement Katy, attirant ainsi toute l’attention sur moi. J’aurais aimé que l’on m’oubliât encore un peu. Cependant, c’était sans compter sur le vif intérêt que Katy semblait porter à mon égard. Avait-elle décelé mon trouble ? Ou cherchait-elle tout simplement à mieux me cerner ? — Chérie ! Les artistes ont leur propre langage. Le style est une déconvenue en ce qui me concerne. Il n’existe pas de mots pour décrire une toile. N’est-ce pas Jamie ? — Sauf si l’on se trouve aussi être écrivain ! rétorqua Katy à Karl avant même que je puisse répliquer. — À vrai dire, j’utilise les mots pour nuancer mes peintures et mes palettes pour décrire mes romans. Pour moi, c’est une syntaxe. Jane me glissa un clin d’œil avant de renforcer mes arguments. Katy acquiesça et m’offrit un sourire de convenance. Je venais de gagner son respect et, plus fort encore, j’avais attisé, me semblait-il, la curiosité de Carter. Je la surpris à me dévisager lors de ma conversation avec Karl. Je feignis de l’ignorer pendant un temps, avant de me raviser en la fixant sans détour. Pour la première fois, je la sentis intimidée et perdre de sa contenance. Katy s’en rendit vite compte. Elle vola au secours de son amie en donnant le change. — Carter, tu rêves ? la questionna Katy. — Laisse-la donc ! Pour une fois qu’elle s’évade, on peut bien lui accorder un répit. Elle nous reviendra bien assez tôt ! — Karl ! coupa Katy. — Eh bien quoi ? C’est vrai. Cela fait combien de temps que tu n’as pas vu Carter aussi détendue ? insista-t-il. — Et si vous arrêtiez tous les deux ! Vous parlez de moi comme si je n’étais pas là, s’indigna Carter. — Tu vois, elle est déjà de retour ! rétorqua Karl. Un rire de connivence s’éleva entre le trio. Elle rayonnait de joie, irradiant autour d’elle des petites parcelles magiques que mon cœur attrapait sans retenue. De nouveau, je m’étais perdue dans son sillage, me surprenant à dessiner les courbes de son corps et à ressentir ses émotions. « Tel un peintre elle est ma muse, tel un poète elle est ma plume. », méditai-je. Plongée dans mes réflexions, je ne perçus pas immédiatement son doux sourire à mon attention. Avait-elle deviné mes pensées ? Ou cherchait-elle à me déstabiliser ? Je répondis à son sourire en l’invitant à nouer le dialogue. La soirée se déroulait en parfaite harmonie, dans la joie et la complicité. Cela étant, bien entendu, avant la venue inopinée de Marlène ! Tous changèrent d’attitude et prirent un air détaché. Devant ma surprise, Katy me souffla discrètement : — C’est la demi-frangine de Carter. D’un ton cassant, Karl s’adressa à elle : — Mir laine ! Quel bonheur de vous voir si tôt ! — Toujours autant d’humour Karl ! Dis-moi, Carter, tu n’as pas oublié l’exposé ? C’est bientôt ton tour, la scène t’attend ! — Marlène, tu sais quoi ? Je pense que tu es à même de le faire. Le mérite te revient ! Tu t’es tellement investie dans ce projet. Je t’en prie, éblouis-nous de tes talents d’oratrice. Carter parla d’un ton posé, mi-persifleur, mi-méprisant. C’était une femme d’affaires très respectée et très sollicitée, tant pour son aura intellectuelle que pour sa divine plastique. Elle était pourvue d’un sens aigu de la dérision. Elle ne dévoilait jamais ses sentiments, signe pour elle de faiblesse. Elle n’y dérogeait que très rarement ; elle était très intransigeante. Elle savait aussi être très cinglante dans ses propos. La confronter à ses pensées, ou contredire ses idées était tout simplement suicidaire. Marlène jeta un air de dédain à sa sœur. — Si cela peut te faire plaisir ! maugréa-t-elle en tournant les talons. Un silence de plomb s’abattit. — Bon, ce n’est pas tout ! On ne va pas rester là à écouter les jérémiades de ta sœur. Si on allait au pub « Chez Bradley ». Ça vous dit ? proposa Katy. — Oui, très bonne idée ! Allez mes chéries, allons-nous débrider ! s’enthousiasma Karl. Carter sembla marquer une hésitation. Katy prit Karl à témoin. — Ne t’inquiète pas, Carter, nous serons revenus pour la clôture de la cérémonie, n’est-ce pas Karl ? — Oh oui ! bien sûr. Je ne voudrais manquer ça pour rien au monde ! Du reste, ils me manquent déjà, ces aristocrates de mes deux. Vite, fuyons avant que je ne change d’avis ! * Nous pouffâmes de rire, et jetâmes un vif coup d’œil aux alentours avant de nous éclipser par une porte dérobée. Dans une joie euphorique, nous arpentâmes le boulevard Saint-Germain en direction du boulevard Saint-Michel. Soudainement, le ciel s’obscurcit. Ce n’était pas la nuit qui tombait, il était à peine vingt heures trente. Nous levâmes tous machinalement la tête, une pluie torrentielle s’abattit sur nous. Coude à coude, nous nous mîmes à courir jusqu’au pub. Tout ruisselants, nous pénétrâmes « Chez Bradley ». Nous suivîmes Katy bien déterminée à se frayer un passage. Dans sa course, elle héla un jeune homme en lui priant de nous apporter un millésime. — Hello Jason ! Champagne, s’il te plaît. — Bonsoir Katy, mesdemoiselles, monsieur ! Et vous fêtez quoi ce soir ? — Notre escapade, répondit Karl malicieusement. La musique nous assourdissait, l’alcool nous grisait... Nous étions tous en transe, fiers comme des collégiens venant de faire le mur. On ne se prenait plus au sérieux, on se laissait bercer d’illusions. Nous balayions tous nos soucis, le temps d’une soirée ! — Allons danser les filles ! Décoincez-vous un peu. Allez ! On se bouge. Karl prit Katy par le bras, entraînant Jane au passage. Je fuyais le regard de Carter. Je sentis sa main saisir la mienne, mon cœur se mit à battre la chamade ; c’était notre premier contact physique. J’aurais voulu qu’elle ne me lâchât plus, que le temps s’arrêtât. Les premières notes de « Earth Song » retentirent, je serai sa main plus fort. — Accepteriez-vous cette danse, mademoiselle Carter ? lui demandai-je timidement. Elle plongea ses yeux dans les miens et se cala tout contre moi. C’était un oui ! Je me laissai étourdir par son parfum. Ce goût sucré, mélangé à son odeur m’invita à la rêverie. Son souffle m’insuffla le désir. Sa façon d’animer son corps au rythme de la musique provoqua des turbulences dans mon cœur. Elle me parla, je ne l’entendis pas. Je lui souris, elle ne le vit point. Nos âmes se perdirent dans une magie intemporelle. J’ouvris les yeux, la lumière était tamisée. Nos regards se croisèrent, nos lèvres se frôlèrent, nous flirtâmes avec nos émotions. La chanson à peine terminée, elle m’échappa comme une fugitive sans se retourner et se dirigea vers Katy. Confuse, je retournai à notre table retrouver Jane. Karl nous y rejoignit avec un air de désappointement. — Ce n’est pas grave. Ne vous en faites pas, me déclara-t-il. Il avait assisté à la scène. — L’attitude de Carter n’a rien à voir avec vous, me précisa-t-il. Il m’invita à boire un verre avant de poursuivre ses révélations. — Il y a quelques années de cela, Carter était tombée amoureuse d’un collègue. Ils ont caché leur aventure pendant deux ans. Un jour, fatigués de tous ces semblants, ils ont révélé leur union en plein jour. À partir de ce moment, plus rien n’a été comme avant. Oh ! bien sûr, pour eux tout semblait parfait. Cependant, une menace arrivait à grands pas. Elle s’appelait Marlène ! Elle n’a jamais accepté d’être reléguée au second rang. Son père ne l’a reconnue qu’à l’âge de dix-huit ans. Elle est née d’une aventure avant le mariage de son père. Il ne connaissait même pas son existence. Ce n’est qu’à la mort de la mère de Marlène qu’il connut la vérité. Aussitôt, il l’adopta et lui donna son nom. Se retrouvant ainsi l’aînée de la famille, elle n’a jamais compris pourquoi son père avait nommé Carter à la tête de sa société, et non elle. Elle était juste l’adjointe ! précisa-t-il avec ironie. — Sa haine pour sa sœur grandit avec les années, poursuivit-il. Elle la jalousait et enviait toutes les personnes qui l’approchaient. Bien plus tard, elle se forgea une personnalité, se façonna une silhouette et se mit en quête de subjuguer toute personne en lien avec sa cadette. Son premier challenge fut Marc, l’amant de Carter. Elle le travailla de toutes les façons possibles, profitant du statut que lui offrait son poste de directrice adjointe. C’est elle qui a main basse sur le personnel ; elle gère tout ce qui est administratif. Et, croyez-moi, elle sait être persuasive ! Elle a joué quelques mois avec lui et l’a ensuite jeté comme un malpropre. Elle a remis ça, quand elle a appris que Carter s’était entiché d’un reporter-photographe. À sa plus grande surprise, elle découvrit que l’élue de sa sœur était une femme ! Son second challenge allait être plus difficile à remporter, mais pour Marlène rien n’était impossible : elle ne recule devant rien ! Il lui suffirait de déployer un peu plus de stratégie. Aussi, avec un peu de temps et de volonté, elle a obtenu les faveurs de sa proie. Laura céda à ses propositions ! Celle-ci s’en repentit très vite. Elle voulut se justifier, convaincue d’avoir commis une énorme erreur. À ce jour, Carter ne lui a toujours pas pardonné. Cela fait un an aujourd’hui ! Depuis, elle s’est interdite toute forme d’émotion et évite toute tentation. Je crois qu’elle a perdu l’espoir de croire. Je ne vous dis pas cela pour que vous y renonciez, au contraire, j’aimerais vous y encourager !
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