Milliardaire Interdit

Chapitre 2

Chapitre Deux

Neuf semaines plus tôt

— Arrête de boire de la bière, p****n. Tu veux que papa nous fasse une crise cardiaque ?

Nico me balance un jeu de clés.

Sans lever les yeux de mon film préféré, j’intercepte les clés avec l’agilité d’un ninja. Je sens au contact de la télécommande qu’il a cherché à ouvrir ma Pagani.

— Chut. C’est le meilleur passage.

Du coin de l’œil, je vois Nico se tendre. Il croise les bras sur son torse avec cet air renfrogné que je connais si bien. Mais je ne mettrais Reservoir Dogs sur pause pour personne – encore moins Nico.

Un névrosé peut pas être un professionnel. Je déteste bosser avec des psychopathes. On sait jamais ce qu'il y a dans la tête de ces connards.

Je laisse échapper un rire. Cette réplique me scie à chaque fois. La scène se termine et je mets le film sur pause.

— Où vas-tu, sapé comme ça ?

— Au même endroit que toi, soupire Nico, avec un air de Keanu Reeves.

— T’as cru quoi ? Je finis mon film, puis direction le club pour une session de squash. Ensuite, je pensais faire un tour sur la 101.

Faire un tour sur la 101 est en réalité un code signifiant draguer une minette au country club avant de trouver un spot reculé pour b****r en plein air.

Nico se précipite à travers la pièce média pour m’arracher la télécommande des mains.

— Eh ! Dis-je brusquement en lui jetant un regard noir. Qu’est-ce qui te prend ?

— Est-ce que tu as lu Wine Country Weekly ?

Je renâcle.

— Depuis quand est-ce que tu t’intéresses au business familial ?

— Depuis que Papa me harcèle avec son histoire de patrimoine.

Nico semble sur le point de jeter la télécommande contre le mur.

— Tu n’écoutes donc jamais, quand je te parle ? Tu ne t’intéresses à rien ?

À toutes sortes de choses, si. Les seins, les culs. La prochaine chatte que je baiserai.

— À mes futures conquêtes, si, dis-je en m’efforçant de cacher mon sourire.

C’est tellement plus drôle quand je reste de marbre.

— Sors-toi la tête du caniveau deux secondes et écoute-moi.

Nico était beaucoup plus marrant autrefois. Avant qu’il n’épouse Ronnie, cette arriviste de première toujours sapée en Versace, prête à tout pour gravir les échelons. Mais j’ai comme l’impression qu’il ne va pas laisser couler, alors au nom de notre complicité fraternelle, je m’assois correctement et me prépare à l’écouter.

— Dis-moi tout.

Nico se clarifie la voix. Il semble un peu gêné.

C’est curieux. Nico n’a que treize minutes de plus que moi, mais il arbore sa qualité d’aîné comme une médaille : il déteste me demander des services. Et ce petit détail de rien du tout, cette retenue qu’il manifeste, me donne toujours un train d’avance.

— Ronnie s’est beaucoup intéressée au négoce du vin, ces derniers temps.

Une sourde aigreur se propage dans mon corps, mais je tente au mieux de la ravaler.

— Je pensais que tu voulais me parler de Papa.

— Oui.

J’ouvre les mains, perplexe.

— Alors pourquoi me parles-tu de Ronnie ?

— Parce que Papa est furax de voir qu’il n’y a que Ronnie qui s’intéresse à l’entreprise. Il a peur qu’elle veuille en prendre le contrôle.

— Et alors ? On s’en fout, non ?

Qu’elle fasse ce que bon lui semble. Elle et Nico finiront bien par procréer un de ces quatre, et leur fils, car c’est certain, ils auront un fils – comment pourrait-il en être autrement avec les gènes de triplés qu’il se coltine ? – hériteront alors d’un domaine viticole estimé à plus d’un milliard de dollars. Je suppose que l’idée devrait me faire enrager, mais pour être honnête, je m’en fiche comme de l’an quarante. Mon trust est en sûreté, bien à l’abri, et d’ici deux petites années j’en hériterai tout à fait, et je pourrai alors me retirer de cette vie de dilettante pour m’adonner à d’autres activités de mon choix, comme de l’inspection de bikinis, ou que sais-je.

Nico secoue la tête d’un air désappointé, comme s’il avait accès au fil de mes pensées.

— Papa ne veut pas de Ronnie à la tête de son empire. Il nous veut nous.

Je hausse les épaules.

— Je suis un homme à bière, mec. Sauf le samedi. Le samedi, c’est whisky.

— Continue de dire ce genre de choses et tu verras, il te rayera de son héritage, m’avertit Nico.

— Maman ne le laisserait jamais faire une chose pareille.

Nico arque un sourcil. Me voilà intrigué. Que sait-il que j’ignore ?

— Je n’en serais pas si sûr.

Je me lève.

— Que se passe-t-il ? Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

Nico se rengorge, triomphant. Et à raison, car sans que je ne sache comment, il est parvenu à reprendre la main. Une fois de plus. Et à présent, il sait que je ferai tout ce qu’il me demande, parce qu’il détient des informations cruciales que je brûle de lui sous-tirer.

— Ce soir, il y a une dégustation de vin en centre-ville, un blind test, organisé pour promouvoir des domaines viticoles indépendants qui ont le vent en poupe. Ronnie a mené sa recherche sur les tendances actuelles, et elle pense qu’on devrait passer à la vitesse supérieure. Elle voudrait goûter les vins de la concurrence.

— On n’a pas de concurrents, dis-je en grommelant. On possède plus de quatre-cent mille hectares de vignes. C’est certainement pas des domaines de dix hectares tenus par papa-maman qui pourrait nous détrôner. Et si par malheur ils représentaient le moindre risque, on n’aurait qu’à répliquer façon Duvel.

Nico me darde un regard interrogateur.

— Duvel, tu sais ?

Je le regarde avec effarement, comme si je m’entretenais avec un collégien qui ne savait pas comment épeler le mot maman.

— Genre les plus gros producteurs de bière dans le monde ? Ils gobent les petites brasseries comme des mouches.

— Le fait est que Maman trouve que Ronnie a raison, et elle a commencé à mettre la pression à Papa.

Je traduis : Ronnie ne peut pas me blairer, Maman a commencé à se mêler de cette histoire, et maintenant, je risque de perdre l’accès à mon trust. p****n. Ils me gavent, tous. Mon esprit turbine à toute vitesse. J’ai été malin, j’ai effectué quelques placements ces dernières années – pas tout à fait de quoi assurer le niveau de vie auquel je me suis habitué, mais ça pourrait le faire. Qu’ils essaient de me couler ! Ma vengeance sera pire qu’un scénario de Tarantino ; je les battrai tous à leur propre jeu.

— Si j’ai bien compris, ce que tu essaies de me dire, c’est qu’il faut que j’enfile mon meilleur costard et que je fasse semblant de m’intéresser à une b***e de minus qu’on pourrait détruire sans le moindre effort ? Comme ça ? dis-je tout en claquant des doigts.

Nico me sourit.

— Un truc du genre, ouais.

— Je vais y réfléchir.

Je m’enfonce dans le fauteuil et relance Reservoir Dogs.

— T’es vraiment un sacré numéro, Austin, me lance-t-il avec humeur.

J’agite la main.

— Chut. J’ai dit que j’allais y réfléchir.

— Sois pas con. Dec sera de la partie. La dégustation commence à dix-neuf heures au Four Seasons.

Il tourne les talons et quitte la pièce sans me laisser l’opportunité d’avoir le dernier mot. Crétin.

De fait, j’y songe réellement, ne suivant le film que d’un œil distrait. Option numéro un : les envoyer se faire foutre. Ce serait si simple. Puis je trouverais bien un moyen pour m’épargner les foudres de Maman. Au moins pendant quelques semaines. Mais il se trouve que j’apprécie mon existence tranquille et sans prises de tête. Et à quoi bon me leurrer. Je compte beaucoup sur mon trust, même s’il vient avec des obligations qui elles me déplaisent. Ce qui m’amène à l’option numéro deux : endosser le rôle du fils parfait et faire semblant de m’intéresser au vin. Si j’ai horreur de changer mes plans, cette seconde option m’épargnerait tout de même bien des problèmes, ce qui pèse dans la décision. Et le bar du Four Seasons est plutôt bien fréquenté : je n’aurais pas plus de mal qu’ailleurs à me dégoter une meuf pour ce soir. Je descends ma bière cul sec, arrête le film et me lève en cherchant mon portable. Si je me magne, je peux être sur la route dans trois quarts d’heure et devancer Nico et Declan à l’hôtel. Ils s’arrêteront sûrement pour prendre un cocktail sur la véranda avec nos parents avant de faire leur arrivée en limousine, ce qui signifie que si je la joue fine, je pourrai conclure avant même que mes proches ne franchissent le lobby.