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Eagle à jamais

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Le commissaire Workan doit revoir son swing...

En Bretagne romantique, non loin de Combourg, Charles Soufflot, golfeur invétéré, s’apprête à jouer le score de sa vie sur le trou numéro 1 du golf des Grenouilles : un eagle !... Quoi de mieux qu’un eagle pour impressionner les amis ? Rien !... Et pourtant, un grain de sable va venir enrayer la belle machine à jouer qu’il était devenu. Un grain de sable répugnant.

Presque au même moment, un éditeur paniqué rend visite au commissaire Workan à Rennes : l’un de ses auteurs a disparu. Celui-ci menait des investigations sur des groupuscules d’extrême-droite ou écologistes pour un prochain ouvrage (Michel Grimesnil, éditeur parisien, n’étant pas très sûr de la qualité des protagonistes)… Il va harceler Workan afin que celui-ci ouvre une enquête sur la disparition de ce journaliste d’investigation hors pair. Cédant par compassion ou par curiosité, le commissaire va se saisir de l’affaire. Celle-ci l’entraînera vers un mystérieux château à proximité du golf des Grenouilles…

Hugo Buan nous livre ici une nouvelle enquête passionnante, bourrée d’humour et à l’imagination débordante, du commissaire Workan qui, aussi affreux, incorrect, insupportable soit-il, n’en reste pas moins hilarant et terriblement attachant !

EXTRAIT

Bocquin se repositionna et cette fois-ci balança un swing correct. La balle franchit le plan d’eau et, malheureusement pour lui, alla se plugger - s’enfoncer - dans le sable d’un bunker de fairway.

— Pas de pot, s’avança Lerbier, mais tu es d’accord, c’est quand même ton deuxième coup ?

— Oui, grogna Bocquin en enfournant le Monstre dans son sac.

Charles Soufflot avait gravi à son tour la butte de départ. Il enleva sa veste en Gore-Tex et la jeta derrière lui. Il pensa à son p****n de classement bloqué à 22 et entreprit le cérémonial du positionnement des pieds et du corps. « Pang ! » Quand le bruit de la tête de club rencontrant la balle est bon, le coup est souvent bon lui aussi. C’est ce qui se produisit. La balle fusa presque à l’horizontale puis entreprit une montée spectaculaire avant de venir rouler plusieurs dizaines de mètres sur le fairway. En plein dans l’axe du drapeau. Loin devant ses partenaires.

Un swing si beau. Un swing si parfait.

Un swing qui, hélas pour lui, allait bouleverser sa vie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

S'il s'agit bien d'un roman d'enquête, sa tonalité amusée en fait une comédie policière très réussie. Allez Workan, ne vous fâchez pas, mais il y a encore quelques lecteurs qui ont le grand tort de ne pas vous connaître. Ce nouvel opus leur permettra d'entrer dans votre univers. - Claude Le Nocher, Action-Suspense

Un texte drôle et tonique qui fera plaisir aux lecteurs, et particulièrement aux golfeurs pour ses descriptions justes du jeu, et de l'attitude de certains joueurs. Le commissaire Wolkan va entrer en jeu, et son étiquette n'est pas forcément celle des golfeurs. - Ouest-France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Hugo Buan est né en 1947 à Saint-Malo où il vit et écrit.

Passionné de polars, après une carrière professionnelle de dessinateur dans le Génie Civil, il publie en 2008 son premier roman, Hortensias Blues, une enquête policière bourrée d’humour à l’imagination débordante. Il crée ainsi le personnage du commissaire Lucien Workan, fonctionnaire quelque peu en disgrâce auprès de sa hiérarchie, ce qui lui vaut d’être muté depuis Toulouse, où il a laissé sa famille, à Rennes. Ses méthodes sont encore largement désapprouvées par son nouveau patron, mais pour Workan, seul le résultat compte !

Un honnête premier succès pour l’auteur qui embraye dès 2009 avec Cézembre noire, dans lequel « il laisse libre cours à son style débridé ».

Ajoutons que ses ouvrages se sont retrouvés sélectionnés pour pas moins de 5 prix, parmi lesquels le Prix Michel Lebrun au Mans et le Prix Polar de Cognac.

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Chapitre 1
Chapitre 1 L’air maussade, Charles Soufflot déchargea du coffre de la voiture son sac de golf et le chariot qui allait avec. Il déplia les roues de ce dernier et y fixa son matériel. Bougon, il passa par le club-house récupérer sa carte de score pour la compétition du jour. Il y jeta un coup d’œil et constata avec amertume que son classement n’évoluait guère. Huit ans de pratique assidue de ce sport et toujours coincé au-dessus de la barre fatidique des vingt. Vingt-deux exactement. Vingt-deux coups au-dessus du par1. Si au moins un jour il avait le bonheur d’atteindre le handicap de quinze ou seulement dix-huit, ça le poserait comme un golfeur chevronné. Ça vous change un homme un classement pareil, les regards seraient plus déférents, on lui demanderait peut-être même des conseils. Et qui sait : pourquoi pas un jour en dessous de dix ?Soufflot hocha la tête et murmura : « Faut pas rêver. » Le golf des Grenouilles se nichait en pleine campagne bretonne, non loin de Combourg et du magnifique château de Brouandal. Une sorte de forteresse qui fut longtemps abandonnée au gré du vent et des ronces. Un édifice en pierre du XIe siècle érigé sur un site druidique et initié par l’archevêque de Dol de Bretagne. Les fairways et les greens des Grenouilles se voulaient être un tapis de billard. Un écrin vert. Pari réussi. Le parcours se dessinait entre étangs et tertres entourés de bois de chênes. De hautes herbes limitaient les fairways. Malheur à l’égaré du swing si une balle allait se nicher dans cette savane. Les greens se défendaient par de profonds bunkers sablonneux. Malheur également au golfeur ayant des envies de châteaux de sable. La légende du parcours affirmait qu’un joueur parisien – c’était normal – avait tapé vingt-trois coups de fer avant de s’extraire de celui du trou numéro 15 positionné à gauche du green. La carte de compétition qu’il avait présentée au club-house à l’issue de son parcours n’était plus une carte de compétition mais un devoir de géométrie dans l’espace. Il s’en alla chagriné et confus dans sa région d’Île de France ; on ne le revit plus jamais aux Grenouilles. Une compétition contre son handicap se joue généralement à trois joueurs, chacun marquant la carte de l’autre. Charles Soufflot alla frapper quelques balles d’entraînement au practice où il retrouva un de ses deux futurs partenaires mais néanmoins ennemis, même s’ils étaient amis dans la vie « normale ». En effet tout est anormal sur un parcours de golf, tout au moins dans le golf amateur, les passions exacerbées poussant les joueurs à des sentiments extrêmes. Pas vraiment jusqu’à désirer la mort de l’autre mais jusqu’à souhaiter qu’il se serve de son club comme d’un marteau-piqueur. Labourer le terrain étant le plus doux des vœux prononcés intérieurement. La balle de l’autre dans la flotte, dans un bunker, dans un bosquet et pourquoi pas hors limites déclenche inexorablement un plaisir sadique chez celui qui dit : « Ah ! T’as pas de chance ! » Le malheureux s’en allant hagard, traînant son sac, à la recherche de cette p****n de balle avec la ferme intention de tricher s’il la découvre en lui administrant discrètement un petit coup de chaussure pour la remettre dans le droit chemin, en lui trouvant le meilleur angle vers la cible. Opération impossible dans l’eau ou dans un bunker ; trop voyant. Jacques Lerbier classé dix-neuf – un cador pour Soufflot – était l’un des deux compagnons de jeu de cette compétition du dimanche baptisée La Coupe Meule d’Or. En effet les vainqueurs des différentes catégories recevraient chacun, comme trophée, une meule de plusieurs kilos de fromage à savourer cru ou fondant. Le sponsor décrivait dans son dépliant publicitaire, ensaché avec diverses babioles – tees, stylos, meules miniatures, etc. – remises à chaque golfeur au club-house, les qualités de son fromage. Jacques Lerbier, dit Herbuss, ne résistant pas à cette présentation, venait d’engloutir ses trois meules miniatures. Le surnom d’Herbuss ne se justifiait pas par la proximité des herbus du Mont-Saint-Michel où broutaient de braves moutons désignés plus tard dans l’assiette comme des gigots de pré-salé, il ne restait plus qu’à poivrer, il n’y a pas de petites économies. Mais Herbuss était une double allusion à son patronyme et à l’avionneur Airbus car Jacques Lerbier, dans ses mauvais jours, avait tendance sur les fairways à expédier des missiles dans toutes les directions. Un véritable meeting aérien mettant en danger la vie d’autrui. Comme son ami Soufflot, Lerbier allait cette année franchir la barre des cinquante ans, la moitié de la vie si l’on en croyait les médecins du XXIe siècle. Pronostic hasardeux. Pour l’instant, sur les terrains de golf, les centenaires faisaient preuve d’une discrétion exemplaire. Mais après tout pourquoi pas ? Bon, seulement au putting alors. Quoiqu’avec les maladies tremblantes, pousser la balle dans le trou s’avérerait aussi difficile que de passer un fil à coudre dans le chas d’une aiguille pour Stevie Wonder. Soufflot toisait à un mètre quatre-vingts et arborait un léger embonpoint dû, d’après lui, à la crise et surtout celle qui touchait particulièrement le milieu automobile. Il possédait deux concessions de voitures d’occasion, l’une à Rennes et l’autre à Saint-Malo. Deux affaires en tangage qui le persécutaient jusqu’à le pousser à envisager une reconversion professionnelle. Mais dans quoi ? Il avait papillonné un moment dans toutes les directions avant de s’apercevoir qu’il ne savait vendre que des bagnoles. De guerre lasse, il s’était mis à grignoter à l’heure de l’apéritif et à multiplier ces derniers. Avec pour résultat une ceinture abdominale qui croissait en même temps que la crise : « Le stress je vous dis ! » clamait-il haut et fort. Plus petit et plus sec que Soufflot, Lerbier assurait la population contre tout ce qui pouvait lui arriver comme nuisance. Et Dieu sait que les nuisances pour une population se chiffrent presque à l’infini. Une pluie de sauterelles en Bretagne étant presque banale par rapport à son package universel maxi bonus incluant la dérive des continents, la fonte des glaciers du Groenland, le réveil des volcans d’Auvergne et la dévaluation de la roupie. Il s’était assuré personnellement en cas d’homicide involontaire ou non commis à l’aide d’un engin sphérique mesurant 42,67 millimètres de diamètre et pesant 45,93 grammes, cet objet volant très identifié se révélant être généralement blanc et truffé d’alvéoles. Soufflot glissa le jeton dans la machine à distribuer les balles de practice et appuya sur le bouton commandant la libération des projectiles blancs. Les balles se répandirent à ses pieds sous ses yeux incrédules. — T’as oublié de mettre le seau, lui fit remarquer à juste titre Lerbier. — Mouais, je vois, maugréa Soufflot. — Ça va pas ? — Si ! Mais débuter une compet’ si tôt le matin, c’est un peu raide. En cette fin septembre, le jour commençait à se lever vers huit heures et c’est précisément à cette heure-là que la première équipe partait arpenter les fairways. Et ils étaient la première équipe. D’où cet échauffement matinal à l’aube. Le troisième partenaire les rejoignit un quart d’heure avant le départ en bâillant à se décrocher la mâchoire. — p****n c’est tôt ! dit-il en guise de salutations. Stéphane Bocquin sortit le bois numéro 5 de son sac, le glissa dans son dos perpendiculairement à sa colonne vertébrale et à l’aide de ses bras crochetés sur le club exécuta une série de rotations du tronc. — C’est beau, siffla Soufflot. — Ramasse tes balles, rétorqua Bocquin, si tu veux au moins en frapper une avant le départ ! — Waouh, se moqua Lerbier, on dirait une jolie fermière qui cueille des champignons de Paris dans son petit panier. Soufflot émit juste un grognement. Bocquin se mit alors à swinguer dans le vide. Des coups d’essai. Beaucoup de golfeurs y perdaient leur énergie sans y gagner de la confiance. Mais quoi de plus beau qu’un coup imaginaire allant directement au drapeau ? Le golf est certainement le sport qui attire le plus de rêveurs déçus. Un golfeur se doit de ruminer intérieurement son insatisfaction du premier trou jusqu’au dernier tout en extériorisant une sérénité feinte. Si possible le sourire aux lèvres. Bocquin, à trente-cinq ans, se révélait être le plus jeune des trois compétiteurs. Marié, il vivait en périphérie de Saint-Malo à Rothéneuf et venait de s’extraire du lit en laissant sa jeune femme mécontente sous la couette. Ronchonne, elle lui avait expliqué qu’un dimanche matin ils auraient pu en faire des choses. Ce qui lui avait valu comme réponse que la Coupe Meule d’Or des Grenouilles ne se ratait pour rien au monde. Meule d’Or, si j’te sens j’te dévore ! avait-il dit à sa femme en enfilant son caleçon et en désertant la chambre illico. Bocquin écrivait, il en avait fait sa profession. Il écrivait vraiment beaucoup, toujours sur les Chouans. Ancien professeur d’Arts graphiques, ses livres alliaient l’Histoire à la romance. Déjà douze livres sur les Chouans. Ça n’allait quand même pas jusqu’à Les Chouans en colocs, Les Chouans font du covoiturage… Mais tout le monde sentait que tôt ou tard il en arriverait là. Par obligation. Ayant épuisé toutes les stratégies possibles et imaginables de la mise en œuvre de l’embuscade. On retirait de ses livres que de tous temps, les rois de l’embuscade furent les Chouans. Bon, une embuscade de temps en temps ça va, mais douze livres sur les embuscades… Les Chouans embusqués avaient remis ça dans son dernier opus L’embuscade du Chouan vert. Le seul endroit dépourvu d’embuscade était les librairies où il dédicaçait ses livres. Là, aucune surprise ne l’attendait, en tout cas pas celle du flot des lecteurs. Heureusement, sa femme a une bonne situation, disait-on dans son dos. Aucune médisance mais une pure vérité. À huit heures moins cinq, les trois hommes rallièrent l’aire de départ du trou numéro 1. Soufflot et Lerbier tiraient leur chariot derrière eux, Bocquin portait son sac à l’épaule. Outre le fait de martyriser la clavicule, froisser le triceps et anémier le deltoïde, porter son sac à l’épaule démontrait une certaine vigueur et le style du golfeur branché à qui on ne la fait pas de traîner son sac sur un déambulateur à roulettes. Bon pour les vieux chnoques et les gonzesses, pensait Bocquin. Le fait que trois amis jouent ensemble dans une compétition, fût-elle amateur, reposait surtout sur la confiance accordée par le directeur du golf. Connaissant ses trois membres, le directeur des Grenouilles ne soupçonnait pas un seul instant qu’ils puissent trafiquer leurs cartes de score. Que l’un des membres se mette à tricher tout seul dans son coin à l’abri des regards, si, à la grande surprise dudit membre, la supercherie est mise à jour, tant pis pour lui ! La vindicte populaire, la suspicion permanente et la honte s’abattront sur lui et ses enfants, ses petits-enfants ainsi que toutes ses générations futures. Un nouveau gène, celui de la balle de golf qui se déplace toute seule de vingt centimètres parce qu’elle m’emmerde auprès de ce p****n de tronc d’arbre, aura été transmis. Inutile de préciser que le fautif changera immédiatement de club, de chemise et de calbar. Le tout pour se refaire une virginité. Mais dans ce milieu-là, Monsieur, ça ne rigole pas. La rumeur le devancera… et il devra abandonner son cher sport (tout ça pour vingt centimètres de trajet aléatoire que personne n’aurait dû voir). En général le golfeur opprimé s’oriente vers des jeux de hasard, genre morbaques qui grattent. Et puis c’est la rencontre avec le PMU, les premiers verres dans ce milieu interlope dont il ne soupçonnait même pas l’existence. La perte de son boulot, le divorce, l’indemnité compensatoire, la cirrhose, la rue, le caniveau et la fosse commune. « J’ai donné un coup de pied dedans sans le faire exprès, Monsieur le président Dieu » tentera-t-il de se justifier en arrivant sous la voûte céleste. Devant l’air mutin de Dieu, il reprendra espoir, mais celui-ci, sans vergogne, l’enverra d’un grand coup de pied dans le cul rejoindre Satan et ses fourches caudines… Pour vingt centimètres. Le président Dieu manque d’humour. Pour la compétition Meule d’Or, sur le tee de départ, les boules blanches et jaunes avaient été regroupées ce qui signifiait que tous les hommes partiraient du même endroit quel que soit leur classement. Des boules rouges et bleues, cinquante mètres en aval, étaient réservées aux femmes. « Elles demandent la parité, mais elle est où, là, la parité ? » se navra Soufflot. « Laisse tomber ! » dit Bocquin en enchaînant : « Si tu veux avoir toutes les femelles du club sur le râble, gueule encore plus fort ! » Le mieux classé jouant en premier, Lerbier s’avança, posa sa balle sur le tee, se positionna derrière pour visionner l’endroit où sa balle était « censée » atterrir et prit une position parallèle à sa cible virtuelle. Comme sur beaucoup de terrains de golf, l’architecte qui dessina le parcours prit un malin plaisir à coller, dès le premier trou, un superbe plan d’eau juste après l’aire de départ. Si ce n’est pas pour mettre une pression sur les épaules des joueurs, qu’est-ce que c’est ? Souvent cette pression se matérialise par : premier drive, premier bain de balle. Jacques Lerbier arma son swing et frappa. Ce ne fut pas un beau geste mais sa balle roula néanmoins sur une trentaine de mètres après l’étang et alla se nicher en bordure de rough2. Sans un mot, Jacques Lerbier ramassa son tee, descendit de la butte et glissa son driver dans le sac. — Joli coup, murmura Bocquin. Lerbier le dévisagea pour y mesurer l’ironie potentielle. Bocquin demeura impassible. — Mouais, fit Lerbier, avec le fairway sec, je pensais que la balle aurait mieux roulé. — À condition de ne pas flirter avec le rough. L’assureur ne répliqua pas. La partie ne faisait que commencer. Stéphane Bocquin coucha son sac près de l’aire de départ après en avoir extrait son bois numéro un. Le driver. Objet de tous les fantasmes chez les golfeurs. Le bois qui faisait gagner ou perdre une partie avec le putter son cousin éloigné. Bocquin effectua quelques coups d’essai en bas de la butte, balayant l’air à une vitesse supersonique. Puis il caressa la tête du Monstre pour en enlever le moindre brin d’herbe. Le manche - appelé shaft - provenait du célèbre fabricant Flexmol. La flexibilité alliée à la rigidité. Du graphite synthétisé à l’aide d’hydrure de lithium. Le must. Quant à la tête du club, grosse comme un demi-melon, elle était en titane carbonaté au phosphore de Napuil. C’est tout dire. La pub annonçait qu’avec cet engin un débutant pouvait driver jusqu’à 350 mètres sans difficulté. Bon, il faut avouer que le débutant en question subissait des secousses telluriques dans les bras pour le restant de la journée. Le tsunami induit lui faisait monter la bave aux commissures des lèvres et ce coup magistral le laissait hagard et désemparé. Bocquin enfonça son tee sur la ligne imaginaire tracée entre les boules de départ et se remémora le green situé à 536 mètres de là. Il prit son stance, c’est-à-dire la position de ses pieds par rapport à la balle. Il effectua une belle rotation des épaules en armant son swing et frappa. Enfin il crut frapper. La tête du monstre passa deux millimètres au-dessus de la balle sans que celle-ci ne daigne bouger, ignorant le courant d’air tourbillonnant déclenché à cette occasion. Sans rencontrer de résistance, Bocquin fut emporté par son élan et faillit s’étaler sur le tee de départ. — Air shot, crièrent à l’unisson Lerbier et Soufflot. Le spécialiste des Chouans ne l’entendait pas de cette oreille. — Non, s’offusqua Bocquin, c’était un coup d’essai. — Faux, persista Lerbier, tu avais l’intention de jouer la balle et tu l’as loupée, c’est tout. En toute mauvaise foi, toujours chez les amateurs, quatre-vingt-dix pour cent des golfeurs prétextent avoir effectué un coup d’essai lors de ces tentatives avortées où ils ne touchent pas la balle. L’origine en est souvent une volonté de vouloir taper trop fort. Bocquin se repositionna et cette fois-ci balança un swing correct. La balle franchit le plan d’eau et, malheureusement pour lui, alla se plugger - s’enfoncer - dans le sable d’un bunker de fairway. — Pas de pot, s’avança Lerbier, mais tu es d’accord, c’est quand même ton deuxième coup ? — Oui, grogna Bocquin en enfournant le Monstre dans son sac. Charles Soufflot avait gravi à son tour la butte de départ. Il enleva sa veste en Gore-Tex et la jeta derrière lui. Il pensa à son p****n de classement bloqué à 22 et entreprit le cérémonial du positionnement des pieds et du corps. « Pang ! » Quand le bruit de la tête de club rencontrant la balle est bon, le coup est souvent bon lui aussi. C’est ce qui se produisit. La balle fusa presque à l’horizontale puis entreprit une montée spectaculaire avant de venir rouler plusieurs dizaines de mètres sur le fairway. En plein dans l’axe du drapeau. Loin devant ses partenaires. Un swing si beau. Un swing si parfait. Un swing qui, hélas pour lui, allait bouleverser sa vie. 1. Un parcours de golf comporte 18 trous classés selon leur longueur en un nombre de coups idéal à atteindre. Ce nombre de coups s’appelle le par. Les plus petits (moins de 228 mètres, il y en a quatre) doivent se faire en trois coups, ce sont des par 3. Les moyens (entre 229 mètres et 434 mètres, il y en a dix) doivent se faire en quatre coups, ce sont donc des par 4. Les plus longs (plus de 434 mètres, il y en a quatre) doivent se faire en cinq coups, ce sont donc des par 5. Le score idéal sur 18 trous est l’addition de tous ces « pars », donc 72. Celui qui l’atteint régulièrement a ainsi un handicap (on dit aussi « index ») de 0. S’il fait 82 coups au lieu de 72, il a un index de 10 (nombre de coups joués au-dessus du par). S’il est particulièrement habile et qu’il joue en-dessous du par (mettons 70) il a un index négatif de moins 2. La plupart des grands joueurs professionnels jouent en-dessous du par, mais pour un amateur, atteindre l’index à un chiffre (moins de 10) est déjà une consécration. Soufflot, lui, jouait sur l’ensemble de ses compétitions 22 au-dessus du par, ce qui était une moyenne de tous ses résultats. 2. Partie du parcours qui longe les fairways, l’herbage y est généralement assez court. Non entretenue, cette surface peut comporter des buissons ou des hautes herbes.

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