Chapitre 3 : Les proies

2662 Words
∞ Maria Ça avait été limite ce soir! Heureusement que j'avais fait le guet et entendu les griffes du roquet de la voisine cliqueter sur le goudron du trottoir parce que ma panthère était tellement occupée à se régaler avec ses abats qu'elle n'avait rien perçu. Elle avait tout juste eu le temps de bondir dans la haie de troènes avant que le chihuahua surexcité au nom grotesque ne perçoive notre présence et se mette à japper comme un fou. Elle avait grogné, envoyé quelques ondes de Dominance pour le calmer mais cette boule de poil ne s'était pas couchée en geignant. Si ça avait été un change-forme, il aurait été sacrément Dominant ce sandwich sur pattes! Je pressais ma panthère avec urgence dès que la vieille dame eut fait demi-tour en embarquant son clébard au passage. "Nous avons peu de temps!" Elle me céda aussitôt la place et je sortis des gants de latex que je doublais par précaution, puis coinçais mes longs cheveux dans ma casquette pour être sûre de ne pas en perdre sur place et finalement, sortis de la poche de mon blouson le sac que j'avais préparé. Puis je m'avançais prudemment vers la grille de l'entrée où gisait le corps. Personne aux alentours. Parfait! J'entendais encore la vieille qui marchait d'un pas, aussi rapide que possible pour elle, vers sa maison. J'espèrais que cette pauvre femme n'allait pas faire une crise cardiaque à cause de moi. Elle n'y était pour rien, elle! Ma panthère fit le guet à son tour pendant que je me concentrais sur le juge, parsemant une fine couche de poudre jaune sur son corps avant de l'allumer. Le soufre s'embrasa aussi rapidement que sur une allumette, faisant brusquement monter la température et incendia tout ce qu'il touchait. L'avantage de ce produit, c'est qu'il s'éteignait vite et n'attirait pas trop l'attention car il ne créait que de toutes petites flammes bleutées malgré la température qu'il dégageait. L'inconvénient, c'est que ça puait vraiment et qu'il fallait en remettre plusieurs fois pour être sûr qu'il ne reste aucune trace de nous sur la victime. Ce que je fis d'ailleurs, saupoudrant et allumant à plusieurs reprises. Le regard écarquillé d'horreur de De La Vila me plaisait mais le sourire narquois que sa bouche affichait encore m'énervait. Je mis tout ce qu'il restait du sac sur ce visage et l'allumais pour faire disparaitre ce sourire. "Voiture qui approche" me dit ma panthère. Je hochais la tête et lui cédais la place, elle courut rapidement vers l'arrière de la maison et bondit souplement jusqu'à la branche d'un arbre en passant par le toit d'un petit abri de jardin. Elle se cacha dans les feuilles et se tint parfaitement immobile pour observer les va-et-vient des agents de police qui venaient de se garer à côté du portail. Du monde commençait à arriver de partout, des voisins d'abord qui entourèrent rapidement la vieille qui avait failli nous surprendre et qui, heureusement, n'avait finalement pas fait d'arrêt cardiaque. Puis une ambulance, d'autres voitures de police, un camion de pompier et même une camionette avec une parabole qui appartenait à une chaîne de télévision locale. Ma panthère se redressa sur sa branche et regarda la route rectiligne qui menait à tout ce petit monde. Elle l'avait entendu avant moi! La moto verte de Jack se rapprochait. Je voulais le voir, ne serait-ce qu'un court instant... Ça faisait déjà trois semaines qu'il me laissait sans nouvelles. Mais d'un autre côté, c'était vraiment trop risqué de rester là. Ma panthère prit la décision pour moi en s'éloignant dans les bois. Elle l'aimait bien ce Lunari mais elle lui en voulait pour la peine qu'il me causait trop souvent. Elle me réconforta mentalement et traversa rapidement le bois pour me céder la place devant ma vielle Ford Sierra. J'enlevais ma casquette et mes gants, mis ces derniers dans la pochette plastique qui avait contenu le soufre et le mis dans le vide-poche. Je jetterai ça dans une poubelle, sur le chemin du retour. Quand je tournais la clef dans le démarreur, mon autoradio s'alluma en même temps que le moteur. J'écoutais un instant la mélodie triste et les accords de la guitare qui résonnèrent dans l'habitacle, les voix masculines et leurs paroles... "I have a problem that I cannot explain, i have no reason why it should have been so plain. Have no questions but I sure have excuse, i lack the reason why I should be so confused. I know, how I feel when I'm around you. I don't know, how I feel when I'm around you. Around you..." Je coupais la radio, moi aussi j'étais confuse et je ne savais plus comment je me sentais quand j'étais avec Jack même si je savais ce que je ressentais quand j'étais près de lui. J'ignorais qui était ce groupe mais je me renseignerai, les paroles de cette chanson semblaient être écrites pour moi. On était loin du "Don't stop me now" que j'avais chanté à tue-tête à l'aller en accompagnant les riffs de Queen de petites tapes sur mon volant. Envolée la bonne humeur et l'excitation! Je fis le trajet du retour en silence, m'arrêtant dans un drive sur la route pour commander quelque chose à grignoter avant de jeter le sac compromettant dans leur poubelle en même temps que le reste. Ma panthère se frottait contre moi dans mon esprit, tentant de me sortir de mes idées noires. Enfin, nous avions fait quelque chose de bien ce soir-là, le juge ne s'en prendrait plus jamais ni à sa femme, ni à leurs enfants. Elle pourrait refaire sa vie et eux ne grandiraient pas dans la terreur comme ça avait été le cas jusqu'à présent. C'était un signalement classé sans suite sur le bureau d'une de mes collègues de la protection de l'enfance qui avait attiré mon attention. Connaissant la fainéantise de ladite collègue, je m'étais emparée discrètement du dossier, persuadée qu'elle n'avait même pas été rencontrer la famille en question. Je ne m'étais pas trompée! Elle avait simplement surligné en jaune que le père de famille était juge aux affaires familiales et rien d'autre. Le signalement venait d'une institutrice qui s'inquiétait pour deux de ses petits élèves de 7 et 6 ans. Elle pensait à un cas de maltraitance dans le meilleur des cas et à des abus sexuels dans le pire. Elle détaillait très clairement dans sa lettre le comportement apeuré des deux enfants : un frère et une sœur et signalait la présence d'un autre enfant au domicile, trop jeune pour être scolarisé. Elle avait pris contact avec la mère qu'elle soupçonnait d'être également battue. Elle avait proposé son aide à la femme qui avait refusé. La mère avait admis à demi mot qu'il y avait effectivement des "problèmes" à la maison mais craignait trop l'influence de son époux pour le quitter, risquant en le faisant de perdre la garde de ses enfants. J'avais noté toutes les informations sur mon pc et avais remis le dossier à sa place. En regardant ma collègue bâiller, j'envisageais sérieusement de la tuer, elle aussi. Par son comportement, par son inaction, elle permettait à des monstres d'agir en toute impunité. Cependant, c'était aussi parce qu'elle n'en foutait pas une que je pouvais agir comme je le faisais. Pour être à l'intérieur même du système aujourd'hui, je savais que certaines personnes étaient littéralement intouchables. Ils avaient trop d'appuis, trop d'influence, trop d'argent et parfois tout ça à la fois. C'était sur ces cas-là que je concentrais ma vengeance parce que jamais les tribunaux humains ne le feraient. J'en avais fait l'amère expérience quelques années plus tôt d'ailleurs, quand un candidat au poste de gouverneur avait réussi à convaincre les jurés que les accusations d'abus sexuels sur mineurs n'étaient rien d'autre qu'un complot visant à détruire sa carrière politique. Pourtant, sa belle-fille de 15 ans avait eu le courage de témoigner contre lui, des rapports médicaux prouvaient sans conteste qu'elle disait vrai. Je lui avais fait la promesse qu'il ne lui ferait plus de mal... Et j'avais échoué! Enfin, j'avais échoué au tribunal mais l'homme ne lui ferait effectivement plus jamais de mal, ma panthère et moi y avions veillé! La petite avait été longuement interrogée après ce meurtre, l'un des plus sanglant que j'ai commis, heureusement, elle avait un alibi en béton au moment où je m'étais offert le plaisir de faire souffrir son tourmenteur. C'était l'un de mes premiers meurtres après ceux de Monsieur et Madame. J'avais fait pas mal d'erreurs avec lui mais je m'étais améliorée depuis et, pour ne pas trop attirer l'attention sur moi, je faisais en sorte que mes proies ne dépendent pas uniquement de mes dossiers à présent. Ma collègue fainéante était donc bien utile pour ça, ce qui lui valait d'être toujours en vie d'ailleurs. Je repris pied dans le présent et poussais un soupir de soulagement en apercevant mon petit pavillon d'un étage devant moi. J'avais conduit en mode automatique, perdue dans mes pensées comme je l'étais et ça aurait pu mal tourner! "Je veille sur toi!" ronronna ma panthère voulant me faire comprendre qu'elle avait guetté la route à ma place. "Mais c'était quand même dangereux!" protestai-je. "Empêche-moi de sombrer dans mes pensées la prochaine fois que je suis au volant s'il te plaît!" Elle ronronna plus fort pour me faire savoir qu'elle acceptait. Je garais la voiture devant ma porte d'entrée et sortis une boîte cartonnée de mon coffre. Il était plus de minuit mais je n'étais pas prête de me coucher encore. Je calais la boîte sur ma hanche le temps d'ouvrir la serrure et pénétrais dans mon logement en duplex. Sur ma droite, il y avait le salon qui me servait plus de bureau que de salle à manger, je posais d'ailleurs le carton de dossiers sur la table où il en rejoignit d'autres puis continuait sur ma lancée sans allumer la lumière pour atteindre la cuisine contiguë. J'ouvris le frigo et sortis une bouteille de vin blanc moelleux dont je me servis un verre avant de la remettre à sa place. Toujours dans le noir, mon verre à la main, je retraversais le séjour et grimpais les escaliers vernis qui faisaient face à l'entrée. Sur le palier, la première porte à droite était celle de la salle de bain, j'y entrais, allumant la veilleuse au-dessus de l'évier et me préparais un bain. C'est pour cette pièce que j'avais choisi d'habiter là. Enfin, pas pour la pièce elle-même mais pour sa baignoire. Une immense baignoire ovale où je pouvais m'allonger complètement malgré ma taille respectable d'1m78. Jack et moi y avions fait maintes folies et pourtant jamais l'eau n'avait débordé. C'est pour dire si elle était spacieuse! Je mis la bonde en place et ouvris l'eau chaude à fond. Je sirotais une petite gorgée de mon verre et le posais sur le bord de la baignoire. J'ajoutais ensuite mes perles de bain à l'odeur de miel dans l'eau avant de sortir pour longer le couloir qui bordait l'escalier et parvenir à ma chambre. J'allumais ma lampe de chevet et sortis une nuisette de satin de ma commode. Je n'étais pas du genre coquette pour les vêtements mais je vouais une passion sans borne à la lingerie fine. C'était mon péché mignon. Le seul écart financier que je m'autorisais. Mon salaire n'était pas très élevé mais il me permettait quand même ce genre de petits plaisirs. J'enlevais mon blouson que je rangeais dans la penderie, mis mes chaussures de tennis noires dans la partie basse de celle-ci et enlevait rapidement mon jean noir et le tee-shirt de la même couleur que j'enfournais dans un sac de sport, également dans le bas du placard. C'était ma tenue pour les sorties comme celles de ce soir. Ma panthère faisant le plus gros du boulot, il était rare que mes fringues soient sales, elles me permettaient surtout de rester aussi discrète que ma panthère lorsque je prenais forme humaine. J'ôtais mes sous-vêtements et les fourrais dans le panier à linge avant de repartir, nue comme un ver, portant simplement ma nuisette satinée à la main. Je l'accrochais sur la patère derrière la porte de la salle de bain, repris mon verre que je sirotais de nouveau et m'installais avec délice dans la baignoire qui embaumait. Je coupais le robinet, posais ma nuque sur le rebord frais en email blanc et, fermant les yeux, me laissais porter par les ronronnement de plaisir de ma panthère en moi. Je ne sais pas combien de temps je restais dans cet état de grâce et de sérénité mais sans doute pas si longtemps que ça car l'eau était encore bien chaude. Je relevais la tête, cherchant à comprendre pourquoi ma zénitude avait subitement disparu. Puis je l'entendis, en même temps que ma panthère cette fois. Le bruit si caractéristique du moteur d'une moto. Celle de Jack évidemment! Je sortis de la baignoire et ne pris même pas la peine de me sécher, me contentant d'enfiler rapidement un peignoir en tissu éponge avant de descendre les escaliers en courant, manquant presque de glisser sur le bois des marches dans ma précipitation. Je jetai un regard machinal sur le miroir de l'entrée : j'avais la peau rougie par la chaleur de l'eau, mes yeux brillaient comme deux saphirs de Ceylan, la plupart de mes cheveux étaient secs mais des mèches humides encadraient l'ovale de mon visage, le soulignaient. Si j'avais croisé une femme pareille dans la rue, je l'aurais trouvée belle mais ce n'était que mon reflet et je n'y voyais rien de tel. Mes insécurité enfantines provoquaient une légère dysmorphophobie dans mon esprit : mon nez était trop long, ma bouche trop grande, mes lèvres trop épaisses, ma peau était rouge homard, mes yeux brillaient tellement qu'on aurait dit que j'allais pleurer et j'étais complètement échevelée. Pire encore, j'étais descendue en peignoir! En peignoir comme l'aurait fait une vieille femme qui ne sortait jamais de chez elle! J'envisageais un instant de remonter pour passer ma nuisette, histoire de mettre mes quelques atouts en valeur. Après tout, je n'avais pas que des défauts : j'avais une jolie poitrine, ferme et haute malgré un bonnet plutôt imposant, une taille assez fine et des jambes longues et parfaitement galbées. Je calculais mentalement le temps qu'il me faudrait pour remonter, finir de me sécher et enfiler mon déshabillé de satin. Ce serait trop long, bien trop long! Ça faisait trois semaines... Trois longues semaines sans le voir. Sans même lui parler! C'était affreusement loin et mon cœur faisait des bonds dans ma poitrine à la simple idée qu'il était là, derrière la porte. Pourquoi n'appelait-il pas? Pourquoi ne frappait-il pas à cette fichue porte, bon sang?! J'eus un doute subitement. Et si ce n'était pas sa moto que j'avais entendue? Mon cœur loupa un battement et sembla s'effondrer dans ma poitrine à cette idée. Je me dirigeais vers le salon et me postais derrière les rideaux pour observer la rue. C'était bien lui! Il était assis sur sa moto, son casque sous le bras et la tête levée vers la fenêtre éclairée de ma chambre. Qu'attendait-il pour venir me rejoindre? Même une heure, même dix minutes, même si ce n'était que pour tirer sa crampe et se barrer après. Il savait que je l'accueillerai toujours, que je ne protesterai pas tant que je pouvais grapiller un peu de temps avec lui. J'étais incapable de lui refuser quoi que ce soit! Mon cœur s'était remis à battre la chamade à l'idée d'une étreinte, même rapide entre deux portes, j'aimais ça quand il y allait vite et fort après tout. Il remua sur sa selle et je souris... Un sourire qui s'affaissa tout aussi rapidement quand il remit son casque et donna un coup de kick pour redémarrer son engin. Il partit comme il était venu et je m'écroulais à genoux sur le plancher, devant cette fenêtre qui donnait maintenant sur une rue déserte. J'étais anéantie de chagrin. ∞
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