Chapitre 1 : Six ans plus tôt

2516 Words
∞ Maria Tout a commencé pour moi à la puberté... Mais bien avant cela déjà, alors que je n'étais encore qu'une toute petite fille, j'entendais une "voix" ou, plus précisément, des pensées qui ne m'appartenaient pas, parasitaient mon esprit. Ma famille d'accueil de l'époque m'avaient envoyée consulter des médecins qui m'ont aussitôt cataloguée schizophrène et m'ont prescrit des tas de petites pilules de toutes les couleurs et de toutes les formes qui étaient supposées m'aider. Comme en dehors de ce problème de "voix intérieure", j'étais une gamine sage et plutôt obéissante, j'ai fait ce qu'ils m'ont dit mais ça n'a pas du tout eu l'effet escompté... au contraire, même! Les calmants et autres neuroleptiques associés ont donné l'ascendant à cette "voix", mon propre cerveau bien trop grillé par tous ces cachets pour se défendre contre ces intrusions de plus en plus fréquentes. Et puis, j'étais constamment dans les vapes donc, évidemment, mes résultats scolaires en ont pâti et ma famille d'accueil a baissé les bras devant "l'enfant à problèmes" que j'étais devenue. Après ça, j'ai de nouveau rejoint le "système" et ai été ballotée entre divers établissements psychiatriques (ou supposés l'être!) et des foyers d'accueil d'urgence. Les premiers me bourraient de médicaments comme on gave une dinde avant la Noël, me laissant dans des états semi-comateux dans le pire des cas ou, dans le meilleur, juste incapable de faire seule les gestes du quotidien comme nouer mes lacets, me laver ou simplement aller aux toilettes. Les seconds étaient symptomatiques des foyers de l'enfance américains : pas assez de personnel, un budget inexistant et trop de gosses à gérer sans tenir compte des deux points précédents. Du coup, je suis passée par des périodes de sevrage médicamenteux à des périodes d'overdose de ces mêmes médicaments, selon l'endroit où je me trouvais. Ça a duré presque dix ans. Je n'en avais pas tout à fait seize quand l'assistante sociale qui gérait mon dossier m'a convoquée pour m'apprendre une "bonne" nouvelle : une famille allait pouvoir m'accueillir... Pas une famille d'accueil, hein! Une famille "normale"! C'était un tout nouveau programme mis en place par le gouvernement : Nous – les enfants à placer, en particulier ceux qui, comme moi, étaient considérés comme "à problèmes"! – devions défiler devant des gens susceptibles de devenir notre famille. Et je parle de défilé au sens littéral du terme : on nous ferait marcher sur un tapis entre plusieurs rangées de chaises et on devrait s'y arrêter, prendre des poses et faire des tours sur nous-mêmes comme des mannequins d'un défilé haute couture. Ce sont les spectateurs, enfin les parents potentiels, qui choisiraient en fonction de nos performances. Un peu comme s'ils faisaient leurs courses mais au lieu de conserves ou de plats préparés, c'était des enfants qu'ils sélectionnaient et mettaient dans leur panier virtuel! Et, comme pour un achat normal, il y avait également un service après-vente pour ces messieurs-dames, ce qui signifiait qu'ils pouvaient nous choisir et puis changer d'avis en cours de route ou pire : nous prendre avec eux, nous faire goûter à leur vie et, finalement, décider qu'ils ne nous appréciaient pas et nous renvoyer d'où nous venions. J'étais atterrée par cette proposition mais l'assistante sociale m'expliqua que c'était pour le mieux si ne serait-ce qu'un seul d'entre nous parvenait à sortir du système grâce à ça. Mais si j'ai accepté, c'est surtout parce que, au fond de moi, j'étais toujours cette petite fille solitaire en manque d'amour et qui brûlait de donner autant d'affection qu'elle en recevrait. J'avais soif de câlins, faim de tendresse et un besoin dévorant qu'une personne, même une seule, me dise à quel point j'étais appréciée, me fasse sentir qu'elle m'aimait et me laisserait l'aimer en retour. Donc, le jour dit, je m'étais pomponnée comme convenu, habillée de ma plus belle robe et j'avais même réussi à dénicher du maquillage. Je m'étais observée longuement dans la glace et, à mes yeux d'adolescente, j'étais prête! Cependant, aux yeux de l'adulte que je suis devenue depuis, j'ai compris bien des choses : Ma robe, que j'avais trouvée si jolie à l'époque, était trop petite de deux tailles et bien trop courte, elle moulait mon corps pubère, dévoilant mes formes naissantes et mes jambes de gazelle. Quant au maquillage, mal appliqué qui plus est, il me donnait l'air d'une prostituée, le rouge que j'avais mis sur mes lèvres était trop vif et attirait l'attention sur ma bouche. Pour le fard à paupières, c'était pire, il alourdissait mes yeux et me donnait un air bien trop mûr : celui d'une jeune femme et non d'une jeune fille! Après cette description sommaire, je crois que je n'ai pas besoin de vous faire un dessin sur les personnes qui m'ont choisie ce jour-là mais je vais quand même vous en toucher deux mots afin que vous compreniez ce qu'il s'est passé. Madame – c'est ainsi qu'elle m'a sommée de l'appeler! – n'a vu en moi qu'une fille d'immigrés, tout juste bonne à faire les corvées, en un mot comme en cent, une esclave corvéable à merci! Et Monsieur, – lui aussi tenait à ce que je l'appelle ainsi. – voyait lui aussi une esclave, mais d'un autre genre. Un genre tout dévoué à ses plaisirs si vous voyez où je veux en venir. À sa décharge, il ne m'a pas sauté dessus immédiatement contrairement à sa femme qui m'a mise au travail dès le soir de mon arrivée chez eux, après m'avoir montré les combles sous le toit qui me serviraient de lieux de vie. "Lieux de vie" : ce sont les mots exacts que Madame a prononcé, et elle a insisté là-dessus pour que je comprenne bien que les pièces à vivre des étages inférieurs me seraient formellement interdits d'accès. Seule la cuisine échappait à ce véto car, si je voulais avoir quelque chose dans mon assiette, il faudrait que je gagne ma croûte puisque "rien n'est jamais gratuit dans la vie!" ne cessait-elle de répéter comme un crédo. En gros, si je voulais avoir une chambre, dans une villa qui en comptait pas moins de huit pourtant, il fallait que je me l'aménage moi-même dans le grenier et si je voulais manger, je devrais faire la cuisine, la vaisselle et, bien sûr, le ménage! J'étais loin d'être heureuse de cette "famille" que j'avais tant espérée, tant idéalisée... bien loin aussi de l'image sereine et aimante que Monsieur et Madame avaient donnée, à moi et aux services sociaux, lorsqu'ils avaient rempli les formulaires d'adoption me concernant. Le plus horrible c'est que si eux décidaient qu'ils ne voulaient plus de moi, ils pouvaient me ramener au foyer de l'enfance... l'inverse, malheureusement pour moi, n'était pas possible! Les papiers qu'ils avaient remplis avant de m'emmener leur donnaient toute autorité sur moi. Au regard de la loi, j'étais leur pupille, leur fille! Monsieur a eu la gentillesse et la délicate attention de me commander un lit, un beau et grand lit tout neuf. Je crois à présent que c'est surtout parce qu'il n'avait pas encore ses aises qu'il ne m'a pas abusée dès ce soir-là. Voyez-vous, c'est que Monsieur n'avait rien contre le vi.ol en lui-même mais le faire sur un plancher de bois brut, et sale en plus, non merci. Très peu pour lui! Il s'est écoulé une bonne semaine avant que le sommier et le cadre de lit n'arrivent à destination, un cadre superbe, en fer forgé et artistiquement travaillé. Il manquait encore le matelas mais je m'extasiais déjà devant ce début. C'était la première fois que l'on m'offrait quelque chose de neuf! Au cours de ces quelques jours, Madame m'a montré les pires facettes de son caractère et, sur les conseils de son époux, même si je ne l'ai su qu'un peu plus tard, quand il me l'a lui-même avoué, vu que c'était l'un de ses nombreux fantasmes, elle m'a fourni une "tenue appropriée", autrement appelée "costume de boniche" : un chemisier à manches courtes blanc, limite transparent, une jupe noire bien trop courte qui ne me permettait pas de me baisser sans dévoiler la couleur de ma petite culotte. Monsieur était d'ailleurs fort maladroit puisqu'il faisait sans arrêt tomber toutes sortes d'objets en ma présence, objets que je devais évidemment ramasser et lui rapporter. Et même le petit tablier bordé de dentelle ne servait strictement à rien. Pour ce que j'en disais, un tablier de cuisine aurait mieux convenu pour nettoyer la crasse incrustée du four mais bon... Vous trouvez que j'ai été naïve avec Monsieur, n'est-ce pas? Cependant, contrairement à sa femme, il n'était pas méchant avec moi. Au contraire, il était même très gentil avec moi. Très tendre aussi! Il ne manquait jamais de m'embrasser dès qu'il en avait l'occasion, de me caresser les cheveux ou les bras, de me complimenter sur ce que je faisais, ma beauté ou la façon dont j'étais habillée. Ce n'était jamais des gestes déplacés ou inquiétants. J'étais peut-être jeune mais pas complétement ignorante des choses de la vie. Il était toujours très respectueux, très affectueux mais jamais il n'a dévié sa bouche vers mes lèvres ou mon cou, ses bisous étaient chastes, sur la joue comme il se doit, ni plus, ni moins. Ses petites caresses n'avaient rien de furtives, son épouse était présente très souvent lors de ces attouchements qui n'avaient rien de sexuels. Bref, il m'habituait progressivement à son contact avec la pleine compréhension et acceptation de sa femme qui, elle, se doutait forcément de ce qu'il avait derrière la tête. Comprenez donc ma stupéfaction le jour où le matelas est arrivé et que mon lit, si beau et si neuf, fut enfin complet. J'étais à cent lieues d'imaginer que Monsieur voudrait y passer la nuit avec moi. Notez bien que je n'ai pas parlé de dormir, hein! Je pourrais mentir et dire que je me suis débattue comme un beau diable, que j'ai compris tout de suite qu'il y avait quelque chose de bizarre dans son comportement... mais la vérité, c'est que j'étais tellement loin d'une pensée sexuelle le concernant que je n'ai rien vu venir! Bon, les antidépresseurs et les anxiolytiques que je prenais ne m'aidaient pas à avoir les idées claires... mais quand même! C'est seulement quand il m'a attaché les poignets avec des menottes aux jolies spirales de la tête de lit que j'ai enfin réalisé que ça n'avait rien d'un jeu, que j'étais bel et bien captive de ses caprices. Pendant qu'il me déshabillait lentement, s'arrêtant ça et là pour beurk, beurk, beurk!!! m'embrasser et me lécher la peau qu'il découvrait progressivement, il me disait tout ce qu'il allait me faire, et tout ce que je lui ferai aussi... de gré ou de force. Malgré les cachets, ma voix intérieure hurlait à la mort depuis qu'il m'avait menottée, elle n'arrêtait pas de m'envoyer des images de Monsieur se vidant de son sang sur ce maudit lit! Au moment précis où Monsieur s'est levé de sur moi pour se dévêtir, j'ai abandonné... Jusqu'alors, je me tordais en vain les poignets, je me pliais et me contorsionnais sous lui, ce qui l'avait beaucoup excité d'ailleurs. Mais voir cet homme pour lequel je commençais à avoir beaucoup d'affection se mettre nu pour abuser de moi... Mon cerveau s'est mis sur "off". Je me suis simplement déconnectée de la réalité... Et c'est là que c'est arrivé! J'avais entendu parler des change-formes bien sûr, comme tout le monde, mais cette population se mêlait si peu aux humains que tout ce que je savais d'eux tenait plus des rumeurs que d'informations vérifiables. Alors quand je me suis mise en retrait dans mon esprit, je ne pouvais pas prévoir que ce serait la porte ouverte à ma panthère intérieure. J'ignorais même que j'en avais une! Je voyais, sentais et entendais toujours mais mon corps n'était plus le mien... Au lieu de poignets pris en étau dans des menottes à fourrure, c'était désormais des pattes velues qui n'eurent aucun mal à en glisser. À la place de mon corps partiellement dénudé, un poitrail recouvert d'un pelage sombre. Et au lieu d'un esprit vide, une rage farouche à l'égard de l'adulte stupéfait qui se trouvait là! Monsieur a reculé, entièrement nu, et n'a pas quitté du regard la panthère noire que j'étais devenue tout en tentant de sortir du grenier. Il ne l'a quittée des yeux que quelques secondes. Juste le temps pour lui de trouver la poignée, après laquelle il tâtonnait en vain, et d'ouvrir la porte. Ces courts instants ont suffit pour qu'elle fasse disparaître, en quelques bonds, la distance qui nous séparait de lui! Il a eut le temps de pousser un cri perçant en basculant en arrière dans l'escalier. Nous l'avons regardé tomber comme une poupée de chiffon dans l'escalier en colimaçon puis, quand il est arrivé sur le palier inférieur, ma panthère est descendue à son tour. Si mes propres cris et larmes n'avaient pas fait réagir Madame, les cris d'orfraie de son mari l'attirèrent vers son destin. Elle débarqua juste à temps pour voir son époux, nu comme un ver, dans une position délicate : à quatre pattes et les fesses en l'air! Elle n'a pas eu le temps d'en rire ou de s'en offusquer. Ma panthère détestait l'humaine tout autant que son homme et c'est sur Madame qu'elle est tombée en premier. Celle-ci nous tournait le dos, inconsciente de notre présence dans l'ombre des marches. Ma bête lui a sauté dessus, l'a saisie par la nuque et, comme s'il s'agissait d'un rat ou d'un lapin, l'a secouée violemment jusqu'à ce que sa colonne vertébrale émette un craquement sonore. Madame était morte, la nuque brisée! Monsieur continuait de hurler, roulant des yeux comme un cheval fou. Je ne sais même pas s'il s'est rendu compte de la présence, et du décès, de sa femme tant il était occupé à crier en s'éloignant le plus vite possible sur ses mains et ses genoux. Peut-être s'était-il fait mal lors de sa chute, ce qui expliquerait pourquoi il ne s'est pas mis debout pour partir en courant, toujours est-il qu'il avait beau faire de son mieux, son "quatre pattes" à lui ne valait pas nos quatre pattes, bien réelles, à nous. Ma bête l'a rapidement rejoint et l'a fait basculer sur le dos... Comme il s'est couvert le visage et le cou de ses bras, ce n'est pas là que ma bête l'a attaqué mais plus bas... beaucoup plus bas! Monsieur a fini par devenir aphone avant de trépasser car ses cris cessèrent brusquement alors que nous étions encore occupées à déchiqueter son bas-ventre, l'endroit même où il avait voulu nous faire du mal! Était-ce volontaire de la part de ma panthère? Je pense que oui même si elle n'a jamais confirmé ou infirmé cette théorie. Toutefois, je suis sûre et certaine qu'elle a apprécié cette partie de l'anatomie masculine car c'est devenu son pêché mignon depuis... Sa signature en quelque sorte. Voilà comment j'ai appris que j'étais une change-forme, une Féline, comment j'ai pris goût à tuer et comment je suis devenue Renégate avant même de savoir que j'étais une Solitaire. ∞
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