— Cette femme voudrait travailler ici comme serveuse, il s'adressa à son neveux lorsque ce dernier s'approcha vers le comptoir de la cuisine.
Il l'étudia pendant un moment avant de prendre la parole.
— Bonsoir. Je m'appelle Freddy.
Il lui tendit la main qu'elle s'empara rapidement.
— Moi c'est Calypso. Je vous serai très reconnaissant si vous me laissez travailler ici. J'ai énormément besoin de ce poste.
— Pensez-vous que vous méritez ce poste Mlle ? S'enquit-il en glissant ses mains dans des gants de cuisine.
— Bien-sûr.
— Et qu'est-ce qui vous fait croire cela ? S'enquit-il en sortant du four des lasagnes qui faisaient saliver Calypso rien qu'en humant l'odeur qui en émanait.
— Je sais m'y prendre avec les clients; et puis servir des personnes affamées n'a rien de sorcier, répondit-elle en raclant la gorge lorsqu'il découpa les lasagnes afin de les porter à sa bouche.
— Vous avez tout à fait raison Mlle. Cependant, nous allons vous soumettre à un essai pour voir comment vous vous y prendrez
Il disparut dans une pièce. Calypso s'assura que son oncle lui faisait dos. Elle saisit une fourchette et d'un geste puéril, elle coupa un morceau et le mangea rapidement comme un enfant qui craignait qu'on le prenne la main dans le sac. Elle fondit au goût esquis de cette spécialité italienne et ferma les yeux comme pour inviter toutes ses papilles dégustives à prendre part au festin.Que c'était bon, songea-t-elle en soupirant. Elle se mit à les couper de nouveau quand elle entendit une voix qui lui ordonnait de déposer la fourchette. Elle sursauta et laissa tomber la fourchette. Prise de honte, elle essuya nerveusement sa bouche et baissa furtivement la tête.
_ Tiens donc ! Vous avez osé manger mes lasagnes ! Non mais de quel droit ? accusa-t-il en haussant le ton.
_ Non, abjura-t-elle.
_ Donc j'ai mal vu.
Elle ne répondit pas. Elle tortillait les mèches de ses cheveux en le regardant du coin de l'œil. Elle se sentait tellement ridicule vu qu'elle n'avait pu refouler cette convoitise dans un instant aussi crucial.
_ Et après ça, comment pourrais-je vous confier des plats ? Vous n'avez même pas pu résister à ces lasagnes. Vous êtes vraiment stupide de vous faire gronder pour un premier jour de travail, s'égosilla-t-il.
_ Je vous l'accorde, dit-elle sans pour autant le regarder. Je suis sincèrement désolé. Cela ne se reproduira plus.
— J'espère bien. J'aurai bien pu vous refuser ce poste mais faut croire que c'est votre jour de chance. Tenez et enfilez ça, il ajouta en désignant du regard les cabines.
Une fois dans les cabines , elle retira sa robe et enfila le t-shirt sur laquelle était inscrit le logo du restaurant. Elle enfila également la jupe et ramassa par la suite ses mèches en une queue-de-cheval. Elle remit ses affaires dans son sac et les rangea dans un coin. Elle rejoignit Freddy qui etait à la cuisine. Son oncle réapparaît et lui lança un torchon à la figure. Elle s'en debarrassa en dardant sur lui un regard sombre.
— Et qu'elles brillent, dit-il en la regardant de travers.
— Quoi ?
— Les tables et les chaises bien sûres. Les clients ne vont tout de même pas...
— Ça va j'ai compris, coupa-t-elle en tournant les talons.
Elle se dirigeait vers la salle en adoptant une démarche raide. Elle poussa un long juron avant de faire ce pour quoi elle était là.
Assise sur un tabouret à se ronger les ongles, Calypso commençait à s'ennuyer à force de ne rien faire. Le restaurant était toujours vide et elle ne cessait de grogner. Elle avait proposé à Freddy de l'aider à la cuisine mais celui-ci avait refusé. Après son refus catégorique, il lui avait balancé à la figure qu'elle était là en tant que serveuse et non cuisinière. Mais en réalité, ces paroles ne venaient pas de lui mais plutôt de son oncle grincheux à l'apparence stricte et autoritaire qui avait parlé en italien après qu'elle eut pris un couteau pour éplucher les pommes de terre qu'elle avait trouvées dans un panier. Freddy avait tout simplement traduit ses dires. Tout compte fait, elle était heureuse de travailler là. Ces deux derniers jours avaient suffi pour faire changer d'avis à Freddy. Il l'avait félicitée pour son travail. Elle leur avait prouvé qu'elle était faite pour ce poste.
Elle vit par la porte vitrée, deux hommes qui s'approchaient du restaurant. D'un bond, elle se leva du tabouret et se planta vers la porte avec un sourire radieux qu'elle s'était efforcée de répéter devant son miroir pour faire bonne impression devant les clients.
—Bienvenue Messieurs, lâcha-t-elle avec charme lorsqu'ils entraient.
Le premier lui rendit son sourire ; l'autre par contre l'ignora. Après qu'ils furent installés à l'une des tables,Calypso réapparut toujours avec son air jovial et leur demanda ce qu'ils voudraient commander.
Celui-là même qui l'ignora ne lui prêtait guère attention. Il était concentré sur son téléphone portable tandis qu'elle le regardait de travers avant de poser son regard sur l'autre qui semblait la dévisager. Elle ouvrit son bloc-note et nota sa commande.
— Et vous Monsieur, fît-elle agacée.
Il leva enfin ses yeux vers elle, le visage serré.
— Quoi ? Vous ne pouvez pas me foutre la paix ? beugla-t-il.
Choquée,Calypso recula d'un pas. Pourquoi criait-il sur elle ? Elle lui avait tout simplement demandé ce qu'il voulait commander. Ce qui n'était rien d'anormal.
— Qu'est-ce que tu commande ? Intervint son second.
— Un verre de Whisky, balança-t-il.
— Veuillez l'excuser. Il a eu une très mauvaise journée.
Calypso referma son bloc-note en serrant la mâchoire. Il devrait plutôt s'excuser lui-même. Il s'en foutait royalement de lui avoir manqué de respect. Il a eu une dure journée et puis quoi encore ? Tout le monde rencontre des moments pénibles dans leur journée mais cela ne leur donne pas le droit d'évacuer leur rage sur d'autres personnes. Elle esquissa un sourire forcé pour lui faire croire qu'elle n'était nullement touchée et tourna les talons.
— Alonzo, cette femme ne t'a rien fait pour que tu lui parles ainsi. Ce n'est pas Anastasia, gronda Henrik. D'ailleurs, as-tu pu contacter cette dernière ? Demanda-t-il lorsque Alonzo laissa son téléphone sur la table après avoir longuement rivé ses yeux sur l'écran.
Il secoua négativement la tête et poussa bruyamment un soupir. Depuis quatre jours, il n'avait aucune nouvelle de sa femme et cela le mettait hors de lui-même. Demain il rentrerait en Grèce et entamerait les recherches sans que la presse ne soit au courant. Il n'aimerait pas que cette situation devienne la une des journaux.
Calypso revint quelques minutes plus tard avec le plat qu'elle posa devant Henrik et le verre de whisky qu'elle mit également devant Alonzo, mais de façon assez brutale. Ce dernier ne remarqua pas l'énervement de la jeune femme. Il avait la tête ailleurs. Il était inquiet pour Anastasia et de son enfant qu'elle portait.
— Merci, fit Henrik en lui gratifiant un sourire.
— Bon appétit, dit-elle en se retirant.
Le téléphone portable d'Alonzo se mit à sonner. Il jeta rapidement un coup d'œil et un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'il vit le nom de sa femme affichée sur l'écran.
— C'est Anastasia, s'exclama-t-il avant de décrocher. Allô, chérie. Je me suis fait un sang d'encre pour toi. Nom de Dieu, où es-tu ? J'ai tenté plusieurs fois ton numéro, sans que tu ne décroches
— Désolé de te décevoir. Ce n'est pas ta chérie à l'autre bout du fil, fit une voix d'homme.
Son visage s'assombrit laissant Henrik dans l'incompréhension.
— Qui êtes-vous et pourquoi avez-vous le téléphone de ma femme ?
— Tout simplement parce que je la retiens. Quarante millions de dollars à transférer dans mon compte si tu veux la revoir.
Il écarquilla les yeux ! Quarante millions de dollars ?
— Que se passe-t-il ? Demandait Henrik.
— Tu as deux jours pour réunir cette somme. Tu as intérêt à m'envoyer cet argent sinon je me ferai le plaisir de trancher la gorge de ta tendre épouse et jeter son corps aux charognards qui n'en feront qu'une bouchée. Deux jours, souligna-t-il. Et inutile de te dire que tu n'as pas le droit d'appeler la police. Tu n'es pas si stupide pour risquer la vie de ta femme.
— Qui que vous soyez, je vous pris de ne pas lui faire le moindre mal, supplia-t-il au bord de la panique. Elle est en...
Avant qu'il ne termine sa phrase il avait déjà raccroché. Il reposa son portable sur la table et fixa l'écran pendant un moment. Sa gorge se noua tandis qu'il frémissait. Un ravisseur détenait sa femme et il n'avait que deux jours pour réunir une telle somme. Henrik lui demandait ce qui le mettait dans cet état. Il était trop angoissé pour répondre. Aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Il vida d'un trait le contenu de son verre et desserra sa cravate qui l'étouffait à présent.
— Tu vas me dire enfin ce qui se passe ? S'agaça son ami qui voulait avoir une réponse.
— Anastasia a été enlevée, finit-il par lâcher.
— Quoi ? S'étrangla Henrik. Il faut appeler la police, s'écria-t-il en extirpant de sa poche son téléphone portable.
— Non ! Surtout pas, cria Alonzo.
Henrik le fixait, médusé.
— Ta femme a été kidnappée par un ravisseur et tu refuses que j'appelle la police ? S'étonna-t-il.
_ Tu mettras la vie d'Anastasia et de mon enfant en danger si tu fais intervenir la police. Il réclame une somme de quarante millions de dollars avant de la libérer.
Henrik resta sans voix. Cet homme serait un fou pour réclamer une telle somme? Il demanda à Alonzo de le lui répéter pour être convaincu d'avoir bien entendu.
— Quarante millions de dollars, répéta Alonzo. Appelle ma mère, dit-il en se levant de son siège. Dis-lui de prélever cette somme dans le compte de l'entreprise et qu'elle me fasse un virement. Ne lui fais pas savoir qu'Anastasia a été enlevée.
— Et penses-tu qu'elle retirera cette somme sans pour autant poser de questions ? On parle de Quarante millions de dollars. Tu n'as jamais utilisé une telle somme pour quoi que ce soit. Elle va trouver ça louche et moi je déteste mentir à ta mère.
— Dis-lui tout simplement que j'en ai besoin et qu'elle devrait me faire confiance.
— Espérons qu'elle accepte.
— À toi de la convaincre.
Henrik déposa l'addition sur la table et tous les deux quittèrent le restaurant...