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745 Words
- 6 - « Que Dieu me confonde ! s’écria sir Giles. Comment, Iris mon manteau jeté sur l’épaule ! mon chapeau à la main ! Sergent, vous avez été le jouet d’une fatale erreur. C’est ma filleule…, miss Henley. – Nous l’avons trouvée à la borne milliaire, monsieur, mais personne autre. » Sir Giles, s’adressant alors personnellement à Iris, dit : « Parlez ! Que cela signifie-t-il ? » Au lieu de répondre, la jeune fille dirige ses regards vers le sergent, lequel ayant conscience de la responsabilité qui lui incombait, tenait ses yeux braqués sur le banquier. Du reste, sa physionomie, où perçait une pointe de raillerie, prouvait que la réputation de gens indisciplinables faite aux Irlandais, était justifiée, en ce qui le concernait, mais en même temps il ne montrait aucune intention de lâcher pied. S’avisant que Iris, elle aussi, était déterminée à ne fournir aucune explication en présence de l’agent de police, sir Giles dit : « Inutile d’attendre ici plus longtemps, sergent, veuillez vous retirer. – Que dois-je faire du prisonnier, s’il vous plaît, monsieur ? » Le banquier éluda cette question superflue, d’un geste de la main, il sentait que sa responsabilité était triplement engagée : 1° comme chevalier ; 2° comme banquier ; 3° comme magistrat. « C’est moi, dit-il, qui me chargerai de mener miss Henley devant le magistrat si sa présence est requise. Bonsoir. » Une fois sa responsabilité à couvert, le sergent fit le salut militaire, après avoir, toutefois, salué la jeune fille avec une galanterie mêlée de respect ; puis il se dirigea vers la porte. « Maintenant, reprit sir Giles, puis-je espérer recevoir de vous l’explication de votre conduite et savoir pourquoi vous êtes venue à la borne milliaire ; que signifie ce manque de convenance et quel était votre dessein ? – Sauver la vie de celui qui vous avait donné rendez-vous, répondit Iris d’une voix très ferme. Pour préserver votre neveu des dangers dont il était menacé, cet homme n’a pas craint, sachez-le, de risquer ses jours. Ah ! sir Giles, vous avez fait une bien mauvaise action en lui refusant votre confiance ! » Au lieu d’excuses faites d’un ton humble et confus, excuses auxquelles sir Giles s’attendait, sa nièce lui jetait des reproches d’un ton indigné, la rougeur au front et les larmes aux yeux. Sir Giles, du haut de son orgueil blessé, levant la voix, s’écria : « À quel individu faites-vous allusion, mademoiselle, et quelle est votre excuse, s’il vous plaît, pour vous être transportée à la borne milliaire dans cet accoutrement grotesque ? – De grâce, mon parrain, ne perdons pas de temps en questions oiseuses ; il vous appartient de pouvoir réparer encore le mal que vous avez fait, en vous rendant immédiatement à la ferme de votre neveu. C’est, notez bien ceci, poursuivit-elle d’une voix émue, votre seul moyen de le sauver. » En ce moment, sir Giles affecta, en parlant à sa filleule, un ton de modération et d’obséquiosité ironiques. « Puis-je me permettre, dit-il timidement, de hasarder une observation ? daignerez-vous m’écouter, Iris ? – Sachez que je ne veux entendre à rien, répondit-elle. Il faut que vous partiez tout de suite. – Voyons, ne savez-vous donc pas que le dernier train a filé depuis plus de deux heures ? – Qu’importe ! poursuivit Iris en jetant à son parrain un regard indigné. Vous êtes assez riche pour payer un train spécial. » Bref, fatigué de jouer cette comédie, sir Giles se détermina à reprendre son ton habituel. Tirant un vigoureux coup de sonnette, il dit à Denis Howmore : « Veuillez prendre la peine d’accompagner miss Henley à la maison », puis se tournant du côté d’Iris, il ajouta : « Je sens que la nuit porte conseil ; je compte sur vos excuses demain matin. » Or, quelle ne fut pas sa déception, le lendemain, quand, à neuf heures, il se trouva seul à table ! À l’heure du déjeuner, la servante tout effarée vint raconter qu’étant montée chez miss Henley, elle avait constaté qu’elle était partie, accompagnée de sa femme de chambre. Néanmoins, les lits étaient défaits ; sur les bagages, on lisait ces mots : « Remettre ces malles au porteur qui doit venir les chercher de l’hôtel ». C’était là tout l’adieu formulé par Iris. On alla à l’hôtel et d’après l’interrogatoire que l’on fit subir au maître de l’établissement et à ses gens, il résultait que miss Henley et sa camériste avaient fait une apparition dans la matinée, qu’elles portaient des sacs de voyage à la main et que miss Henley avait confié au directeur de l’établissement, la garde de ses bagages jusqu’à son retour. Quant à savoir la direction qu’elles avaient prise, personne ne la connaissait. Si sir Giles eût été moins en colère, il se fût rappelé ce que sa filleule lui avait dit la veille et il aurait su le motif de son départ. « Que diantre ! se dit-il, son père s’en est débarrassé ; ma foi ! j’ai bien le droit d’en faire autant. » Sur ce, il donna l’ordre à ses gens de refuser sa porte à miss Henley, si son audace l’entraînait à vouloir en franchir le seuil.
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