Introduction-1
IntroductionAu seuil de cette courte étude, il nous paraît curieux de consigner une constatation, déconcertante sans doute pour les champions de la morale publique, pour ceux qui s’ingénient à classer les esprits et pour lesquels le mot seul d’érotique est prétexte à nausées. Nous n’avons cependant pas, de parti pris, la prétention de scandaliser ces esprits méthodiquement pudiques, non plus que celle de fronder de respectables convictions. Mais n’est-il pas permis de se féliciter, sans arrière-pensée, que deux des œuvres littéraires, les plus franchement érotiques, aient été composées, l’une, la s****e sotadique d’Aloisia Sigea, par un savant jurisconsulte, Nicolas Chorier ; l’autre, le De figuris Veneris, par un philosophe érudit, Friedrich Karl Forberg, conservateur, en 1807, de la bibliothèque antique de Cobourg.
Ce dernier ouvrage, dont Isidore Liseux a pu présenter la traduction sous le titre de Manuel d’érotologie classique, est l’étude la plus complète des formes physiques et antiphysiques de la volupté charnelle à travers les textes classiques anciens et modernes. Écrit pour ceux qui se refusent à l’ignorance ténébreuse aussi bien qu’à l’étalage impudique, pour ceux qui pensent qu’en matière d’érotisme le mieux est encore de savoir beaucoup et de savoir juste, le De figuris Veneris sera toujours consulté avec fruit par les lettrés et les philosophes curieux de documents précis.
Quant à la s****e d’Aloisia Sigea, dont nous rééditons la traduction, c’est une œuvre d’imagination, mais pleine de documents sur les mœurs intimes des anciens et des modernes et aussi, nous le verrons et nous y insisterons, empreinte d’une philosophie sexuelle très clairvoyante et très pratique, émaillée de maximes d’une morale sage, non point sans doute à la façon des graves stoïciens, mais telles que le bon La Fontaine ne les eût pas toutes désavouées.
L’auteur, authentifié depuis longtemps en dépit de toutes les protestations, Nicolas Chorier, naquit à Vienne, dans le Dauphiné, en 1609. Fils d’un procureur au bailliage de Vienne, il fut élevé par les jésuites, qui, on le sait, se sont acquis une solide réputation dans les études classiques. Chorier fut un élève remarquable : il était parvenu à une rare maîtrise dans les langues anciennes, et particulièrement en latin. Ses humanités terminées, il va suivre les cours de droit à l’Université de Valence, est reçu docteur en droit en 1639 et se fait inscrire sur le tableau de l’ordre des avocats à la Cour des aides de Vienne. Ses débuts au barreau furent brillants, mais le goût des belles-lettres l’emportait chez lui sur la passion de la chicane, et le latiniste de marque brûlait d’essayer ses forces. En 1640, il publiait en latin un Éloge des quatre archevêques de Vienne du nom de Villars ; six ans plus tard, en latin encore, le Portrait du magistrat et de l’avocat, et en 1648 la Philosophie de l’honnête homme. Mais tous ces opuscules ne valurent à leur auteur aucune renommée.
Nicolas Chorier trouve bientôt sa voie en se livrant tout entier à l’étude des annales du Dauphiné, pour lesquelles il rassemblait consciencieusement ses matériaux dans les archives publiques et particulières. En 1654, il lance le prospectus de son Histoire du Dauphiné, et en 1658 il prélude à la publication de ce grand ouvrage en donnant ses Recherches sur les antiquités de la ville de Vienne, recueil très précieux aujourd’hui encore en ce qu’il conserve le souvenir de monuments disparus.
En 1661 paraît le premier volume de l’Histoire du Dauphiné, accueilli par d’enthousiastes éloges : le P. Gratte, jésuite, le P. Trillard lui dédièrent des odes, des sonnets d’une poésie quelque peu fade ou même ridicule, mais qui témoigne de la faveur dont jouit l’ouvrage dans le monde des savants. Au reste, les États du Dauphiné votèrent à Chorier, lors de la publication de l’Histoire, un don de cinq cents louis, que le Parlement, il est vrai, refusa d’ordonnancer, mais qui n’en reste pas moins comme un nouveau témoignage d’estime.
Quelque temps après, Chorier reçoit la charge d’avocat de la ville de Grenoble, car il avait dû quitter Vienne en 1658, la Cour des aides ayant été supprimée. Son nouveau titre lui valut le désagrément d’être impliqué dans un procès en concussion intenté aux consuls de Grenoble et dont il sortit victorieux après cinq longues années de lutte.
En 1666, Chorier fut nommé procureur du roi près la commission établie en Dauphiné pour la recherche des usurpateurs de titres de noblesse. Ses études spéciales le désignaient tout particulièrement pour des fonctions aussi délicates et qui exigeaient, avec une certaine indépendance d’esprit, des connaissances généalogiques très approfondies.
Le second volume de l’Histoire du Dauphiné ne fut publié que onze ans après le premier, en 1672. Dans l’intervalle, Chorier avait livré au public l’Histoire généalogique de la Maison de Sassenage, sans grand intérêt, et l’État politique de la province du Dauphiné, ouvrage dans lequel se trouvent des recherches curieuses sur les origines des évêchés, des établissements publics et des institutions de la province.
La nomenclature des publications historiques, juridiques ou généalogiques de Chorier n’ajouterait pas grand-chose à notre étude et sortirait d’ailleurs de notre cadre, Chorier nous est connu d’ores et déjà comme historien, comme juriste ; nous savons qu’il fut, à ces divers titres, très apprécié de ses contemporains et que ses œuvres sont restées pour la postérité comme une source de documents unique.
***Mais ce n’est pas là tout Chorier : il ne fut pas absorbé par ces arides et ingrates études au point de laisser étouffer en lui toute imagination. Ce n’est pas impunément qu’on nourrit son esprit des littératures anciennes : l’empreinte en est ineffaçable.
« L’amour des lettres, dit Chorier lui-même dans ses Mémoires, ne cessa de m’inonder et de me baigner de sa volupté céleste… Je vouai mon plus fervent amour et mon attention la plus diligente aux muses latines et françaises. » Et parmi les auteurs anciens, Chorier déclare apprécier particulièrement et lire fréquemment à ses amis Perse, « ce poète si obscur, dans les Satires duquel, comme au fond d’une ténébreuse caverne, on découvrira, sans regretter sa peine, des perles de sagesse et de doctrine du plus haut prix. » (Mémoires, III, 2.)
À fréquenter intellectuellement de pareils esprits, Chorier devait éprouver le désir de les imiter. Son inspiration fut discrète, ou du moins se manifesta tardivement en public. Ce n’est, en effet, qu’en 1680 qu’il publia le recueil de ses poésies latines, sous le titre Nicolai Choreiri Viennensis Carminum liber unus, Gratianopoli, 1680. Mais ce recueil, d’apparence modeste, fut une révélation pour un grand nombre de sceptiques. Il contenait deux poèmes : Poemation de laudibus Aloisiae, et Tuberonis Genethliacon, dont nous publions plus loin la traduction, et qui se trouvaient également dans un livre imprimé clandestinement deux ans auparavant sous le titre Aloysiae Sigeae Toletanae Satyra sotadica de arcanis amoris et Veneris. Aloisia hispanice scripsit. Latinitate donavit Joannes Meursius.
Cet ouvrage avait été imprimé pour la première fois, vers 1659, à Lyon sans doute, sous le même titre, mais sans l’adjonction des deux poèmes dont nous venons de parler. Il avait fait sensation. En un latin « d’une élégance soignée et précise sans pédantisme », ainsi que dit Forberg, l’auteur dressait un tableau complet des inventions et des secrets de l’amour physique, quelques-uns aussi de l’amour antiphysique, sans épargner aucun détail, sans reculer devant les termes propres qui d’ailleurs, dans la langue de Juvénal, bravent l’honnêteté.
Le dix-septième siècle, malgré toute sa façade brillante, sa morgue hautaine connut bien, vers la même époque, un roman obscène, le Rut et la Pudeur éteinte, de Corneille Blessebois ; mais c’est là de l’érotisme sans prétention et sans valeur littéraires, présenté dans une langue heurtée, brutale ou quintessenciée, faisant servir l’obscénité à une besogne de rancune, de vengeance personnelle, dont nous connaissons mal les motifs.
La s****e sotadique, au contraire, était une œuvre de maître, n’hésitons pas à dire, après d’autres plus autorisés, un chef-d’œuvre. « J’estime, a écrit Octave Uzanne, que ces admirables Dialogues de Luisa Sigea n’ont rien de ce que le sens du mot pornographique, interprété à la moderne, semble désigner. Tous les vrais lettrés seront de mon avis, j’en ai l’assurance, car on ne trouverait ni au dix-neuvième siècle ni à cette époque une œuvre de si hautaine allure et de si mâle style que celle de Chorier. »
Dès l’apparition du livre, présenté comme l’ouvrage de l’Espagnole Luisa Sigea traduit en latin par Jean Meursius, les curieux s’informent.
Luisa Sigea, née à Tolède vers 1530, était fille de Jacques Sigée, Français d’origine, homme très lettré, d’après les témoignages contemporains. De bonne heure, Luisa fit de rapides progrès dans les lettres et les langues anciennes : elle savait le grec, le latin, l’hébreu, le syriaque, l’arabe, le castillan, le français et l’italien. À l’appel de Jean III, roi de Portugal, qui avait entendu parler de Jacques Sigée et de ses filles (Angela, la sœur de Luisa, était savante et artiste), la famille partit pour Lisbonne. Le père fut nommé précepteur du duc de Bragance et de ses frères ; Luisa, à peine âgée de treize ans, fut chargée d’élever et d’instruire la sœur du roi, l’infante Marie, fille du feu roi don Manuel et d’Éléonore d’Autriche, sœur de Charles-Quint.
Après un séjour de treize ans à la cour de Lisbonne, Sigée se retira avec sa famille à Torres Novas, où Luisa épousa, en 1557, Francisco de Cuevas, d’une famille noble mais pauvre de Burgos. Dans cette dernière ville, Luisa vit la reine de Hongrie, sœur de Charles-Quint, qui habitait alors Valladolid. Celle-ci la mit au nombre des dames de la maison et donna à Francisco de Cuevas la charge de secrétaire de ses commandements. Mais la reine mourait la même année, ne laissant au jeune ménage qu’une modique pension.
Luisa mourut elle-même à Burgos, à l’âge de trente ans. Juan de Merlo, écrivant ses louanges, mettait en titre :
LOISIAE SIGAEAE, TOLETANAE, SAECULI SUI MINERVAE.
De son vivant, Luisa Sigea avait été en correspondance littéraire avec les hommes les plus érudits. Elle avait écrit un Dialogus de differentia vitae rusticae et urbanae qui n’a jamais été publié. Le seul écrit d’elle qui ait été conservé est une description, en vers latins, des jardins de Syntra, palais des rois de Portugal, situé près de Lisbonne : il parut en 1566. En 1546, elle avait adressé au pape Paul III une épître en cinq langues : hébreu, syriaque, grec, latin, arabe. Paul III lui répondit, le 5 janvier 1547, en louant sa vertu et sa piété non moins que son savoir.
Quant à Meursius (Jean II), fils de Jean 1er, célèbre antiquaire hollandais, il fut, lui aussi, un érudit précoce. Né à Leyde en 1613, il mourut à quarante ans, c’est-à-dire en 1653, quelques années avant l’apparition de la s****e sotadique. On a de lui des dissertations d’ordres différents : Majestas veneta ; De tibiis veterum, que Gronovius a inséré dans le tome VIII du Thésaurus antiquitatum graecarum ; Observationes politico-miscellaneae ; Arboretum sacrum, sive de arborum consecratione réimprimé à la suite du poème des Jardins, de Rapin ; De Coronis liber singularis.
Ni l’un ni l’autre de ces modestes érudits n’avait pu composer un pareil livre que la s****e sotadique, un pareil « monument d’impudicité », disaient en substance de graves personnages. L’un et l’autre étaient, en effet, complètement étrangers à cette composition. La personnalité véritable de l’auteur ne tarda pas à être soupçonnée, et les soupçons s’étaient confirmés pour beaucoup, même avant la publication des poésies de Chorier.
L’avocat gratianopolitain ne pouvait pas ne pas prévoir les conséquences de cette publication. Il ne pouvait pas davantage s’avouer ouvertement l’auteur de cette satire, on en comprend aisément les motifs ; et cependant il devait lui sembler pénible de renoncer à la paternité d’une œuvre qu’il savait remarquable. Il a tout fait, en somme, pour que sa paternité fût évidente ; mais, pour satisfaire aux exigences de sa situation sociale et mondaine, il a fait le geste de la protestation.
Dans l’épître dédicatoire de ses poésies latines, il manie, à ce sujet, l’ironie de main de maître :
« Je composai, dit-il, le Tuberonis Genethliacon alors que j’étais à Paris, irrité, exaspéré contre certain fourbe, du nombre des personnages les plus haut placés. L’horrible perfidie de cet hypocrite stimulait mon indignation ; je me laissai donc aller un peu trop librement, par la licence des expressions, à une satire violente et insultante, ce qui, d’ailleurs, convient le mieux à la satire. Sur la prière d’un ami, d’après le témoignage de De Thou, je louai une jeune fille, à l’occasion d’une satire écrite par elle et qui, certes, à cette époque, ne m’était pas encore venue entre les mains. J’eus confiance en l’ami qui me l’avait recommandée, moi qui tiens pour certain qu’on ne doit rien refuser à l’amitié, si cette amitié est véritable. J’ai appris qu’il y a deux ans l’un et l’autre de ces deux poèmes avaient été publiés : j’eusse mieux aimé les condamner à une nuit éternelle. Que pouvait-il, en effet, m’arriver de plus désagréable que de voir l’un d’eux appelé à la défense d’une cause que je ne voudrais pas défendre, si je ne tiens compte de l’honnêteté, et je la priserai toujours par-dessus tout ? Quant à l’autre, j’ai honte, tout libre qu’il est, qu’on le lise en cet endroit, où les gens modestes et graves refuseront, par pudeur, de l’absoudre, non autrement que s’ils étaient invités et appelés aux Jeux Floraux. C’est pourquoi mon intention était de renier et d’anéantir, si je le pouvais, ces malheureux fruits de ma muse ; malheureux, non par ma faute, mais par celle d’autrui. Je considérerais comme un profit cette perte, que je voudrais avoir faite. L’amour paternel fut plus fort. Je préférai laisser à ces innocents la vie que je leur avais donnée. Mais j’ai châtié, expurgé le Genethliacon, de façon qu’il n’ait plus rien d’offensant et qu’il ne puisse me susciter aucune haine. »
Quelque vingt ans plus tôt, au moment de la première édition de la s****e, Chorier avait déjà dû se disculper en haut lieu. Il conte lui-même sa démarche, non sans constater, avec un légitime orgueil, que cette accusation reposait sur sa connaissance approfondie de la langue latine. Un de ses amis, l’abbé de Saint-Firmin, était accusé d’avoir chanté des couplets assez gaillards, entre deux vins ; Chorier se fit son défenseur officieux. Il écrit, à ce propos, dans ses Mémoires, à la date de 1680 :
« Je m’attirai la haine de Le Camus (l’évêque de Grenoble, Etienne Le Camus). Vingt ans auparavant, la satire de Luisa Sigea, écrite en latin, d’un style élégant et fleuri, avait vu le jour. Lorsque tout d’abord elle tomba entre les mains des hommes, comme nul n’ignorait que je fusse savant en latin, je ne sais quels lettrés me soupçonnèrent perfidement et injurieusement d’être l’auteur de cette satire. Aux yeux de Le Camus, qui veut du mal à tout le monde, sans aucun égard pour les mérites, un soupçon qui n’a pas la moindre importance tient d’ordinaire lieu de preuve complète. Il s’étonnait, disait-il, qu’un pareil livre eût pu être publié impunément ; il me désignait tout haut, afin d’exciter contre moi la malveillance. Pour persuader à d’Herbigny cette imposture, aussi éloignée de la vérité que les ténèbres le sont de la lumière, il remuait ciel et terre. Je fus trouver d’Herbigny, non pour m’excuser, mais pour repousser l’accusation. Tandis que je lui parle avec la liberté d’un honnête homme et d’un innocent, il m’échappe de dire que ceux qui m’accusaient avec autant de fausseté en avaient menti impudemment ; je ne croyais pas le choquer en m’exprimant de la sorte. Mais, indigné de ce que je ne tiens pas compte de son rang, il s’emporte et ne se contente pas de vociférer, il se met en rage contre moi avec d’autant plus de fureur que je m’efforçais plus soigneusement d’expliquer le mot. Que faire ? Je me retirai de sa présence. Georges Maleton, de Vienne, supérieur des capucins de Grenoble, me rapporta du caractère de ces deux personnages beaucoup de traits qui adoucirent mon chagrin. Je me consolai par le témoignage de ma conscience ; ne me sentant coupable d’aucune faute, je n’avais à pâlir d’aucune. »
***La préface de la première édition de la s****e sotadique avertissait prudemment – à moins que ce ne fût humoristiquement – le lecteur que l’original de Luisa Sigea était perdu et que seul le commentaire de Meursius subsistait. Cette édition comprenait six dialogues. Le bruit fait autour de ce livre, les malédictions stupéfaites des gens de bien n’effrayèrent cependant pas l’auteur outre mesure ; car en 1678 paraissait une deuxième édition « emendacior et auctior », à laquelle s’ajoutait un septième dialogue, Fescennini, dont le manuscrit, affirmait le titre, venait d’être retrouvé. Mais pour déconcerter davantage encore les devineurs d’énigmes, l’éminent latiniste transportait la scène d’Italie en Espagne, sans aucune explication.
Dans les six premiers dialogues, deux jeunes Italiennes, Tullia et Octavia, content et exécutent les mille et une variations classiques des voluptés charnelles ; mariées à deux Italiens, Caviceo et Callias, elles s’initient mutuellement aux douleurs légères et aux joies intenses du lit conjugal. Dans le septième dialogue, Caviceo et Callias sont Espagnols ; Octavia parle des lubricités de Gonzalve de Cordoue, comme d’un compatriote ; les expériences voluptueuses s’exécutent sous le ciel espagnol. Évidemment, l’auteur présumé, Luisa Sigea, Espagnole elle-même, pouvait parler en meilleure connaissance de cause de l’Espagne ; mais alors pourquoi les précédents dialogues n’étaient-ils pas modifiés ? Pourquoi même cette pensée de situer l’action en Espagne n’était-elle pas venue à l’auteur avant la publication de la première édition ? Et encore pourquoi ce septième dialogue est-il présenté avec de nombreuses lacunes ? Est-ce calcul, manque de temps ou surprise ? Mystère ! Mais, à bien considérer, il semble que chaque manœuvre soit, à dessein, maladroitement exécutée, comme pour infirmer l’attribution de la s****e à Luisa Sigea, pour confirmer en même temps la paternité de Chorier.
***Cette question d’attribution avait été suffisamment obscurcie par Chorier lui-même pour susciter un débat sans fin. Ainsi en fut-il. La Monnoye, Lancelot, de l’Académie des Belles-Lettres, l’abbé d’Artigny, discutèrent à perte de vue sur des probabilités, des possibilités. Au cours de leur débat, un nom fut prononcé, celui de Jean Westrène, jurisconsulte hollandais, présenté comme l’auteur de la s****e. La conclusion de leurs critiques bibliographiques semble être que Nicolas Chorier est l’auteur de cet ouvrage, que Nicolas, libraire de Grenoble, donna la première édition, et que la seconde parut à Genève, avec addition d’un septième dialogue. Cette édition était surchargée de fautes d’impression, parce qu’elle n’avait pas été faite sous les yeux de l’auteur. La traduction française fut l’œuvre de Nicolas, fils du libraire. Un monsieur M. (Du Mey), avocat général au Parlement de Grenoble, avait fait les frais de ces éditions, la situation financière de Chorier ne lui permettant pas d’y faire face.
Le débat fut repris plus tard par Charles Nodier. Ayant à rédiger, en 1839, le catalogue de la bibliothèque Pixérécourt, dans lequel l’Aloisia est attribué à Chorier, il écrit qu’il ne croit pas à la paternité de l’avocat dauphinois, dans les écrits duquel on ne trouverait, à son avis, ni verve, ni élégance, qualités distinctives de la latinité néologique et maniérée du faux Meursius. Il attribue l’Aloisia « à un militaire hollandais, fort habile philologue et fort mauvais sujet » : c’est Jean Westrène qu’il traite aussi légèrement.
Un autre bibliophile de marque, Octave Delepierre, attribuait la s****e sotadique à l’Orléanais Philippe Garnier, sous le prétexte que l’édition princeps portait le titre de Philippi Garneri gemmulae gallicae linguae latine, italice, germanice adornatae. Sans doute, Delepierre avait eu dans les mains un exemplaire dont la page de titre avait été changée, afin de permettre au possesseur d’en faire la lecture sans danger, même en public. Ainsi le régent Philippe d’Orléans avait fait relier les œuvres de Rabelais sous la couverture d’un livre d’heures.
Enfin, Isidore Liseux, l’érudit chercheur, affirme, dans l’Avertissement de son édition latine-française de 1882, que la première édition fut imprimée à Lyon, non à Grenoble, en 1657-1659. Chorier était encore à Vienne ; il ne vint à Grenoble qu’à la fin de 1659. D’autre part, Du Mey n’entra en relations avec Chorier qu’à Grenoble, en 1660 : il ne fut nommé avocat général au Parlement de Grenoble qu’en 1677.