Chapitre 2

1927 Words
Chapitre 2 Lacey soupira en voyant Ginger, le beau golden retriever de trois ans qui avait été déposé au refuge animalier Touch of Magic deux semaines plus tôt, remuer la queue alors qu’elle entrait dans la vaste grange aérée. Des grognements de chiots dans le box derrière elle firent éclore un sourire sur ses lèvres. Un sourire qui lui donnait l’impression d’être raide tant elle en avait perdu l’habitude, mais au moins, c’était un sourire. — Salut, ma belle, murmura Lacey. Comment vont tes bébés aujourd’hui ? Un coup de langue humide et un soupir las lui répondirent. Une Ginger mal nourrie et sa portée de quatre chiots avaient été abandonnées à l’entrée du refuge animalier que Lacey et son mari, Sean, avaient créé six ans auparavant. Lacey envoya une vague de chaleur à la mère épuisée. Son sourire s’élargit lorsque Ginger ramassa la balle de tennis orange vif qu’elle aimait et se releva avec une énergie renouvelée. Elle tendit la main et la prit, ne prêtant pas attention à l’humidité. Ensuite, elle la lança vers la cour. — Va t’amuser, ma belle. Je vais veiller sur tes bébés un moment. Le golden partit en remuant la queue. Evan, l’un de ses assistants à mi-temps, avait ramassé la balle qui roulait vers lui. Elle le regarda commencer à jouer avec Ginger. — Merci, Evan, lui lança-t-elle. — Pas de problème, Lacey, répondit-il joyeusement. Elle soupira encore une fois tandis qu’elle se retournait vers le box dans lequel se trouvaient les chiots. Elle savait que c’était fou qu’elle soit déprimée en cette journée, mais même le soleil qui brillait ne parvenait pas à apaiser son âme agitée. Un sentiment d’appréhension l’envahit au souvenir de l’étrange tempête survenue la nuit précédente. Elle sentait le changement dans l’air. Il allait se passer quelque chose. — Oui, il va se passer quelque chose, dit Topper en s’appuyant sur la porte du box. Lacey sursauta lorsque la petite tête de sa tante excentrique surgit. Cette fois, ses cheveux étaient d’un violet flamboyant assorti à ses yeux. Elle ne put retenir un petit rire. À presque soixante ans, Topper était simplement l’un des habitants hauts en couleur de Magic, au Nouveau-Mexique. La ville, baptisée ainsi en raison de sa population insolite, accueillait un étrange assortiment de personnes qui venaient des quatre coins du globe. C’était un endroit où elles pouvaient être elles-mêmes sans craindre d’être qualifiées de bizarres, de menaçantes ou d’être traquées pour des recherches. Sa tante était l’une d’elles. — Topper, je croyais que tu étais dans les Bermudes ! s’exclama Lacey. Tu m’as fait une de ces frousses. — J’y étais, ma chérie, mais je sentais ta tristesse jusque là-bas. Je me suis dit que tu aimerais avoir un peu de compagnie, répondit-elle joyeusement. Lacey considéra sa tante d’un œil sceptique. — Je vais bien, commença-t-elle avant de s’interrompre. Elle leva les yeux au ciel. Elle savait que sa tante n’y croyait pas ; sa lèvre inférieure l’avait trahie. — Bon, d’accord, je ne vais pas « bien », mais ça ira. — Sean ne voudrait pas que tu sois triste, ma chérie, commenta Topper, ouvrant la porte du box. Viens t’asseoir avec les bébés. Ils sont tellement plus forts maintenant. Les coins de la bouche de Lacey s’affaissèrent à la mention du nom de Sean. Non, il n’aurait pas voulu qu’elle soit triste. Il avait aimé la vie et aurait voulu qu’elle embrasse la beauté qui l’entourait et qu’elle apprécie chaque jour pour la joie qu’il pouvait apporter. Il lui manquait tellement. Lacey sursauta une nouvelle fois quand une main ridée captura la larme qui avait commencé à rouler sur sa joue. Elle souffla, prenant seulement conscience qu’elle avait retenu sa respiration, tandis que la goutte brillante s’élevait dans les airs et éclatait en un million de minuscules diamants. Le visage riant de Sean se forma un bref instant. Lacey ferma les yeux, ses joues, ses paupières et ses lèvres caressées par une brise chaude. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, un profond sentiment de calme la gagna, lui mettant un peu de baume au cœur. — Merci, tata, murmura-t-elle. — Je t’en prie, ma grande. Allez, regarde ce que ces adorables petites boules de poils peuvent faire, répondit Topper. Elle prit la main de Lacey et la tira doucement dans le foin, à côté de la portée de chiots turbulents de huit semaines. Lacey se couvrit le visage au moment où ceux-ci prirent conscience qu’ils avaient un nouveau jouet, à savoir elle. Riant, elle ne parvint pas tout à fait à se protéger des minuscules gueules qui tiraient sur ses cheveux et lui léchaient le menton. Elle haletait après qu’ils avaient tous grimpé sur son ventre et sa poitrine pour se chamailler. Laissant ses mains retomber à côté d’elle, elle resta allongée dans le foin frais alors que tous les chiots, à l’exception de l’a*****n de la portée, couraient vers leur mère, qui revenait voir comment se portait sa famille. Bientôt, les chiots s’empilèrent les uns sur les autres, satisfaits après avoir mangé et joué. Enfin, tous les chiots sauf l’a*****n. Little Bit était occupée à grignoter le bouton du haut du chemisier rouge de Lacey. Tout en caressant sa fourrure caramel, elle se demanda comment quelqu’un pouvait abandonner une si merveilleuse petite famille. — J’ai senti un changement dans l’air, murmura-t-elle tout en continuant de caresser le chiot, qui faisait maintenant la sieste. Il va se passer quelque chose. — Moi aussi, je l’ai senti. Il y aura un affrontement entre le bien et le mal, répondit Topper en caressant ses cheveux violets. Mais ce sera plus que ça. Lacey jeta un coup d’œil surpris à sa tante. Les prémonitions étaient l’une de ses spécialités. Elle arrivait mieux à sentir les choses que Lacey. Si seulement elle avait été là quand… — Ça n’aurait pas empêché ce qui s’est passé, Lacey. L’heure de Sean avait sonné. Tu dois l’accepter, ma chérie, dit doucement Topper. — Peut-être que si j’avais été là-bas au lieu d’être restée ici…, commença-t-elle. Elle souleva délicatement le chiot endormi et se redressa. Le serrant contre sa poitrine, elle prit une profonde inspiration. — Tu as raison, tu sais. Sean m’a dit la même chose. Il savait que son heure était venue. Il me manque, c’est tout. Lacey repensa à l’accident de bus qui avait coûté la vie à son jeune mari, trois ans plus tôt. Sean était parti voir ses parents, qui rendaient visite à un vieil ami de la famille à Santa Fe. Sa voiture était au garage, il avait donc dû prendre le bus. Un pneu avait éclaté au moment où le véhicule prenait un virage et il avait percuté un semi-remorque qui arrivait en sens inverse et transportait des buses en béton. Huit personnes étaient mortes sur le coup, dont Sean. À l’instant où son esprit avait quitté son corps, Lacey s’était réveillée d’un rêve dans lequel elle était assise à côté de lui. Ses hurlements avaient été si forts qu’ils avaient été emportés par le vent, tirant ses sœurs et sa tante de leurs maisons à presque quatre cents mètres du refuge que Sean et elle avaient bâti. — Il continue de veiller sur toi, ma chérie. C’est un esprit assez entêté, fit Topper avec un signe de tête satisfait. — Je dois le laisser partir, répondit doucement Lacey. Mais je ne veux pas. Sa tante tapota sa main. — Je ne pense pas que ce soit toi, ma chérie. Sean veut s’assurer que tu n’es pas seule avant de partir. Il ne s’agit pas de ce que tu veux, mais de ce qu’il est déterminé à te voir avoir. Lacey plongea son regard obstiné dans les yeux violets brillants de sa tante. Elle secoua la tête avec détermination. Jamais plus elle ne s’exposerait à une telle douleur. Jamais plus elle ne s’autoriserait à aimer quelqu’un comme elle avait aimé Sean. Elle… eh bien, elle jetterait un sortilège au premier homme qui s’intéresserait à elle d’un peu trop près, pensa-t-elle avec défi. — Alors, tu penses qu’il va se passer quoi ? demanda-t-elle d’un ton curieux, voulant changer de sujet. Tu as dit qu’il y aurait un affrontement entre le bien et le mal. De quel genre ? Est-ce qu’on devrait en parler à Theo ? Theo était le shérif de Magic. À son arrivée, il lui avait fallu du temps pour comprendre ses étranges habitants, mais après quelques mois, il s’était résigné à les écouter quand ils lui disaient que quelque chose allait se produire. C’était peut-être l’une de ces fois, si Topper et Lacey sentaient le même danger imminent. — Non, murmura sa tante en se caressant de nouveau les cheveux. Non, je pense que cette fois, Theo devrait rester en dehors de ça. Il y aura un autre représentant des forces de l’ordre qui gérera la situation. Lacey grogna et secoua la tête. — Theo n’aimera pas qu’il y ait quelqu’un d’autre sur son territoire sans qu’il soit au courant. Tu sais combien il peut se montrer protecteur maintenant qu’il connaît tout le monde. — Il n’aura pas son mot à dire, cette fois, répondit Topper, ses yeux se mettant à briller de joie, comme si elle voyait quelque chose qui l’avait surprise. Non, ni lui ni… — Ni qui ? demanda Lacey, les sourcils froncés. — Personne, ne t’inquiète pas, ma chérie. Tout ira bien, dit Topper avant de se relever brusquement. Avec un clin d’œil, elle tapota la tête de Little Bit. Le chiot se réveilla en sursaut dans les bras de Lacey, un petit grognement lui échappant par réflexe. — Tu vas être une merveilleuse protectrice, petit monstre. Lacey reposa délicatement Little Bit sur ses frères et sœurs endormis. Le minuscule chiot se fraya immédiatement un chemin et s’allongea sur les autres. La déclaration mystérieuse de sa tante lui fit secouer la tête. — Qu’est-ce que…, commença-t-elle à dire avant de s’apercevoir qu’elle était de nouveau seule. Oh, Topper, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Lacey mit ses mains sur ses hanches et baissa les yeux vers Ginger, qui redressa la tête et la regarda en cillant d’un air endormi. Enfin, c’était inutile de se demander ce qui allait se passer. Il y avait une raison à tout. Parfois, c’en était une bonne, d’autres fois, c’était difficile de voir en quoi c’était positif. Cela dit, ce n’était pas dans son caractère de se concentrer bien longtemps sur le négatif. — Bon, j’ai des choses à faire. Si elle revient, préviens-moi cette fois, tu veux bien ? demanda-t-elle avec exaspération. Ginger lui répondit en reposant sa tête et en fermant les yeux. Lacey gloussa. Après sa nuit blanche, elle aurait bien voulu faire de même. Cependant, elle devait s’occuper de dix-huit animaux de différentes espèces. Evan était d’une grande aide, mais à treize ans, il ne possédait pas encore toutes les compétences requises. Lacey sortit sans un bruit du box et ferma la porte derrière elle. Une chatière spéciale pour chien permettrait à Ginger d’aller et venir tout en assurant la sécurité des chiots. Un sourire, cette fois un peu plus naturel qu’avant, éclaira le visage de Lacey lorsqu’elle sortit de la grange et offrit son visage au soleil. L’espace d’un instant, elle aurait juré sentir les doigts de Sean sur sa joue. Pour la première fois en trois ans, le poids qui avait menacé de la noyer s’allégea un peu. Bientôt, Lacey, murmura la voix de Sean, qui veillait sur elle. Bientôt, un autre te refera sourire et rire, mon amour.
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