Chapitre 1

2261 Words
Chapitre 1 Frost sauta du niveau supérieur de la passerelle du spatioport, aussi silencieux qu’une ombre. Ses yeux suivirent la silhouette, petite mais mortellement dangereuse, du fugitif qu’il recherchait depuis une semaine. Son petit sourire en coin, à peine perceptible, fut le seul signe de sa satisfaction. Sa cible se montrait très prévisible, retournant à son ancien terrain de chasse à la première occasion. À moitié agenouillé, il se redressa et jeta un coup d’œil en direction des deux hommes qui se tenaient sur le pas de la porte plongée dans l’obscurité du bar miteux du port. Il ignora leurs regards nerveux tandis qu’ils s’enfonçaient dans les recoins sombres de l’établissement ; il n’avait pas de mandat pour qui que ce soit d’autre sur ce spatioport, il ne perdit donc pas son temps à vérifier leur statut. À peine eut-il fait un pas que le communicateur à sa taille vibra. Il lui jeta un regard agacé avant d’appuyer sur le bouton pour le réduire au silence. Presque immédiatement, il se remit à vibrer. Avec un juron silencieux, il l’éteignit. Quoi que veuille le quartier général, ça devrait attendre. Il était trop proche de sa cible pour s’arrêter maintenant. En outre, il était plus facile de s’occuper de la paperasse après l’avoir capturée, puisqu’il pouvait s’occuper de ces deux choses en même temps. Il poursuivit sa route dans la ruelle sombre et étroite, tournant à droite à l’angle. À trois portes de là, le fugitif qu’il poursuivait marqua une pause pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Frost recula dans le renfoncement de l’entrée d’une petite échoppe dédiée aux herbes médicinales. La porte derrière lui était verrouillée pour la nuit, mais il avait assez de place pour rester caché. Les barreaux métalliques froids que le propriétaire utilisait pour garantir la sécurité de sa boutique lui rentraient dans le dos. Il abaissa les paupières afin de masquer la lueur de ses yeux bleu clair. En tant que membre de l’espèce des Glacians, son corps était adapté aux environnements froids et sombres que l’on rencontrait souvent dans l’espace. Il pouvait réguler sa température corporelle pour affronter des températures extrêmes qui auraient gelé la plupart des autres espèces, et voyait très bien dans la pénombre. Ces caractéristiques n’étaient que deux des atouts qui faisaient des membres de son espèce d’excellents rangers de l’espace, d’autant plus que la plupart des personnes recherchées avaient tendance à graviter dans les sections les moins désirables des spatioports. De sa position, Frost écouta le fugitif nommé Gasper marteler la porte de l’échoppe plongée dans le noir. D’après les jurons que le criminel marmonnait entre ses dents, le propriétaire des lieux n’était visiblement pas pressé de lui ouvrir. Frost pencha la tête alors que la porte de sécurité s’entrouvrait en grinçant et que le bruit de métal contre du métal résonnait. — Qu’est-ce que tu veux, Gasper ? murmura une voix féminine dans un grondement sourd. Je croyais que tu purgeais une peine sur Jallus III. — C’était le cas, déclara franchement le criminel. Laisse-moi entrer, Newmar. Je fais des affaires avec ton mari. — Plus maintenant. Hassur est mort. — Alors, je fais des affaires avec toi, répliqua Gasper, jetant un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule. J’ai besoin d’armes. — Je ne vends pas d’armes, répondit sèchement Newmar. C’est ça qui a tué Hassur. Je lui ai dit que ça finirait mal s’il n’arrêtait pas, mais il n’en a fait qu’à sa tête. Je ne fais plus que dans le textile, maintenant. — Tu dois bien avoir quelque chose ? J’ai aussi besoin d’une nouvelle identité. Tu sais comment faire. Tu peux au moins me donner ça, dit le fugitif d’une voix éraillée. — Fiche le camp, Gasper. Je ne fais plus ça non plus. J’ai un enfant à qui je dois penser, surtout maintenant que Hassur n’est plus là. — J’ai besoin d’une arme et d’une nouvelle identité, et tu vas me les fournir, gronda Gasper. Les lèvres de Frost se pincèrent quand il entendit la femelle pousser un cri et le crissement du métal au moment où la porte de sécurité fut ouverte brutalement. Le bruit de chair heurtant de la chair et le hurlement d’un jeune enfant le tirèrent de sa cachette. Il s’élança dans la ruelle. Gasper avait déjà disparu à l’intérieur de la petite boutique. Frost vit la femelle allongée sur le sol, une main sur sa bouche et l’autre qui serrait celle d’une petite fille. — Pitié, ne nous fais pas de mal, gémit Newmar. Je t’en prie, elle est tout ce qui me reste. — Si tu veux la garder, trouve-moi les armes dont j’ai besoin et obtiens-moi un nouveau pass de sécurité, menaça Gasper d’une voix basse et dangereuse. Je sais que Hassur a dû en planquer quelque part. — Ne vous embêtez pas, intervint calmement Frost en entrant dans la pièce. Il n’en aura pas besoin. Il ignora le juron que laissa échapper le criminel. Sa réaction ne le surprit pas ; il avait bien étudié l’espèce reptilienne. Il leva son bras et dévia la longue langue rugueuse et fourchue qui jaillit vers lui. Celle-ci s’enroula autour de son poignet au lieu de lui arracher les yeux. Avant que Gasper ne puisse balancer sa longue queue dentelée vers lui, Frost posa ses doigts sur la langue et se concentra. Des éclats de glace jaillirent au bout de ses doigts et remontèrent le long de l’appendice rugueux. Il intensifia le froid jusqu’à ce que la peau rougeâtre prenne une couleur rose-blanchâtre clair. Les yeux du fugitif s’écarquillèrent d’horreur et de douleur avant que ses jambes ne se dérobent sous lui en même temps que Frost ferma sa main sur sa langue et la tordit. Le bruit écœurant de glace se brisant arracha un hurlement terrifié et étouffé au mâle. — D’après mes recherches, cette partie de ton corps ne repoussera pas, commenta Frost en débarrassant son poignet des restes de la langue de Gasper. Tu es par la présente placé en détention provisoire par la Coalition en raison de la violation de l’acte stellaire 4-52, région… Frost ne put finir sa phrase. Tout en s’étranglant sur ce qui lui restait de langue, Gasper attrapa le couteau coincé dans la ceinture de son pantalon dans l’espoir de le prendre par surprise, et le lança. Ses espoirs moururent en même temps que lui. Voyant le mouvement du fugitif, Frost tendit la main droite et envoya des pointes de glace, qui transpercèrent le cou et la poitrine de Gasper, tout en faisant tournoyer l’épée de glace qu’il tenait de la main gauche pour trancher la lame qui filait vers lui. — … en cas de résistance, tu seras condamné à mort, finit-il, ignorant les hurlements de la femme et de la fillette. Frost soupira en contemplant avec mécontentement le mâle mort. Il détestait quand ils refusaient d’obtempérer, ce qui arrivait presque tout le temps. Ça impliquait toujours plus de paperasse pour lui. Prenant le communicateur à sa taille, il l’activa du pouce et ignora la façon dont le visage de l’officier des communications, qui avait l’air de s’ennuyer ferme, s’éclaira lorsqu’elle le reconnut. Sans perdre un instant, il entra le code pour envoyer une équipe d’intervention. — Salut, Frost, Passion a essayé de te contacter. Elle n’est pas très contente, lui dit Scarlet tandis que la demande était enregistrée. — Rien de nouveau, en somme. J’ai besoin d’une équipe de nettoyage, aboya-t-il. — Comme tu dis, rien de nouveau, plaisanta Scarlet. J’en enverrai une dès que tu auras communiqué ta position. Je te transfère à Passion. Elle a demandé à être prévenue à l’instant où tu prendrais contact. — Non, ne…, commença Frost avant de ravaler un soupir frustré au moment où Passion, le commandant des rangers de l’espace apparut. — Je pourrais vous dire la même chose, lança-t-elle sèchement. Vous savez que vous n’êtes pas autorisé à éteindre votre communicateur. — J’étais occupé, rétorqua Frost. Ce maudit machin s’est éteint alors que j’étais sur le point d’appréhender Gasper. — Appréhender mon c*l. Vous voulez dire tuer ce s****d, répliqua Passion. J’ai une mission urgente pour vous. Frost jeta un coup d’œil vers la porte par laquelle Newmar avait disparu avec sa fille avant de baisser les yeux vers le cadavre de Gasper. C’était censé être sa dernière mission avant de retourner sur son monde. Il avait économisé plus qu’assez de crédits pour ne plus avoir à travailler un jour de plus de sa vie s’il n’en avait pas envie. Il voulait travailler, mais cette fois, ce serait pour faire quelque chose qui lui plaisait. Sa planète natale lui manquait et il voulait rejoindre son frère aîné sur Glacier. Il était temps pour lui de retourner auprès de Rime pour travailler sur l’énorme groupe d’hôtels et de casinos qu’ils avaient bâti au cours des quinze dernières années. — C’était ma dernière mission, grogna Frost. — Non, celle que je vais vous donner maintenant sera la dernière, déclara Passion. Il y a eu une évasion à Maxprime. — Max… Frost serra le communicateur dans sa main. — Qui ? — Taar, répondit calmement Passion. C’est top secret, Frost. C’est vous qui l’avez attrapé. J’ai perdu cinq bons rangers de l’espace avant ça. Vous savez comment il pense. — Personne ne sait comment pense ce s****d, grommela-t-il. Comment il s’est échappé ? — Il a tué huit gardes pendant son transfert pour être exécuté, expliqua froidement Passion, regardant l’écran qui affichait les détails à côté d’elle. Je vous envoie ce que l’on a. Il y a encore une chose, Frost. — Comme toujours, marmonna-t-il dans sa barbe avant de darder un regard noir sur le visage à la peau rouge sombre de Passion. Alors, je vais devoir deviner où vous allez me dire ce que c’est ? Sa supérieure se détourna de l’écran avant de reporter son attention dessus. Se penchant en avant, elle plongea son regard intense dans le sien. Les poils de sa nuque se hérissèrent. Les seules fois où Passion agissait de la sorte, c’était quand quelque chose n’allait pas… vraiment, vraiment pas. — Le dispositif de localisation du vaisseau qu’il a volé montre qu’il se dirige vers un système stellaire non développé. Seule une planète de cette région abrite la vie. Les rapports de la base de données indiquent que l’espèce qui y vit est très primitive. Frost grimaça de dégoût ; il détestait les planètes primitives. Soit ses habitants tentaient de faire de lui un dieu, soit de le tuer. Aucune de ces options ne le réjouissait. — Primitive à quel point ? Est-ce qu’ils maîtrisent le voyage spatial ? demanda-t-il franchement. Passion secoua la tête. — Non, nous n’avons pas d’information à ce sujet et il n’y a aucun cas enregistré d’interaction de l’espèce avec des marchands. Les derniers rapports que nous avons indiquent qu’ils avaient les concepts de construction rudimentaires avec des outils primitifs et qu’ils croient qu’ils sont la seule forme de vie qui existe. — Super ! Vous ne pouvez pas simplement engager l’autodestruction du véhicule qu’il a volé ? Le visage de Passion se tordit de dégoût. — Taar a volé le vaisseau privé du directeur. Le directeur a désactivé le système d’autodestruction à bord. Il ne voulait pas courir le risque qu’un employé mécontent ou qu’un des détenus arrive à accéder au code et le fasse exploser. — Au lieu de ça, il a enfreint une procédure directe et a mis en danger une planète primitive avec des défenses limitées contre quelqu’un comme Taar, répondit-il sèchement. — Je le sais et vous le savez, Frost. C’est pour ça que vous devez le pourchasser. Taar a fait des centaines de victimes avant que vous le capturiez, dont cinq de mes meilleurs rangers de l’espace, dit doucement Passion. L’un des vaisseaux les plus récents est en route pour vous récupérer. Je m’occuperai de la paperasse pour Gasper. — Il arrive quand ? demanda Frost avec exaspération. — Dans l’heure. Et Frost, tuez ce s****d, cette fois. C’est un ordre direct de la Coalition. Ils ne veulent pas courir le risque qu’il s’échappe une nouvelle fois. — Ils auraient dû y penser la première fois qu’on m’a donné l’ordre de le pourchasser, répondit-il avec humeur. J’irai, mais c’en est fini, Passion. Ma carrière de ranger de l’espace est terminée. — Je comprends, accepta Passion avec un soupir las. Soyez prudent et gardez secrète toute information concernant la vie extraterrestre. Les Directeurs vous ont donné la permission d’effacer la mémoire de tout membre de l’espèce primitive que vous rencontrerez. — Et si je ne peux pas ? demanda-t-il cyniquement. Ils veulent que je fasse quoi, dans ce cas-là ? — Faites ce que vous pensez être le mieux, Frost, ordonna Passion. S’il devient nécessaire de les éliminer aussi, alors faites-le. Terminé. Frost laissa échapper un grognement sourd. Il avait juré qu’il protégerait la Coalition et ferait régner la justice. Visiblement, ces deux notions ne s’étendaient pas aux espèces inférieures. Encore une bonne raison de raccrocher. Il en avait marre de faire le sale boulot de la Coalition, ou plutôt, des Directeurs élus. Il se retourna au moment où un petit coup fut frappé à la porte de l’échoppe. Plusieurs membres de l’EI, l’équipe d’intervention, lui adressèrent un signe de tête en entrant. Il expliqua rapidement qu’ils ne devaient pas déranger les deux femelles à l’arrière. Après s’être assuré que ses ordres seraient suivis à la lettre, il retourna dans la ruelle sombre. Cette fois, il partit à gauche, se dirigeant vers les niveaux supérieurs, où le vaisseau arriverait.
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