I-1

3067 Words
ICe que je désirais depuis si longtemps, cher Marquis, s’est offert de lui-même, et je n’ai pas fait les avances du hasard. Enfin j’ai possédé la belle Rozette. Voici son portrait : jugez si je sais attraper la ressemblance. Elle a de l’esprit, du jugement, de l’imagination, et se plaît dans l’exercice de ses talents. Faisant tout avec aisance, elle fait faire aux autres tout ce qu’elle veut. Extérieur éveillé, démarche légère, bouche petite, grands yeux, belles dents, grâce sur tout le visage, voilà celle qui a fait mon bonheur : prude par accès, tendre par caractère, dans un moment son caprice vous désespère ; dans un autre sa passion vous enivre des idées les plus délicieuses ; Rozette entend au mieux le coup-d’œil ; elle part à votre appel, et vous rend aussitôt votre déclaration. Elle folâtre avec le plaisir, mais elle l’éloigne le plus qu’elle peut de sa véritable destination : goût singulier, d’aimer mieux caresser un beau fruit, que d’en exprimer la liqueur ! Trois jours s’étaient passés depuis votre relation de la prise de Menin, lorsque plein de vous, et inquiet de votre santé, cher Marquis, je reçus de vos nouvelles. Je fus au Palais-Royal les communiquer à nos amis, et ensuite me promenai dans une allée un peu écartée. Je vis arriver le Président de Mondorville. Il était pimpant à son ordinaire, la tête élevée, l’air content ; il s’applaudissait par distraction, et se trouvait charmant par habitude. Il badinait avec une boîte d’or d’un nouveau goût, et y prenait quelques légères couches de tabac, dont, avec certaines minauderies, il se barbouillait le visage. Je suis à vous, me dit-il en passant. Je courus au méridien. Il y fut ; je fis en l’attendant quelques tours seul, et considérai avec un plaisir critique un groupe original de Nouvellistes, qui politiquaient profondément sur des choses qui ne doivent jamais arriver. Je m’approchai d’un vieux Militaire qui parlait fort haut et fort bien, chose assez rare à son espèce : il fit noblement le panégyrique de notre illustre Monarque ; et peut-être, pour la première fois de sa vie, il ne trouva point de contradicteur. Le Président revint du méridien, en grondant de ce que sa montre retardait de quelques minutes : il promit que jamais Julien le Roi ne travaillerait pour lui, et qu’il ferait venir exprès de Londres une douzaine de répétitions. Tel qui ne veut pas que sa pendule se dérange d’une seconde, est perpétuellement en contradiction avec lui-même. Mon cher Conseiller, me dit-il, une prise d’Espagnol ; c’est ce Marchand Arménien qui est là-bas sous ces arbres qui me l’a vendue. C’est un nouveau converti : on le dit bon Chrétien ; mais ma foi, il est Arabe avec les curieux. Vous voilà beau comme l’amour : on vous prendrait pour lui, si vous étiez aussi volage ; mais on sait que la jeune Baronne vous tient dans ses chaînes. Votre père est à la campagne. Divertissons-nous à la ville. Quel désert que Paris ! Il n’y a pas dix femmes ; ainsi celles qui veulent se faire examiner ont des yeux à choisir. Je vous fais dîner avec trois jolies filles ; nous serons cinq, le plaisir fera le sixième ; il sera de la partie, puisque vous en êtes. J’ai renvoyé mon équipage, et Laverdure doit m’amener une remise. Argentine est du dîner ; c’est une fille adorable, au libertinage près, elle a les meilleures inclinations du monde. Ne reconnaissez-vous pas bien-là, cher Marquis, le Président ? Il a du génie, de l’honneur ; mais il tient furieusement au plaisir. La nuit au bal, à sept heures du matin au Palais ; il n’est ni pédant en parties, ni dissipé à la Chambre. Charmant à une toilette, intègre sur les fleurs de lys, sa main joue avec les roses de Vénus, et tient toujours en équilibre la balance de la Justice. Nous sortîmes insensiblement du jardin, Laverdure n’était pas encore arrivé. Depuis quelque temps nous entendions les propos de deux jeunes gens qui se confessaient mutuellement leurs bonnes fortunes, mais qui, à leur air, m’avaient bien celui de mentir au tribunal. Nous apercevions à leurs fenêtres plusieurs Vestales dont la réputation est excellente dans le quartier, et embaume tout le voisinage ; elles étaient parées comme pour des mystères, nous jugeâmes qu’elles ne pouvaient allumer que des feux d’artifice. Nous considérions d’un côté de la place le café de la Régence, si brillant autrefois ; nous plaignions la maîtresse de ce lieu, qui a été forcée de fuir un époux qui ne sera jamais choisi pour servir le nectar à la table des Dieux. De l’autre côté, nous apercevions le café des Beaux-Arts, café nouveau, orné très galamment, bien fréquenté et qui, s’il continue, ne sera sitôt le café des Arts défendus. La maîtresse de ce cabinet était sur sa porte en négligé. Souvent il y a plus d’art dans cette simplicité, que dans les ornements précieux. Elle est bien faite, a la peau fort blanche, parle avec aisance, et l’esprit accompagne ses réparties. À sa façon propre de se mettre, on imagine qu’elle doit être sensuelle dans le particulier. Sa jambe est fine et déliée, à ce qui paraît. Je connais un autre sens que la vue, qui aurait plus de satisfaction à en décider. Cependant arriva Laverdure ; il descendit de carrosse : nous y montâmes. Tout est prêt, dit-il ; Mlle Laurette et Mlle Argentine vous attendent ; mais Mlle Rozette est indisposée, et vous fait ses excuses. Cette nouvelle que Rozette devait être de la partie, et n’en serait pas, me Tendit chagrin. J’ignorais la surprise qu’elle nous ménageait. On s’afflige souvent de ce qui nous doit être le plus agréable dans la suite. Le Président ne déparla pas jusqu’au logis de nos demoiselles. Il est permis de ne pas garder le silence, quand on s’exprime avec sa variété. Il n’y a pas un petit-maître ou une petite-maîtresse qu’il ne connaisse par nom, surnom, intrigues, qualités, mœurs et aventures : il sait la chronique médisante de tout Paris. Voici, me disait-il, ce grand Flamand au teint pâle, qui joue si gros jeu. Il est au-dessus et au-dessous de nous de toute sa tête. Voyez-vous le sage Damis au regard ingénieux et spirituel ? On croirait qu’il pense ; il donne bonne idée de lui lorsqu’il ne dit mot ; sa physionomie est une menteuse, et cet homme-là n’est bon qu’à être son portrait. Vous voyez le petit Duc dans son équipage ; il joue le galant et le passionné auprès des Dames ; mais on sait son goût, et l’on est persuadé qu’il triche toujours en de telles parties. N’avez-vous pas aperçu la Comtesse de Dorigny ? elle est toujours dans son vis-à-vis, seule ; elle court de maison en maison pour annoncer une pièce que l’on donnera ce soir aux Italiens pour la première fois : elle dit à tout le monde qu’elle en est très contente, et ne l’a pas lue : c’est le secrétaire de son frère qui en est l’auteur ; elle en jugera en faisant des nœuds. Voici le jeune Poliphonte. Il court à toute bride dans son phaéton bleu-céleste ; fils d’un riche marchand de vin, il se croit un Adonis : il est bien le favori de Bacchus, mais il ne le sera jamais de l’amour. Je n’ose, continuait-il, regarder la porte d’Hébert ; il me vend mille choses malgré moi ; il en ruine bien d’autres en bagatelles. Il fait en France ce que les François font en Amérique, il donne des colifichets pour des lingots d’or. Nous arrivâmes à la porte de nos Demoiselles ; après avoir attendu assez longtemps, Laverdure descendit avec elles. Pensez-vous comme moi, Marquis ? Je n’aime pas qu’un domestique soit si fort dans la confidence de mes secrets ou de mes plaisirs. En gardant un bijou, on le regarde ; en le regardant de trop près, on en est tenté, et quelquefois le gardien devient larron ; d’ailleurs une fille qui s*****d à vous par intérêt, peut se donner par goût à votre confident. Laurette et Argentine montèrent avec nous ; les stores tirés, nous partons. Le Président de prendre les mains à nos compagnes, elles de lui recommander d’être sage ; lui de les embrasser, elles de se défendre ou d’en faire la cérémonie. Bientôt j’eus fait connaissance à l’exemple de mon ami : nous badinons ; le temps s’écoule, nous nous trouvâmes à la Glacière. Le dîner était préparé. Donnez vos ordres à un Domestique entendu ; qu’il soit le maître de votre bourse, il en fera les honneurs par-delà vos vœux ; plus vous serez content, plus il y aura trouvé son avantage. Qui est-ce qui n’est pas industrieux sur le plaisir, lorsque les frais en sont faits par un autre ? La maison où nous étions est louée par le Président ; on y trouve toutes les commodités désirables. L’extérieur n’en est pas brillant, mais l’intérieur vous en dédommage. C’est au dehors la forge de Vulcain, mais le dedans est le palais de Vénus. Ces petites maisons-là sont d’une idée charmante ; le mystère en est l’inventeur, le goût les construit, la commodité les dispose, et l’élégance en meuble les cabinets. On ne rencontre là que le simple nécessaire, mais c’est le nécessaire cent fois plus délicieux que tous les superflus. On ne trouve jamais là de parents au degré prohibé ; ainsi jamais de trouble. La sagesse est consignée à la porte, et le secret qui fait sentinelle ne laisse entrer que le plaisir et l’aimable libertinage. Le dîner servi, nous en profitâmes, passez-m’en la description. Imaginez ce que peut offrir la volupté, quand la finesse vous sert à petits plats. Je me plaçai auprès de Laurette, et le Président choisit Argentine. Laverdure nous fit attendre après la bisque ; cet intervalle fut rempli par une dispute qui s’éleva sur le savant et ennuyeux Opéra de Dardanus. Déjà nous étions animés, lorsqu’on nous présenta deux entrées auxquelles Mariolo eût donné un nom très appétissant. Ce service calma notre ardeur, et nous remit dans notre assiette et sur notre assiette. Vous ne connaissez pas beaucoup nos deux convives : en voici une esquisse. Laurette est encore jeune, mais moins qu’elle ne le dit, et moins aussi qu’elle ne le pense ; la bonne foi des femmes est admirable sur cet article. Elle est une de ces grandes filles, bien découplées, dont la taille et la jambe dénotent des dispositions excellentes pour plus d’une danse. Elle est brune, très sémillante, et se pique de faire naître des désirs. Argentine est une grosse maman ragoûtante, qui a le nez un peu retroussé, la bouche jolie, la main potelée, et une gorge en faveur de laquelle la nature n’a pas été ménagère. Le plaisir est sa divinité chérie ; aussi lui sacrifie-t-elle le plus souvent qu’il lui est possible. Leur conversation se ressemble assez ; elle est brillante, lorsqu’elle roule sur la bagatelle : ces filles-là possèdent bien leur matière. Le dîner se passa bien tranquillement : j’en fus surpris, connaissant l’humeur impétueuse du Président. J’ai toujours soupçonné que pendant un moment d’absence avec Argentine, sous prétexte de rendre visite à un cabinet nouvellement meublé de Perse, il s’était précautionné contre les effets du vin de Champagne. Au reste, je le plains, s’il a été si longtemps sage sans préparation. Pour moi, je m’aperçus bien que l’on n’est pas réservé quand on le veut. Est-ce un si grand mal de n’avoir pas un empire absolu sur la nature ? On dit qu’il y a de la gloire à prendre sur elle ; je trouve qu’il y a plus de plaisir à lui laisser prendre sur nous. Déjà les propos enjoués avaient animé notre repas ; quelques couplets de chansons assez libres avaient fait naître des désirs agréables ; plusieurs baisers avaient en conséquence effleuré les charmes de nos convives, qui ne résistaient qu’autant qu’il en fallait pour se donner une réputation de s’être défendue. Nous ne songions à personne, lorsque Laverdure nous annonça que l’on pensait très fort à nous, et nous remit une lettre de la part de Rozette. Le Président la décacheta avec empressement ; elle était badine, et nous félicitait sur l’aimable désordre où elle supposait que nous devions être, et nous avertissait qu’avant une demi-heure elle partagerait nos amusements. On but à sa santé ; je le fis d’une façon trop marquée. Le cœur se trahit aisément ; on le prend sur le fait à chaque rencontre. Cette façon découvrit à Argentine et à Laurette que je lui donnais la préférence. Toute femme est jalouse ; les filles du genre de ces Demoiselles ne le sont pas précisément et en forme, mais elles ne sont point insensibles ; pourquoi, ayant des agréments, l’orgueil ne serait-il pas aussi leur apanage ? Sans se dire mot, elles se le donnèrent pour empêcher que Rozette, à son arrivée, ne profitât de ce qu’elles avaient mérité comme premières occupantes. Ce système ne portait pas à faux. En punissant l’amour que j’avais pour Rozette, elles avaient deux satisfactions ; la première de se procurer de l’amusement, la seconde d’en priver une rivale ; ce dernier motif suffisait. Les femmes font quelquefois le mal pour le mal ; mais leur malice est bien industrieuse, lorsqu’elle doit être récompensée par le plaisir. On remit le dessert à l’avènement de Rozette. J’ai oublié de vous dire, cher Marquis, que c’était elle-même qui avait apporté la lettre, et que de concert avec Laverdure, elle s’était cachée dans un appartement voisin, d’où elle était témoin de ce qui se passait dans le nôtre. Que n’en fus-je informé ! j’aurais été mettre le secret de sa retraite à contribution : bien différents de vous autres, Militaires, nous n’en levons que dans les pays qui nous sont les plus chers. Quelques raisons ayant obligé Argentine à sortir, le Président lui donna la main ; nous restâmes seuls Laurette et moi. Argentine était en robe détroussée de moire citron, avec une coiffure qui demandait à être chiffonnée. Laurette était parée avec du rouge et un ajustement des plus lestes. La simplicité embellissait Argentine, et Laurette trouvait mille avantages dans sa parure. Rien ne peut enlaidir une jolie femme ; et on peut se flatter d’être passable, quand on n’est point changée par l’affectation de la parure. Le Président tardait un peu dehors. Nous en badinâmes et rîmes entre nous, de ce qui probablement ne les désespérait pas alors. Suivant le caractère des absents, nous jugions que l’emploi de leur temps était leur plus sérieuse affaire, et que s’ils avaient quelque compte à rendre, ce ne serait pas d’y avoir laissé un grand vide à remplir. Ceux qui badinent les autres sont toujours punis. En critiquant son prochain, on agit souvent de même ; la morale est très faible vis-à-vis le plaisir. Ôtez cette palatine, dis-je à Laurette, elle doit vous gêner ? cette garniture de robe est bien gaie. Il faut avouer que la Duchap a un grand goût pour ces riens-là, si elle a le talent de vous les vendre au poids de l’or. Que vous êtes charmante ! continuai-je ; le vin de Chably vous a mis un feu divin dans les yeux. Votre gorge est toute couverte de poudre, que je l’ôte : j’y portai le doigt légèrement ; j’aurais voulu être alors un autre Jonathas. Que je voie votre bague, vous avez les doigts bien pris ; je saisis sa main, je la baisai ; elle prit la mienne, elle la serra ; une main qui serre veut quelque chose ; je lui donnai un b****r de tout mon cœur, et redoublai à plusieurs reprises en faveur d’une belle bouche qui s’offrait toujours à mon passage. Mon ardeur augmentait, son feu se communiquait au mien, déjà nos jeux fixés les uns sur les autres, se demandaient ce qu’ils ne peuvent qu’indiquer : nous nous approchâmes d’un canapé qui était auprès de nous, et vers lequel le parquet ciré conduisit peut-être malicieusement nos sièges. Ce fut alors que, sans rien détailler, je m’occupais essentiellement de mon devoir. Je m’oubliai comme elle, nous nous égarâmes ensemble ; ce que je sais, c’est que nous tombâmes dans une espèce de précipice où elle aidait à m’ensevelir, et dans lequel je serais encore, si, au contraire de ce qui arrive ordinairement, il ne fallait pas être extrêmement fort pour y demeurer longtemps. Nous sortîmes de notre léthargie ; et en rougissant de ce que nous sentions, nous désirions d’en sentir encore davantage. C’est bien-là le temps d’avoir de la pudeur ; vous me la passez, cher Marquis ; il n’est pas permis à un homme de penser aussi généreusement qu’un Colonel de Hussards. Nous rîmes, un instant après, d’avoir été si fous, mais nous en fûmes si peu fâchés, que par un b****r mutuel, nous convînmes de recommencer au premier moment à perdre la raison. Argentine rentra en bon ordre, elle était en habit de combat, et se mit à éclater de rire en regardant la robe de Laurette, qui avait l’air d’avoir été de quelque partie. La physionomie n’est pas toujours trompeuse. Elle plaisanta sur ses yeux, sur les miens, et se tournant vers le canapé, et l’examinant avec soin, elle assura que si je faisais une carte des lieux où j’aurais combattu, celui-ci serait marqué en rouge. – Pourquoi, disait-elle d’un ton ironique, n’a-t-on point de faiblesse, sans que les autres s’en aperçoivent ? La faute se peint dans les yeux ; voyez les miens, ne sont-ils pas le miroir de l’innocence ? Apparemment que pour cette fois Argentine nous avait fait faire un jugement téméraire, ou plutôt qu’elle n’était troublée que lorsqu’elle avait combattu dans les règles. Défaites-vous de ces ajustements superflus, dit-elle à Laurette, restez en corset, comme je m’y suis mise ; puisque nous passons ici la journée, il ne faut point de cérémonies ; vos grâces en seront plus aimables en négligé. Montez en haut, et arrangez proprement tout sur le lit ; mais de grâce ne réveillez pas le Président, qui repose sur la duchesse. Laurette suivit le conseil, comme il était bon ; elle s’aperçut qu’on ne le lui avait donné que par quelque intérêt. Quelle est la femme qui soit bien aise que sa rivale soit plus brillante et aide à la rendre telle ? Aussi, en nous quittant, retourna-t-elle malicieusement la tête à plusieurs reprises. Les maîtres dans un art en savent tous les secrets. C’est à moi à qui vous avez à faire maintenant, beau Conseiller, dit alors Argentine, sans autre préambule ; elle avait déjà fermé la porte et fait un petit saut de caractère. Je vous aime ; le temps est court, le Président n’a fait qu’effleurer la matière ; il a commencé le combat, il faut que vous vainquiez pour lui. Ce canapé n’a-t-il pas été témoin de votre courage ? Il est poudreux, mais je crains peu la poussière, elle est honorable lorsqu’elle est prise au champ de bataille. Elle dit, elle m’embrasse ; je lui rends avec vivacité ; elle m’entraîne où j’allais assurément très volontiers. Rien n’est tel qu’une femme qui a du tempérament ; et qui a été frustrée dans son attente. Ce n’est plus goût, c’est passion ; ce n’est plus transport, c’est fureur ; je ne crois pas qu’il y ait quelque chose au monde de plus vif que la possession d’un objet de ce genre. Bref, j’attaquai une place qui s’était offerte à moi ; combattant avec courage, et vainqueur avec gloire, j’étendis mes conquêtes dans un climat dont on m’avait facilité les entrées. Argentine et moi sortîmes de notre état très satisfaits ; et si elle ne fut pas surprise de ma valeur, elle eut lieu de s’en glorifier. Que Rozette vienne présentement, disait-elle, je lui souhaite beaucoup de satisfaction ; nous serons amies ensemble, et je vous prie même de lui témoigner combien je l’aime. Jugez, cher Marquis, si Argentine m’avait laissé les moyens de lui témoigner quelque chose. Cependant arriva Laurette. Ce canapé est contagieux, on ne peut en approcher sans s’en ressentir, dit-elle ; voyons aussi vos yeux, Argentine, et les vôtres, Conseiller ; cela suffit : il faut avouer que ma bonne amie est bien tranquille ; elle ressemble au grand Condé, qui n’était jamais d’un plus grand sang-froid qu’au milieu d’une bataille. Le Président repose, vidons cette bouteille de Frontignan pendant son sommeil. Vous êtes pensif, cher Conseiller, vous avez un air respectueux, il ne faut marquer de respect aux dames que lorsque vous ne pouvez pas leur en manquer.
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