Une main me tapote l'épaule et je sursaute en découvrant le visage d'Elsa penchée au-dessus de moi.
Elsa ? Que fait-elle ici ? Je pensais que le démon lui avait donné congé.
Je me relève doucement en prenant le temps de m'étirer et frotte mes pupilles fatiguées.
La nuit a été dure.
Les rayons du soleil éblouissent mes yeux clairs et je suis obligée de les cacher avec ma main pour voir Elsa.
Son regard détaille ma tenue, la même que j'avais hier, et s'attarde sur le canapé sur lequel je suis allongée.
Les souvenirs de la nuit dernière me reviennent doucement en tête et le flashback me frappe quand j'aperçois le verre d'eau vide sur la petite table du salon.
Je me rappelle vaguement m'être endormie devant le troisième film. La douceur de la couverture serrée contre moi, le bruit de la télé en fond sonore. Je me souviens de l'apaisement que j'avais ressentie en me laissant dormir sans craintes.
Mais le passé nous rattrape toujours.
Et à 3h52, les mauvais souvenirs ont refait surface comme dans un cauchemar.
C'était horrible. Je pouvais encore sentir son odeur qui empestait le tabac, ses gouttes de transpiration qui tombaient de ses cheveux.
C'était comme si j'y étais, que je revivais la scène éternellement. Je sentais ses mains sales parcourir lentement mon visage, descendre le long de mes courbes, déchirer ma culotte. Les larmes coulaient abondamment le long de mes joues et je suis presque certaine que mes pleurs étaient vraiment réels.
Mes sens étaient en alerte, la douleur me paralysait.
J'étais consciente que tout ça n'était qu'un cauchemar, mais je ne pouvais pas me réveiller. Je luttais pour ouvrir les yeux mais Sohan me retenait prisonnière de ce mauvais rêve.
Le silence dans la pièce me fait revivre toute la scène en détaillée et je sens que les larmes menacent de couler. Il faut que je pense à autre chose, tout ça est derrière moi, il faut que j'avance.
Me voyant si déboussolée, Elsa s'assoit près de moi et me demande la permission de me serrer dans ses bras.
Ce petit détail, bien qu'insignifiant, me réchauffe le cœur et me redonne de la force pour affronter cette journée.
Je sens qu'Elsa va devenir un peu une maman pour moi. En détaillant son visage et en apercevant quelques cheveux blancs, je dirais qu'elle doit environ avoir 50 ans. Mais bon, ce n'est qu'un chiffre, je n'ai jamais été très doué pour ce genre de choses.
Après plusieurs secondes serrées l'une contre l'autre, elle se détache maladroitement, ne me lâchant pas du regard.
- Bonjour mademoiselle, vous avez bien dormi ?
J'hoche la tête positivement pour ne pas l'inquiéter, même si la réponse n'est pas loin d'être le contraire.
Elle se lève et part ranger le verre vide dans la cuisine. Le moyen qu'a encore utilisé le démon pour me sortir de mon sommeil.
Il compte me réveiller constamment avec les pires manières inimaginables ?
Pourquoi est-il obligé de me sortir de ce traumatisme de cette façon ?
Apparemment il ne supportait pas ma réaction au cauchemar de cette nuit.
Et pourtant, il n'y jouait pas le rôle principal.
Elsa revient quelques instants plus tard, accompagné d'un plateau repas.
Les yeux en forme de cœur, je saute du canapé, un sourire aux lèvres et m'installe sur la petite table basse juste devant.
L'odeur des pancakes et du nutella débordant de la tartine réveille mon ventre endormi et un nouveau gargouillement fait rire Elsa.
Il faut dire que cela fait très longtemps que je n'ai pas mangé de pancakes, qui sont, selon moi, la meilleure découverte du monde.
Elsa rigole devant ma soudaine excitation et pose le plateau sur la petite table avant de repartir vers la cuisine.
Il est hors de question que je déguste ce festin royal toute seule.
-Elsa je vous en prie, accompagnez-moi, lui dis-je en lui montrant la place vide en face de moi et le plateau repas beaucoup trop volumineux pour une seule personne.
Elle s'arrête à mi-chemin et me lance un regard désolé.
-Je ne peux pas mademoiselle, s'excuse-t-elle.
Je la dévisage d'abord sévèrement puis l'incite à me rejoindre, sortant mon regard le plus mignon possible.
Après des secondes de lutte acharnée, elle cède enfin et prend place en face de moi.
-Merci Elsa, lui dis-je avec un sourire. Je n'aurais jamais pu manger tout ça seule.
-Il faut que vous mangiez ma chérie, vous êtes toute maigrichonne.
Elle me tartine une nouvelle tranche de brioche et m'oblige presque à la prendre. Ses yeux grands ouverts rivés sur moi, je rigole en attrapant la tartine que je ne me fais pas prier pour avaler.
-Comment va votre blessure, me demande-t-elle en me servant un verre de jus d'orange.
-Oh tutoyez moi s'il vous plait, j'ai l'impression d'avoir 50 ans, je plaisante.
-Seulement si vou-... tu fais de même, se corrige-t-elle.
J'accepte d'un hochement de tête et réponds à sa question :
-Ça va de mieux en mieux, la douleur s'estompe peu à peu et tout à l'air de bien cicatriser, merci.
-Tant mieux.
-Je pensais que le démon t'avait donné congé pour plusieurs jours, je m'exclame me rappelant la soirée d'hier.
Ses lèvres s'étirent timidement à l'entente du surnom que je lui ai donné puis elle répond :
-Non, pas du tout, hier était mon jour de congé. Chaque jeudi, Monsieur Cole me laisse rentrer auprès de ma famille.
J'acquiesce en me demandant pourquoi il m'a menti. Pourquoi inventer toute une histoire alors que c'était juste son jour de congé.
Cet homme est vraiment difficile à cerner.
Je ne m'attarde pas sur le spécimen et reporte plutôt mon attention sur Elsa.
Et, avec un sourire et toute enthousiaste à l'idée d'en savoir plus sur elle, je demande curieusement :
- Tu es mariée, tu as des enfants ?
- Cela va bientôt faire 30 ans que je suis mariée à l'homme le plus merveilleux du monde et qui est aussi le père de mes trois formidables enfants, dit-elle, des étoiles pleins les yeux.
Je la regarde me raconter la source de son bonheur quotidien, un sourire aux lèvres et une grande admiration pour cette femme.
- Je parie pour trois petits diables, dis-je.
Elle rigole et, en sortant son téléphone, me montre la photo de son écran de verrouillage.
- Je te présente Mathis, notre ainé, Jasper le cadet de la fratrie et là, me dit-elle en montrant son portrait craché, la bouche pleine de chocolat, c'est Lexa, notre petite dernière.
Sa façon de présenter ses enfants est émouvante et je sens tout son amour pour eux. Elle doit être une mère incroyable.
- Ils sont magnifiques, vous formez une très belle famille.
Elle me sourit tandis que je lutte pour ne pas que ma petite larmichette ne coule. Ce n'est pas ma faute, je suis sensible de toute cette mignonnerie !
Pourtant, je ne me suis jamais vraiment intéressée aux hommes, mais ça ne m'empêche pas, comme beaucoup de personnes, de vouloir être épanouie en amour et fonder une famille. Voir courir des mini moi partout dans la maison. Les regarder se chamailler pour avoir la télécommande.
Mon cœur se réchauffe en reregardant la photo et, sans comprendre pourquoi, je serre Elsa dans mes bras.
Elle semble surprise au début puis rigole et passe ses bras autour de moi en me chuchotant :
- Bah qu'est-ce qui t'arrive.
Je me détache de son étreinte et m'exclame :
- Rien, je trouve juste ça trop mignon. Je t'envie.
- Oh, ne t'en fais pas ma chérie, tu trouvera cet amour.
Je lève les yeux au ciel en comprenant que pour trouver cet amour, il faut trouver cet homme. Cet homme qui aura peur de me perdre et fera tout pour me garder. Cet homme qui m'aimera moi et mes défauts. Cet homme qui ne trahira ma confiance et ne brisera pas mon cœur.
Et quand je réfléchie à tout ça, je me dis que ça n'existe pas. Tous les hommes que j'ai connu m'ont trahi et fais du mal, alors comment encore y croire ?
- Un jour, tu rencontrera une personne, et sans même que tu le saches, elle deviendra ta plus belle histoire.
Je l'écoute attentivement, en imaginant ce jour là.
Une chose est sûre, il n'est pas encore arrivé.
Elle me tend mon verre et je lui souris, reconnaissante pour tout ce qu'elle m'apporte.
Elsa est tellement bienveillante que je me demande comment elle peut travailler avec le démon.
Comment une femme si gentille peut supporter un homme si détestable. Peut-être est-elle elle aussi forcée ?
Je continue d'engloutir mes pancakes et, ayant une soudaine envie d'en savoir plus, je demande :
-Comment tu peux travailler pour un homme comme lui, je lâche sans prendre de pincette.
Elle rigole devant ma franchise et s'éclaircit la voix :
-Tu sais, Monsieur Cole n'est pas aussi cruel qu'il le prétend, du moins, avant, il ne l'était pas.
Avant
Je ne dis rien et continue de l'écouter, même si j'ai un peu de mal à croire que le démon n'ai pas toujours été comme ça.
-Je l'ai connu alors qu'il mettait encore des couches, rigole-t-elle, c'était un vrai petit diable.
Je ne peux m'empêcher de la rejoindre et rigole en entendant ces petites anecdotes.
-Il s'est construit une apparence impassible et cache son cœur aux autres par un autre visage.
Pour le cacher, il le cache vraiment bien.
-Tu sais, il n'a pas eu une enfance facile, son père ...
-ELSA, s'écrit le démon d'en haut, interrompant notre discussion.
Il a des oreilles partout c'est hallucinant.
-Ramène-toi.
Sa voix dure me provoque un frisson et je regarde Elsa se lever pour le rejoindre. Elle n'a pas l'air le moins du monde choqué par ces paroles dictée plus comme un ordre qu'une demande.
Elle a sans doute l'habitude, pensais-je.
Me retrouvant de nouveau seule au salon, je profite d'un silence agréable pour terminer tranquillement mon petit déjeuner, même si la pensée d'en savoir plus sur le démon m'a coupé un peu l'appétit.
J'avais enfin l'opportunité d'en savoir plus sur lui et, comme par hasard, il interrompt notre conversation.
Je ne sais pas pourquoi mais il m'intrigue. J'ai envie d'en savoir plus sur lui. J'ai envie de connaitre son enfance, son parcours. Il est bien trop mystérieux pour ne cacher qu'un simple secret.
C'est une énigme, je ne le connais pas, je ne sais pas pourquoi il m'a enlevé, il est rempli de ténèbres, je le vois dans ses yeux, d'une noirceur incroyable.
Cela m'effraie autant que cela m'attire, je ne sais pas pourquoi, j'ai envie d'en savoir plus sur lui.
Et j'arriverais à le percer. Peu importe le temps que ça me prendra, j'y arriverais.
La maison est calme et quand mon assiette est enfin terminée, je me lève et fais la vaisselle pour éviter de surcharger la pauvre Elsa.
Je monte ensuite rapidement les escaliers jusqu'à ma chambre en évitant de croiser le démon. La seule pensée de tomber sur lui me met de mauvaise humeur. Et pour une fois, je sens que cette journée sera agréable. Alors autant tout mettre en œuvre pour ne pas la gâcher.
La luminosité de la pièce m'éblouit une nouvelle fois, je crois que je ne saurais jamais habituée à cette forte lumière. Et surtout, à ce changement de couleur avec le reste de la maison.
Je me demande pourquoi seule cette chambre est différente ?
J'ai beau avoir rapidement visité, je n'ai vu aucunes pièces avec cette couleur. Toutes sont, comme la pièce de vie, sombre avec peu de couleur.
J'attrape d'une main mon carnet, de l'autre un crayon et me dépêche de retourner au salon.
Je préfère écrire dans cette pièce, elle m'inspire et je me sens entourée. La lumière du jour reflétée par la baie vitrée me donne l'impression de flotter et le bruit de la cheminée m'aide à évacuer le stress. D'ailleurs, je ne comprends pas trop pourquoi la cheminée est allumée alors que nous sommes début juin. Le temps n'est pas si mauvais, malgré ce vent à décorner les bœufs.
L'hiver a été assez froid, je suppose que c'est pour ça.
Je m'installe sur le fauteuil à côté du canapé et laisse la télé choisir une playlist pour m'accompagner.
Je mets une chaîne aléatoire et tombe sur une chanson de James Arthur.
Je laisse son talent me bercer et commence à écrire tout ce qui me passe par la tête.
Écrire m'aide à extérioriser.
Quand mon crayon glisse sur le papier, toutes mes inquiétudes et mon stress s'évacuent. Je ne saurais expliquer comment mais, c'est devenu un échappatoire, un besoin vital.
J'ai commencé à écrire sous les conseils de ma psy, cela fait quelques années maintenant.
Au début, je trouvais ça idiot de raconter à un journal nos émotions et les pensées qui nous traversaient. Mais ma mère insistait tellement que je me suis forcée pour elle. Et puis, au fil du temps, ce qui était une corvée est devenu un plaisir. Je ne faisais plus ça pour personne mais seulement pour moi.
En fait, grâce à ce carnet, je lui parlait. C'était comme si à travers ces écrits, il était encore là...
Maintenant, je m'en vais sur ma 20ème année et l'écriture fait encore partie de ma vie.
Peut-être certaines personnes trouveront ça gamin ou bizarre, mais pour moi, ce carnet me permet d'affronter ce qui m'attend.
Lorsque je tourne les pages précédentes et que je découvre les pages écrites au début de mon séjour chez Sohan, je me rends compte comme j'étais perdue.
Je ne comprenais rien à ce qui m'arrivais.
Il y a des pages que je ne relirais jamais, elles me font trop mal.
Les mots puissants me rappellent trop de mauvais souvenirs. Mais cela me montre également que j'étais au plus bas et que maintenant, je me suis relevée.
Après plus d'une heure à écrire dans mon journal, la porte claque et Romy entre quelques instants plus tard.
Sa robe à fleurs rouge éclaire ses cheveux et illumine son sourire.
Elle me rejoint dans le salon, vient m'embrasser et part s'installer sur l'autre fauteuil à ma gauche.
-Alors, comment était ta première vraie nuit dans cette maison, me demande-t-elle en souriant.
-Mouvementée, je fais en haussant les sourcils, repensant au réveil brutal infligé par le démon.
-J'espère que Daemon ne t'as pas trop emmerdé.
-Non vraiment pas, j'ironise.
-Il n'est pas méchant tu sais, il faut juste apprendre à le connaître.
Oh c'est vrai ? Trop hâte d'apprendre à le connaître alors !
-Laisse-lui le temps de te cerner.
A force de me dire ça, je commence à me demander pourquoi est-il si cruel alors que tout le monde trouve une bonté en lui.
-Comment vous vous êtes rencontrés tous les deux, fin, tu sais, comment es-tu rentrée... je bredouille ne sachant pas comment formuler la question sans que ça passe pour un jugement.
Elle rigole et reprend :
-T'inquiète j'ai compris ce que tu voulais me demander. Comment je suis rentrée dans ce milieu. Pourquoi ai-je choisi d'y rester en sachant toutes les atrocités qu'ils s'y passaient. C'est à chaque fois les questions que j'ai droit.
Je baisse la tête embarrassée et joue avec mes doigts, ne sachant pas quoi faire d'autre et ne voulant pas la regarder.
Ma question si directe était peut-être un peu maladroite de ma part. C'est vrai que je ne réfléchis pas toujours avant de parler et cela m'a déjà causé quelques ennuis. En plus, cela fait à peine 1 journée que nous nous connaissons, elle doit me prendre pour une folle à l'attaquer directement avec des questions personnelles.
Mais le truc c'est que j'ai tellement de questions dans ma tête que je n'ai pas envie de tourner autour du pot. J'en ai marre de ne parler à personne, de n'avoir aucunes réponses à mes questions, de me sentir seule.
Elle me lance un sourire bienveillant me montrant que ça ne l'embête pas, puis elle déclare :
-Je connais Daemon depuis que nous sommes enfants, j'étais la meilleure amie de... j'étais une de ces meilleures amies, se corrige-t-elle. Nos mères étaient meilleures amies et nous avons grandi ensemble.
Je l'écoute attentivement et remarque que ses pensées ont l'air ailleurs, surement nostalgiques du passé.
Elle relève ses cheveux en un chignon haut et ajuste la bretelle de sa robe avant de continuer :
-Et au sujet de comment j'en suis arrivée là, c'est un peu plus compliqué. Disons que ça s'est fait naturellement. Un jour j'étais une lycéenne étudiant le droit, le jour d'après je me trouvais dans un cartel. Aujourd'hui, j'ai laissé ma vie d'avant derrière moi et vis au jour le jour.
-Mais pourquoi avoir tout plaqué ?
Ma curiosité est un de mes plus gros défauts, je le sais. Mais je m'en fous, je suis comme ça et je ne peux plus rester avec mes questions me torturant le cerveau.
Elle semble se perdre dans les souvenirs.
-Quand ma mère est tombée malade, Daemon m'a beaucoup soutenu, il a été là pour moi quand je n'avais personne d'autre.
Elle fixe le mur et prend quelques secondes pour respirer.
-Faut savoir que ma mère est tombée enceinte très jeune et que sa famille lui a rapidement tourné le dos.
-Et ton père, je demande timidement ne voulant pas lancer un sujet sensible.
-Mon père l'a aidé financièrement mais ne pouvait pas être présent à cause de ses études. Alors, ma mère a dû m'élever seule.
-Ça a dû être horrible, je souffle.
Je n'ose pas imaginer la force que doit puiser une mère pour élever seule sa fille.
Je trouve que c'est très courageux de sa part et qu'il n'y a pas plus belle preuve d'amour.
-Mon père me répétait sans cesse qu'il était là pour nous et qu'il ne nous abandonnait pas, mais je ne le voyais jamais. Si le rôle d'un père c'est de verser seulement un peu d'argent sur le compte en banque de sa fille, alors oui, je peux dire qu'il était mon père. Mais si son rôle ne se limite pas qu'à ça, alors j'aurais plus envie de dire que j'ai grandi sans père.
Ses mots me touchent et je ne peux retenir la larme qui s'écrase sur ma cuisse. Je ressens toute sa douleur dans sa voix brisée et cela me fend le cœur de la voir comme ça. Elle semble si vulnérable.
Elle marque une pause et calme sa respiration en soufflant lentement.
Je sens que ce n'est pas facile pour elle de me raconter.
Je me lève donc et vais m'installer sur le canapé, où je lui demande de me rejoindre.
Nos corps maintenant plus proches, j'attrape sa main et la serre fort dans la mienne, lui montrant que je suis là.
- Tu n'es pas obligée de continuer, lui dis-je me voulant en aucun cas la forcer.
Elle secoue la tête et me sourit :
- Ca ne me dérange pas, c'est juste que le raconter me rappelle toujours la mauvaise période de ma vie.
Je la comprends.
-Ma mère a vraiment été parfaite, je n'ai jamais manqué de rien, dit-elle en étouffant un sanglot. Elle était mon petit rayon de soleil.
Ses lèvres s'étirent légèrement et je souris également quand le visage de ma mère apparaît dans mon esprit.
Romy a l'air de tellement l'aimer, ses mots sont forts et remplient d'émotions. À travers ces simples mots, je devine tout son amour pour elle.
-Mais quand les médecins lui ont diagnostiqué un cancer du sang, ça a été le début de l'enfer. Mon père s'est tiré ne pouvant plus payer ses soins médicaux, ma mère devenait de plus en plus faible. Et moi, j'étais là, à la regarder mourir à petit feu sans pouvoir rien faire. Je ne pouvais pas payer son traitement, alors j'ai commencé à enchaîner les petits boulots. Mais cela ne changeait presque rien. Et puis, un jour, Daemon m'a parlé de son cartel.
-Tu n'étais pas au courant avant, je demande.
C'était quand même un de ces meilleurs amis, je trouve ça bizarre qu'elle n'ait jamais rien vu auparavant.
Tu as fait pire, me rappelle ma stupide conscience.
-Daemon est quelqu'un de très mystérieux, il garde beaucoup de choses pour lui. Tu sais, cette vie-là, il ne l'a jamais voulu pour moi, et je pense que c'est pour ça qu'il ne m'en avait jamais parlé avant, pour me protéger en quelque sorte. Notre marché est illégal, il a beaucoup hésité à m'en parler, n'appréciant pas le fait que j'allais y être liée.
J'acquiesce, comprenant son point de vue.
-Mais les frais hospitaliers augmentaient et j'ai dû trouver une solution. C'est à ce moment-là que je suis rentrée dans ce milieu.
Je la regarde me raconter son histoire, touchée par son passé.
Cette fille est tellement souriante et gentille que je n'aurais jamais pu imaginer qu'elle ait traversé cela.
Chaque jour, je maudis cette personne qui m'a envoyé ici et qui a tué ma mère, sans me dire que peut-être d'autres personnes ont vécu ça aussi.
-J'ai commencé par faire des trafics de médicaments. Mon rôle était juste de m'habiller chic et de me rendre à une soirée pour leur donner leur paquet. Puis j'ai évolué et les petites soirées ont commencé à ne plus me satisfaire, j'en voulais plus. L'adrénaline n'était pas assez forte, le salaire pas assez conséquent. Et j'ai donc commencé à travailler pour Daemon, j'organisais des gros évènements et rencontrais les plus grands mafieux.
Elle en voulait plus ? Comment peut-on avoir envie de passer ses journées entre les armes, le sang, la violence ?
-Je gagnais enfin assez et j'ai donc pu payer les soins à ma mère. Ce que je gagnais lui a permis de remonter la pente et de pouvoir encore aujourd'hui partager ma vie.
Je souffle de soulagement en apprenant que sa mère est toujours en vie, au moins, tout ce qu'elle a fait n'a pas servi à rien.
Mais pourquoi est-elle encore ici si sa mère va mieux ?
- Pourquoi ne pas avoir tout arrêté après ?
Elle prend une profonde inspiration comme si elle se préparait à cette question depuis le début de notre conversation.
-Je suis entrée dedans sans savoir que lorsqu'on y met un pied, il est impossible d'en sortir.
Sa phrase me glace le sang.
Je ne sais pas si je suis prête à entendre ce qu'elle va me dire.
Depuis mon arrivée ici, je suis dans le déni, pour moi, le démon est le seul responsable de mon second e********t.
Je m'imagine que ces gens sont comme moi, forcé de rester dans ce monde. Mais en vérité, je ne veux juste pas voir la réalité en face et me dire qu'ils sont comme lui.
Ce sont tous des criminels.
-Je ne comprends pas, je balbutie en la regardant incrédule.
Ce sont les seuls mots que je réussie à formuler.
Les questions continuent de tourner en boucle dans mon cerveau. Je n'arrive pas à comprendre comment elle a pu continuer en sachant ce qu'elle devrait faire pour y rester.
Est-elle prisonnière du démon ?
De ce monde sombre et rempli de secrets ?
Mais sa réponse n'est en rien celle que j'avais imaginée, et je reste sans voix en la regardant me répondre :
-Il m'a plu. Dès l'instant où j'ai mis un pied dans ce monde, j'ai su que ma vie d'avant n'existerait plus, prononce-t-elle en me regardant droit dans les yeux. Et s'il fallait que je retourne en arrière, je ne changerais rien à mes choix et à mon parcours. Je suis comme ça, je suis devenue celle que je suis. J'ai dû traverser des épreuves pour en arriver jusque-là et pouvoir maintenant gérer les gros évènements. Et je n'ai pas envie de les oublier car elles m'ont fait grandir. Cette expérience ne m'a pas simplement permis de soigner ma mère, il m'a également offert une seconde famille. Une famille dans laquelle chacun se soutient et se défend.
Son aveu installe un blanc entre nous et plonge la pièce dans un silence pesant. Ni elle, ni moi, n'osons parler.
Je suis dans le flou, je me revois cette nuit-là priant pour que tout ceci soit juste un mauvais rêve. Je me revois les jours suivants, les implorant pour me laisser retrouver ma vie.
Comment peut-on avoir envie de vivre entouré de monstres et de violences ?
Romy s'approche un peu plus de moi et c'est maintenant à elle de serrer ses mains autour des miennes.
Son visage est doux et ses yeux plongent intensément dans les miens :
-Je suis désolée. Je sais que toi tu n'as jamais voulu rentrer dans ce monde. Et moi, je suis là à te raconter que je ne regrette rien et que j'aime ce monde.
Je ne sais pas pourquoi cela m'affecte tellement, pourquoi une colère est née en moi pendant qu'elle me racontait son choix.
Peut-être est-ce parce que moi je n'ai pas eu le choix que je lui en veux de dire ça.
On m'a kidnappée et obligée à vivre avec eux dans un monde que je ne voulais pas. Et je sais que c'est mal de dire ça, qu'elle y est rentrée elle aussi par obligation pour sauver sa mère, mais elle pouvait en sortir.
Elle a eu le choix elle.
Tandis que moi, je suis piégée ici sans savoir quand ma vie pourra reprendre.
Mais je sais qu'il ne faut jamais juger un livre à sa couverture.
Tous ces choix, c'était les siens, et je ne peux en aucun cas lui reprocher quelque chose, c'est sa vie. Et même si je n'aurais peut-être pas fait les mêmes qu'elle, je ne peux pas lui en vouloir pour ça.
Romy est une des seules personnes qui m'a accueilli naturellement sans me crier dessus ou me mettre mal à l'aise.
Elle m'a sourie et ouvert ses bras, je ne veux pas dire adieu à ce début d'amitié. Elle reste une personne incroyable et je veux continuer à partager sa vie.
Je toussote pour m'éclaircir la voix et demande avec un sourire sincère :
-Mais tout ça... ça te plaisait vraiment ?
-Le luxe, les soirées, les belles robes, bien sûre que ça me plaisait !
-Il y avait aussi les mafieux, les trafics illégaux, les armes, je ne pus m'empêcher d'ajouter.
Elle rigole et son rire franc m'oblige à la suivre.
-J'étais persuadée que tu dirais ça, tu penses que ce monde est horrible et que je ne devrais pas gâcher ma vie avec ces criminels.
Exactement
-Tu as tort. Et j'avais tort moi aussi en imaginant que ma vie pourrait reprendre la ou je l'ai arrêté. Je ne pensais pas moi non plus m'attacher à ce monde, mais il a réussi à m'attirer et aujourd'hui je n'imagine pas ma vie sans.
J'essaie vraiment de la comprendre, mais je pense que je n'y arriverais pas.
-En fait, je ne comprends pas comment tu peux tolérer la violence, les viols, les meurtres.
-Oh Kali, murmure-t-elle comprenant enfin ou je veux en venir. Je sais que tu as vécu l'enfer avec Sohan et je suis terriblement désolée que tu aies été obligée d'endurer tout ça, mais tout ce que tu as vécu avec Sohan, ce n'est pas la réalité. En tout cas, la réalité n'est pas si dure. Parce que crois moi que sinon, il y a longtemps que je l'aurais quitté.
Pourquoi alors Sohan m'a fait ça ?
- J'ai été dans ta situation, j'ai moi aussi voulu en finir plus d'une fois. Mais je me suis battue, et désormais, j'ai découvert un autre monde. Ce monde ne se limite pas qu'à ça, je te jure. Derrière toutes ces atrocités se cache quelque chose de bon pour toi.
J'aimerais tellement la croire...
Elle s'éclaircit la voix et poursuit :
-Tu sais, je ne les tolère pas. Mais ce monde n'est pas à associer qu'à ces mauvais côtés, il y a tellement d'autres avantages !
-Comme quoi, je demande curieusement, n'en ayant pas un seul en tête.
-Comme l'argent ! On dit que l'argent ne fait pas le bonheur, mais crois moi, il y contribue fortement. Menteurs sont ceux qui disent le contraire.
Sa phrase reste en suspens dans l'air et nous éclatons de rire quand nos regards se croisent.
Romy la philosophe partie 1
Après plusieurs secondes à rigoler, elle se stoppe net et déclare :
-À toi.
Ce changement soudain d'ambiance et sa tête essayant de rester sérieuse me refont éclater de rire, et cette fois-ci, c'est à elle de me suivre.