5 : Je prends combien ?

2775 Words
(Didi) « Sortez tous d’ici », ordonne froidement de sa voix incroyablement sexy, Santo. Je crois que je vais abandonner l’idée de me libérer de ma famille et proposer mes services aux Ganovese. Au diable la cuisine ! Tant pis si je ne pourrais jamais être plus pour Santo ! Au moins, je pourrais le voir tous les jours si je me mets aux ordres de Don Elio. Et, puis, je sais que Lucia sera toujours là pour moi et qu’elle me consolera lorsque je verrai Santo avec sa femme et leurs enfants. Merde, merde, merde ! Il faut que je me ressaisisse. Je tente de me diriger vers la sortie, mais le bras de Santo me bloque le passage. Il me montre de l’index, m’obligeant silencieusement de rester et je suis absolument médusée par la couleur de ses yeux. Il passe à côté de moi et je dois faire preuve de toute la maitrise possible pour ne pas lui sauter dessus. Mais oui ! Je pourrais lui faire une clé, l’attacher et en faire ce que je veux. Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour pouvoir mettre les mains sur lui… Hé. Arrête de te faire des films, Didi. Il prend place sur le fauteuil principal derrière le bureau et commence à travailler sans un regard ni un mot pour moi. Il est beau à se damner, ce n'est pas possible ! Il a juste besoin que tu le serves et rien de plus. Nos regards se croisent et je jure devant la Sainte Madone que je pourrais tuer pour lui… gratuitement. « Je peux m’asseoir ou je dois rester debout ? Ou peut-être que vous voulez que je vous mette les petits fours dans la bouche pour que vous ne vous salissiez pas les mains, monsieur le VVIP ? », lui demandé-je. Et, j'ai envie de me gifler ! Je me morfonds intérieurement pour ce que je viens d’oser lui dire à voix haute. Ait l'air naturelle ! Ait l’air naturelle ! Je me penche pour prendre le plateau et le placer sur le bureau, à portée de main. La Madonna ! Ne le regarde pas. Ne le regarde plus. Si tu le regardes, tu perds. Et en même temps quelle autre opportunité le seigneur mettra-t-il sur ma route pour que je sois enfermée dans une même pièce que Santo Ganovese ? « Tu peux t’asseoir. Et, je t’ai donné mon prénom… », me dit-il. Je me dirige, la mort dans l'âme, vers un des grands canapés en cuir placés devant le bureau. Il faut que je me maitrise. Je n’ai plus seize ans… je ne suis plus l’adolescente qui a eu un coup de foudre instantané la première fois que mes yeux se sont posés sur lui. Je me laisse tomber dans le canapé, puis je lève les yeux au plafond avant de croiser les jambes. J’ai déjà mal aux chevilles et aux mollets. Vivement que ce soit fini, que je puisse m’isoler en cuisine et faire ce que j’ai toujours aimé. Merde. J’ai toujours aimé Santo. Je lance un regard rapide au côté pour pouvoir l’admirer. Je sens le rouge me monter aux joues. Il est tellement beau, tellement charismatique, tellement dangereux à bien des égards. Je le vois attraper un des petits fours et je ne peux pas retenir mon hoquet de surprise. Non ! Non ! Non ! Pas celui au saumon avant celui au fromage ! Santo s’arrête la bouche grande ouverte avant qu’il ne commette l’erreur de commencer par celui au saumon. Ce n'est pas compliqué pourtant, j’ai arrangé les amuse-bouches pour qu’ils soient rangés dans un ordre logique. Le chef en moi est au bord de la crise de nerfs, mais je me calme instantanément lorsque nos regards se croisent à nouveau. Il est tellement beau que j’en ai le souffle coupé. Et, qu'est-ce qu’on s’en tape de savoir dans quel ordre il mange les petits fours que j’ai préparés de mes propres mains ? Est-ce que je suis gravement atteinte si je ressens une sorte d’excitation de savoir qu’il va manger quelque chose que j’ai concocté ? Sa femme est tellement chanceuse de pouvoir lui faire à manger. Je me suis jurée de ne pas m’intéresser à Santo le jour où je reviendrai. Je m’étais promis de prendre pleinement mon indépendance, mais là, je suis morte de jalousie pour une inconnue qui ne m’a rien fait. « Il y a un problème ? », me demande-t-il froidement. Non. Le problème, c'est moi qui n’arrive pas à détacher le personnel du professionnel en ce moment. Je me lève aussitôt et je retrouve mon sérieux. Je suis une pro. J’ai étudié longtemps pour avoir ce niveau. J’ai travaillé nuits et jour pour être là où je suis. Je me place devant le bureau et je me contente de pointer du doigt, de sa gauche vers sa droite afin de lui indiquer l’ordre correct de dégustation : « Vous devriez commencer par celui-ci, puis simplement continuer à manger en suivant l’ordre. Si vous prenez celui-là en premier, le citron contenu pour assaisonner le saumon risque de rendre fade le prochain… » Je ne sais pas ce que j’ai dit ou fait, mais l’atmosphère semble changer du tout au tout. Santo m’observe de l’air caractéristique des hommes Ganovese. Je ne sais pas comment ils font ça, mais toute personne de la Cosa Nostra sait que c’est le regard des seigneurs de la ville. Je me sens absolument dominée par sa présence et je sais que quoi qu’il dise, j’obéirai sans une once d’hésitation. Même si je le voulais, je serais incapable de lui dire non. Je suis figée sur place et je reste, la main placée au-dessus du petit four le plus à gauche. Il attrape l’amuse bouche et je suis automatiquement en transe de le voir manger quelque chose que j’ai préparé. Mes yeux s’écarquillent lorsque je l’entends pousser un gémissement. Un gémissement ? Hé. Un amuse bouche que j’ai préparé a donné du plaisir à Santo Ganovese ? Au Santo Ganovese ? Ma cuisine ! Mes compétences ! Mes mains ! Il a un léger sursaut lorsque je plaque les mains sur son bureau. Je veux le voir manger encore et encore. Au diable sa femme ! Au diable ses enfants ! Je ne suis absolument pas une briseuse de ménage, mais je veux au moins prendre ça pour moi. Avoir la fierté d’avoir nourri Santo Ganovese et qu’il ait aimé ma cuisine ! Je me penche en avant, cherchant à pouvoir lire la moindre expression sur son visage lorsqu’il mangera la suite : « Délicieux, n’est-ce pas ? », lui demandé-je. Il hoche la tête et je me sens comme une p****n de reine à cet instant précis. Santo Ganovese aime ma cuisine. Ah ! Andrea Bonani, tu peux mourir demain, tu mourras heureuse ! « Et vous allez voir, le second va complémenter à merveille les saveurs actuelles… », insistè-je aussitôt. Je me fige. Santo croise les bras et s’appuie sur ses coudes sur le bureau. Puis, il ouvre la bouche. Je cligne des yeux. Il est en train de se passer quoi là ? Je suis bien réveillée ou je suis en plein fantasme là ? Santo Ganovese a entendu ma prière de tout à l’heure et me permet de le nourrir ? Moi ? « Vous… », commencé-je à dire avant de me taire aussitôt. La Madona, Didi ! C’est la Madona qui a entendu tes prières et qui t’offre un de tes plus grand souhait : pouvoir nourrir Santo Ganovese, à la main ! Pitié Mère Madone, je sais que c'est mal de faire ce genre de prière, mais un de mes fantasmes, ce serait de me faire la scène de la Belle et le Clochard avec lui. Que l'on partage une assiette de spaghettis et… AAAAAAH. Santo me fixe du regard. Je sens des picotements parcourir mon corps. Je voudrais qu’il me regarde toute ma vie. Sans le quitter des yeux, je prends le second petit four et le pose sur sa langue. Je sens la langue de mon Dieu vivant, Santo Ganovese, glisser sur mes doigts. Un tremblement me parcourt instantanément et je sais que je devrais essorer ma petite culotte avant de retourner en cuisine. Je sais bien qu’il n’a pas fait exprès. Je n’ai jamais intéressé Santo Ganovese. Je ne vois pas pourquoi il s’intéresserait à moi aujourd’hui. Je baisse la tête et je me tiens les mains. Merda, je n'ai pas fini mon service. Je vais être obligée de me laver les mains par mesure d'hygiène. Les choses que j'aurais faites avec cette main autrement ! Il faut que je me calme. Santo est marié. Je ne suis pas une briseuse de ménage. C’est moi qui ai dépassé les bornes la première en lui faisant une proposition indécente. Je l’entends pousser soupir et tirer quelque chose d’une de ses poches. Je lève discrètement les yeux dans sa direction et je me rends compte qu’il me tend une liasse de billets de cent dollars. C’est comme une gifle en pleine figure. Un retour brutal à la réalité. Exactement, ce que la serveuse qui m’a apporté leur uniforme avait parlé : les pourboires sont excellents. Je suis payée pour servir et rien de plus. « Tu prends combien ? », me demande-t-il. « Pardon ? », je réponds sans comprendre. Je prends combien ? Combien pourquoi ?, ne puis-je m’empêcher de penser intérieurement. « Tu prends combien pour ça ? », répète-t-il, légèrement agacé, sans doute parce que je lui fais perdre son temps. Je penche la tête sur le côté et je baisse les yeux vers le plateau de petits fours. Mais, oui. Bien sûr. Santo doit vouloir se payer mes services de traiteur. « Tout dépend du type de contrat », lui indiqué-je. Il s’étrangle à moitié et attrape la carafe d’eau posée sur le bord du bureau. Il se sert rapidement un verre et avale d’un trait le liquide. Hé, quoi ? Il croit que je travaille au noir ? Non, monsieur. J’ai une éthique de travail. Un contrat et c’est tout. Je suis une citoyenne respectable qui a des charges et des taxes à payer. Hors de question de risquer un contrôle et une amende pour fraude. « Contrat ? », répète-t-il. Je me mets à compter sur mes doigts sans le regarder, tellement ça m’agace qu’il veuille me la faire à l’envers : « Tout va dépendre des jours, des horaires… évidemment je prends plus cher les soirs et les weekends » « Évidemment », répète-t-il. Je me calme aussitôt. Mince. Je crois que je l’ai mal compris. J’ai tout de suite tiré des conclusions hâtives alors qu’il n’a rien contre l’idée de passer un contrat avec moi. « Je peux tout faire et tout apporter aussi pour vous faire plaisir. Bien sûr, il y aura un surplus si vous avez des préférences particulières ou qui demandent plus de temps de préparation ou de nettoyage. Je sais que je n’en ai pas l’air, mais j’ai de l’expérience dans le métier. » Il ne me répond pas. C’est donc qu’il n’est pas fermé à mes termes pour un service traiteur. « Il faudra aussi me prévenir à l’avance du nombre de personnes. Si je dois prendre quelqu’un d’autre avec moi pour m’occuper correctement de vous tous… » « Il n’y aura personne d’autre. Juste moi », grince-t-il entre les dents. Je peux entendre son verre commencer à se briser. Comment ai-je pu oublier que Santo Ganovese est un glouton ? Bien évidemment que s’il prend un chef à domicile, c'est pour profiter d’une expérience gustative en solo. Et, si jamais il voulait m’embaucher comme cheffe exclusive ? Hé. Ça pourrait marcher. Je pourrais le voir tous les jours, m’assurer que son ventre soit toujours rempli. Non, non, non, j’ai déjà plusieurs commandes pour les deux prochains mois. « … Et, puis, je ne fais pas d’exclusivité. J’ai déjà ma clientèle et mes habitués. Si vous voulez m’embaucher, il faudra faire en fonction de mes disponibilités. » « Quoi ? », me répond-il froidement. Ah, on y est. L’avarice légendaire des Ganovese. « … Bien sûr que oui. Je sais que je suis encore jeune, mais je suis douée. Je ne vais pas me limiter à un client alors que j’ai suffisamment d’énergie pour m’occuper de plusieurs clients après l'autre. J’ai toute une réputation et un réseau à bâtir. » Il me dévisage un instant avant que des coups donnés à la porte nous fassent sursauter. Je me tourne pour voir la tête d’Alvize apparaître dans l’encadrement et il s’excuse à profusion. « Didi, on a besoin de toi. C’est une urgence. » Mince. À la manière qu’il a de me regarder, je sais qu’un autre VVIP a dû arriver à la dernière minute. Je me tourne à nouveau vers Santo et mon regard s’arrête sur les billets qu’il tient toujours en main. Il me les retend et je ne peux pas m’empêcher de sourire. Ces billets vont me permettre de trouver un logement plus rapidement que prévu. « Merci », lui dis-je avant de me précipiter au-dehors. Alvize et moi courons presque pour nous diriger vers la cuisine : « On a un invité de marque de dernière minute. Pas un de la Famille », précise-t-il lorsque nous échangeons un regard. Je me contente de hocher la tête : « Ce client a une fiche ? » « Oui. Je te l’ai posée sur le plan de travail. C’est un Anglais, mais il aime la cuisine italienne. Je crois qu’une des filles en a fait des caisses pour vanter les mérites de notre chef et il s’est empressé de passer commande. » J’acquiesce et nous entrons rapidement. La serveuse qui m’a aidé me fait un sourire et secoue un papier de commande entre ses ongles manucurés : « Le client a demandé à ce que le chef le serve en personne », m’annonce-t-elle en faisant un clin d’œil. J’attrape le papier et un sourire se dessine sur mes lèvres : _ Aglio e olio_ Des pâtes à l’ail et à l’huile d’olive. « Monsieur le VVIP fait dans la provocation ? », dis-je en levant un sourcil. Il n'y a rien de plus simple à préparer. Par contre, là où le plat va se démarquer, ce sera grâce à la qualité de l'huile d'olive utilisée. Elle croise les bras sur sa poitrine et secoue la tête : « Absolument pas. C’est un véritable gentleman. Et, il m’a dit que c’est la seule manière dont il aime manger les pâtes. » Heureusement pour moi, j’ai préparé des pâtes fraîches, au cas où, et je me mets tout de suite en marche. Merda. Il faut que je me change. La serveuse se met à rire, car elle comprend le doute qui s’empare de mon esprit : « On n’a pas le temps d’attendre que tu te changes. Le client est pressé. C’est aussi la raison pour laquelle il a commandé ce plat. » Ni d’une ni de deux, je fais une présentation simple dans une assiette et je la place aussitôt dans une assiette. La serveuse me guide et je la suis à travers plusieurs couloirs. Lorsque les portes s’ouvrent, j’entends quelqu’un se racler la gorge. Je vois un homme avec des boucles blondes, coupées courtes, dans un costume trois pièces typiquement anglais. Il a un regard pétillant où brillent des yeux bleu ciel. Tout chez lui pue la mièvrerie et la gentillesse. Ce n’est pas ce que j’ai l’habitude de voir chez un homme. Je sais, à sa corpulence, qu’une cuillère me suffirait pour l’achever. Je suis sûr que c’est un de ces gars qui a le syndrome du sauveur et qui participe à une tonne d’événements caritatifs et qui pleure devant Bambi. Je pose l’assiette devant lui et j’incline légèrement la tête sur le côté : « Bonjour, je suis la cheffe que vous avez demandé à voir. » Je lève un sourcil lorsque je le vois poser une main sur ses lèvres. Il est rouge jusqu’aux oreilles et me regarde comme s’il avait la Vierge Marie en personne. Voyant qu’il ne dit rien de plus, je tourne les talons. Au moment où j’arrive devant la porte, il court jusqu’à moi pour me bloquer la sortie. Me. Bloquer. La. Sortie. À moi. Andrea Bonani. Putain pour qui ce stronzo se prend ? « Je suis Henri », me dit-il du tac au tac. Ha ? "Pardonnez-moi, j'ai été ébloui par votre beauté. Vous êtes une véritable apparition." Stronzo s'est cogné la tête ou quoi ?
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