« Don Santo », me saluent à l’unisson les membres de l’équipe de sécurité.
Je me masse les tempes lorsque l’odeur âcre de parfums bas de gamme, la fumée épaisse des cigarettes achetées à bas prix et la musique entrainante trop forte me frappent de plein fouet.
« Santo suffit amplement. Le Don, c’est Elio. Je n’ai pris sa charge que par intérim », réponds-je froidement.
Cazzo. (p****n*)
Une jeune femme complètement ivre vient d’essayer de passer l’écran de protection formée par mes gardes.
« Tu es là ! », dit-elle d’un air faussement ravi.
Encore une qui veut faire croire aux autres qu'elle me connait.
Me ne frego (je m’en fous*) et je continue ma progression. Je veux rapidement me casser d’ici. C’est bientôt l’heure de dîner et ça me gonfle de faire cette visite de courtoisie juste avant mon repas.
Je n’ai pas le temps de me rendre compte de ce qui se passe que je me sens tiré en arrière. L’ivrogne vient d’attraper le milieu du dos de ma veste sur mesure.
« Hé beau gosse, tu peux faire ce que tu veux de moi si tu m’emmènes avec toi », me dit-elle en titubant.
Je suis comme une p****n de bombe ambulante. Ces putains de mots me foutent dans une colère noire et je fais un v*****t mouvement de coude vers l’arrière. Elle le reçoit en pleine tête et s’effondre au sol.
Mes gardes sont horrifiés.
Ils ne sont pas avec moi pour assurer ma sécurité. Ils sont là pour assurer celle des autres en ma présence.
Je me mets à profaner des insultes. Elio va me passer un savon lorsqu’il apprendra que j’ai malencontreusement frappé une alcoolique.
Je hais les alcooliques.
Je hais les drogués.
Je hais les prostituées.
De savoir qu’un ou qu’une d’entre eux me touche, me révulse au plus haut point.
J’ai envie de vomir tellement mes sens sont exacerbés.
La chaleur de la foule trop nombreuse et l’odeur écœurante de transpiration des corps qui se trémoussent au rythme du DJ me donnent la gerbe.
Mes gardes du corps poussent sans aucun ménagement la foule venue dans ce dernier club de strip-tease, reconditionné en boite de nuit, que nous avons acheté.
Personnellement, je n’aurais jamais eu l’idée d’investir dans ce lieu, mais Elio en a décidé autrement.
Et, là, aujourd’hui, au milieu de la foule qui se presse pour avoir le droit d’y entrer, je me rends encore compte à quel point mon grand frère est un p****n de génie.
Elio est le centre du monde pour moi. Il est celui qui nous a élevés, Matteo et moi, lorsque nos parents sont morts. Nous ne sommes pas ingrats et nous savons parfaitement les sacrifices qu’il a dû faire pour se maintenir à la tête de la Famille.
Don Elio est le seigneur tout-puissant qui règne en maitre absolu sur la ville.
Les personnes de la Cosa Nostra m’ont surnommé le chien fou de Don Ganovese. Ils n’ont pas idée de l’étendue de ce que je suis capable de faire sous les ordres de mon grand frère. Ils ne savent pas ce que c’est que de se retrouver seuls au monde, face à des adultes avides de pouvoir et prêts à vous tuer durant votre sommeil.
Ah ! Enfin !
J’aperçois les lourdes portes noires gardées par six agents de sécurités. Tous s’écartent lorsqu’ils me voient pour me faciliter l’entrée.
Je prends une profonde inspiration, satisfait de me retrouver dans un sas où le son de l’extérieur est coupé. On n’entend plus que le bruit de nos chaussures frapper le sol en marbre.
« Signore Santo », me salue un vieillard.
« Alvize », réponds-je froidement en continuant de marcher vers une porte où se tiennent des hommes armés.
Je ne sais pas pourquoi, mais l’attitude satisfaite de ce vieil homme met automatiquement mes sens aux aguets. Je cesse aussitôt de marcher et je me retourne pour lui faire face :
« Tu es de trop bonne humeur. Les rentrées d’argent sont si satisfaisantes », lui demandé-je sans aucune émotion.
Ah.
Parfait.
Je le vois se décomposer au fur et à mesure que mes yeux restent fixés sur lui.
Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais je suis né avec le don de foutre tout le monde mal à l’aise. Je ne comprends pas pourquoi. Je ne fais rien de particulier et pourtant je terrorise les gens.
Je pense que je suis une personne relativement sereine… ou pas. Bref, je ne fais pas exprès.
Je me remets à marcher avant que le vieux me fasse un AVC en direct et je me dirige vers les portes.
« Vous avez raison, signore Santo. C’est que ce soir, je me suis retrouvé sans chef cuisinier », m’annonce Alvize.
Que Cazzo ! (Quelle merde !*)
Je m’arrête aussitôt et j’incline simplement le menton en arrière, vers lui.
Je comprends tellement son inquiétude.
Moi-même, je serais totalement perdu si l'on m’informait que la cuisine de mon établissement était dénué de chef.
Alvize se racle la gorge et poursuit : « Mais heureusement pour moi, Dino a pu me dépanner et m’a envoyé quelqu’un de confiance pour prendre la relève. »
Je me sens instantanément soulagé pour lui et je me remets à marcher :
« Dino, de la Trattoria Andrea ? »,
« En personne », me répond-il avec conviction.
La Madonna !
Si Dino a recommandé quelqu’un, ce type doit être un génie de la cuisine.
…
J’entends mon estomac gargouiller.
Je pourrais prendre un plat ou deux, puis j’irai dîner.
Et, puis, la Trattoria Andrea fait des desserts qui convertiraient le plus saint des hommes au satanisme. Je pourrais aussi prendre un dessert…
Ce serait comme prendre un apéro.
Oui voilà, tout à fait, un apéro avant le dîner !
Quel stronzo (connard*) aurait quelque chose à redire à un apéro ?
« Qu’est-il arrivé à ton autre chef ? »
« Il est cloué au lit. Stronzo (connard*) a une infection de la peau, un zona apparemment. Il m’a parlé de varicelle, mais franchement, me ne frego (je m’en fous*). Tout ce qui m’importe, c'est de savoir qui allait se charger de nourrir mes VIP. »
Les portes s’ouvrent à nouveau et révèlent un gigantesque casino. Au centre des tables de jeux, des stripteaseuses font le show sur des barres de pole dance aménagées.
Mon frère aîné, Elio, est un p****n de génie.
Les joueurs ont trop l’esprit occupé sur le cul ou les nichons des filles pour se rendre compte que le croupier est en train de les plumer. Ils perdent leur argent dans le jeu et dans les pourboires qu'ils laissent aux filles.
Alvize me conduit vers une autre porte, celle réservée exclusivement aux affaires de la Famille, puis il me fait prendre une succession de couloirs. Seulement, au moment où nous arrivons au « bureau », le vieil homme se fige et je peux l’entendre chuchoter avec empressement :
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
Je n’ai qu'à faire un pas de plus pour pouvoir voir par-dessus le crâne dégarni d’Alvize.
Ce que je vois me laisse sans voix et j’ai l’impression que l'on vient de vider tout l’air de mes poumons.
Une femme avec la paire de jambes la plus incroyable de l’univers se tient là, tenant un plateau de petits fours entre ses mains délicates. Elle a une coupe de cheveux carrée et les lèvres les plus provocantes que je n’ai jamais vues.
Elle se rend compte de ma présence et elle me lance le regard le plus blasé que je n’ai reçu de ma vie.
Ses épaules se redressent et elle pose le plateau sur la table centrale.
Elle ne se rend pas compte de son geste. Le micro short qu’elle porte nous donne à tous une vue imprenable sur la naissance de son cul parfait.
Je lance immédiatement un regard en arrière. Je veux arracher les yeux du premier stronzo qui osera la reluquer devant moi.
Mes hommes se crispent et baissent la tête sur le champ.
« Pardon », déclare froidement une voix féminine.
Je me tourne de nouveau, et je m'aperçois qu’elle se trouve juste devant moi. Ses yeux sont cernés et elle a un air absolument blasé quand elle se rend compte que je ne bouge pas.
La Madonna ! Elle sent le sucre et la cannelle !
Comment est-ce possible ?
Elle pousse un soupir et traine des pieds pour se faufiler entre l’encadrement de la porte et moi :
« Je vous jure, y a des gens qui bossent ici. Je n'ai pas de temps à perdre… »
Je l’attrape subitement pas le coude.
Cazzo ! (Merde*)
Je ne me suis pas rendu compte de ce que je faisais ! C’est comme si mon corps avait bougé avant que je m’aperçoive de ce que j’étais en train de faire.
Je ne sais pas comment elle a fait, mais elle a réussi à se dégager sans faire aucun effort et se contente de me regarder avec méfiance désormais.
« Je m’appelle Santo », lui déclaré-je.
ET. JE. VEUX. ME. METTRE. UNE. BALLE.
Quel stronzo dit ça comme ça ? Hein ? Dites-le moi, bordel de merde !
Je vois, du coin de l’œil, Alvize et mes hommes, écarquiller les yeux et entrouvrir les lèvres, tellement je me comporte comme un débile.
Elle fait une sorte de truc là, avec ses yeux, comme si elle me disait sans rien dire « t’es un débile ».
Et ça me va.
Je peux être son débile si elle veut.
…
Qu’est-ce qui m’arrive ?
C’est quoi ce bordel ?