Chapitre 7

3029 Words
CHAPITRE 7Ma liaison avec Myriam recommença donc de façon épisodique, toujours aussi sulfureuse, mais empoisonnée par les non-dits. Je voyais bien qu’elle faisait des efforts méritoires pour refréner ses penchants soupçonneux, mais ils n’étaient pas toujours couronnés de succès, loin de là. Cependant, nous nous comportions comme si nous avions signé une sorte d’armistice, et nous ne dépassions jamais un certain niveau de dispute. Et par accord tacite, nous ne parlions jamais d’Esther. La police avait certainement interrogé Myriam, puisque j’avais indiqué son nom dans la liste de mes « connaissances ». J’imaginais sa colère lorsqu’elle reçut la visite des policiers. Mais sur ce sujet aussi, c’était silence radio. J’avais un peu honte lorsque je pensais à Esther, et je me promettais d’aller voir ses tantes, mais je trouvais toujours une bonne excuse pour ne pas téléphoner. Et le jour où je me forçai enfin à décrocher le combiné pour composer leur numéro, mon portable sonna. C’était José. Il n’avait pas son ton enjoué habituel et je compris tout de suite qu’il était arrivé un malheur. – Tu es au courant ? – De quoi ? – Il y a eu un suicide dans la boîte. Un employé du site de stockage. Il s’est jeté sous un train. Sale histoire. Les syndicats montent au créneau en criant au harcèlement moral. Il faut dire qu’il s’est tué juste après la soufflante de Patrick Aulne sur le conditionnement défectueux des dialyseurs. Je me sentis tout de suite responsable, au point que pendant un instant je perçus une ombre de reproche dans l’appel de José. J’étais à l’origine de toute cette affaire. Mais aurais-je pu faire autrement ? Il était hors de question de laisser la société se discréditer auprès de nos clients. Chacun devait assumer ses responsabilités. Si celui qui était responsable de négligence avait décidé de mettre fin à ses jours après une remontrance (collective, de surcroît) du patron, et d’une façon aussi radicale, c’est qu’il devait être bien dépressif ! Mais j’avais beau essayer de me rassurer, je ne pouvais me départir d’un malaise tenace. * Dès que j’en eus l’occasion, je passai au siège et essayai de glaner quelques informations sur le drame. Ce ne fut guère difficile : tout le monde ne parlait que de ça. L’homme qui s’était jeté sous le RER A était un employé assez jeune, d’origine russe : Ouliakov. Il travaillait en France depuis plusieurs années, parlait couramment français en dépit d’un accent prononcé. Parfaitement intégré, en situation régulière comme on dit maintenant, il avait été embauché l’an dernier. Ceux qui le côtoyaient parlaient d’un type sans histoire, célibataire, un peu taciturne mais, autant qu’on puisse en juger, nullement dépressif. Cela dit, on affirmait que Patrick Aulne n’y avait pas été avec le dos de la cuiller dans le courrier adressé à chacun des employés travaillant sur le site. Mais lorsque je pus m’en procurer un exemplaire (ce qui fut assez simple car beaucoup ne demandaient qu’à le faire lire), je trouvai le ton ferme certes, mais pas excessif. Ouliakov était certainement beaucoup plus déprimé qu’il ne le paraissait. On ne connaît pas toujours bien ceux qu’on côtoie tous les jours, surtout s’ils parlent peu. En tout cas, l’émotion était vive et notre directeur peinait à maintenir le calme. Il dut se fendre d’un communiqué dans lequel il réussit un exercice de haute voltige consistant à exprimer toute sa tristesse (qui était sûrement sincère), mais sans revenir sur les recommandations faites. Personnellement, je trouvais qu’il avait eu raison de ne pas tenter de se disculper d’une accusation de harcèlement moral. Tous auraient pensé qu’il la considérait comme fondée, et il aurait perdu la face. Je connaissais un médecin légiste à l’hôpital de Garches et je me demandais s’il avait été commis dans l’inévitable enquête sur ce suicide. Je fournissais quelques dialyseurs en réanimation, et je profitai d’une visite pour l’inviter à déjeuner. Je savais que ce serait un moment difficile car le professeur Jean-Claude Tressard prenait un malin plaisir à raconter les histoires les plus abominables, pendant les repas de préférence, avec l’humour décapant propre aux spécialistes de médecine légale. J’imagine qu’il y trouvait un moyen de se protéger des visions d’horreur auxquelles il était confronté régulièrement. On peut dire que je fus comblé, aussi bien par l’humour douteux que par le reste, car c’était justement lui qui avait été chargé de l’autopsie d’Ouliakov. Enfin, quand je dis l’autopsie, j’imagine qu’elle devait être limitée, vu l’état du corps. Tressard me le confirma, avec moult détails que j’aurais préféré ne pas entendre. – Tu sais, mon vieux, les gens qui passent sous un train, c’est tout simple. Ils sont en plusieurs morceaux. Généralement, il y a la tête d’un côté, les jambes de l’autre et le tronc au milieu, mais ça dépend de la façon dont ils se sont allongés sur la voie. L’écartement des rails fait en règle générale un mètre trente-sept, alors, soit la tête est écrasée et les jambes entières, soit… – Arrête, je ne vais jamais pouvoir finir mon steak ! – Et puis il y a ceux qui se placent debout sur la voie en regardant bien en face le train arriver sur eux. Je ne te dis pas l’état du mécano1 après la collision. Garder cette vision du type les yeux dans les yeux jusqu’au dernier moment, alors qu’on essaie désespérément d’arrêter la locomotive lancée à toute vitesse. Et quand il faut nettoyer le pare-brise… – Pitié pour mon estomac ! – Il y a un suicide par jour en France sur les voies SNCF. Pratiquement aucun conducteur de train n’échappe à ce drame au cours de sa carrière. Il en est à la fois le témoin, l’acteur et d’une certaine façon la victime. C’est lui qui doit aller constater les dégâts. Tu imagines à quel point il est mal, après. Et c’est embêtant car il faut l’interroger tout de suite, avant de le confier à la cellule de soutien psychologique. – Ah bon, pourquoi ? – Eh bien, c’est tout simple. Soit il a vu le gus descendre sur la voie au moment où le train arrive, et tu dis aux pompiers de t’envoyer tranquillement les morceaux dans un sac, c’est même pas la peine de se déplacer, dès lors qu’un médecin lambda a constaté le décès. Soit le mec était déjà allongé sur la voie au moment où il l’a aperçu – mais il est presque toujours trop tard pour arrêter le train – et il faut y aller pour rechercher des indices, car on ne sait pas s’il s’est suicidé ou si on l’a installé là, tu vois ce que je veux dire. J’écoutais, fasciné. – Dans le cas de ton « collègue », si je puis dire, il n’y avait aucune discussion. Le conducteur l’a vu enjamber les barrières de protection, et s’allonger tranquillement sur la voie ferrée. – Quelle horreur ! Comment peut-on faire ça ? Il faut vraiment être complètement déjanté ! – Tu l’as dit, bouffi, répondit mon convive, hilare, comme s’il s’agissait d’une bonne blague. J’étais écœuré, mais je m’étais instruit. – En plus, ajouta Tressard, qui décidément était intarissable, il était doublement choqué… – Qui ? Ouliakov ? Je ne comprenais plus, redoutant une mauvaise plaisanterie supplémentaire. – Non, le mécanicien. Il avait aussi un nom d’Europe de l’est, Kabalovitch ou un blase dans le genre, alors, écraser un compatriote, même s’il n’y pouvait rien… Je réclamai les cafés et l’addition. Je n’en pouvais plus de cette avalanche de détails macabres. * Cette histoire horrible de suicide me tourmentait. Je me surpris même à penser, avec l’humour cynique de Tressard : « Si Ouliakov avait été japonais et qu’il avait mal fait son travail, j’aurais encore compris qu’il se soit fait hara-kiri… ». Ignoble réflexion. Dans la boîte, l’ambiance demeurait pesante. Seul José continuait à mettre un peu d’animation, mais il avait du mal et semblait parfois vaincu par le découragement ! Un soir, sortant du siège où régnait la même humeur morose, je décidai de me changer les idées et j’appelai ma fidèle amie Brigitte, qui habitait non loin de là, à Saint-Germain-en-Laye. Par chance, elle était là et me proposa tout de suite de venir la rejoindre, sans me tenir rigueur de mon long silence : je ne l’avais pas recontactée depuis l’assassinat d’Esther. Éperdu de gratitude devant tant d’indulgence, j’insistai pour l’inviter à dîner dans un bon restaurant. C’était la seule personne à laquelle je pouvais raconter toute cette histoire et j’avais besoin de m’épancher. Je ne pouvais en parler avec Isabelle, qui me battait froid depuis l’irruption de la police dans sa vie de femme mariée, encore moins avec Myriam. Je dus d’abord expliquer à Brigitte pourquoi je n’avais pas donné signe de vie pendant si longtemps, sans m’étendre sur la nature de mes relations avec Esther, mais je savais bien qu’elle n’était pas dupe. Puis j’abordai les problèmes de la boîte. Elle m’écouta avec attention. Je la regardai pendant que je lui relatais les faits. Elle était vraiment appétissante, et d’une telle gentillesse, que j’en tombai amoureux ce soir-là. Malheureusement, je savais par expérience que mes sentiments, sincères sur le moment, seraient très vite submergés par d’autres, tout aussi sincères, pour de nouvelles conquêtes. Je terminais mon sorbet en la dévorant des yeux, lorsqu’elle me dit simplement : – Quelle aventure ! Tu es vraiment un personnage singulier à qui il arrive des péripéties peu ordinaires. Mais il y a quelque chose de bizarre. – Qu’est-ce qui est bizarre ? – Ton histoire de dialyseurs qui disparaissent. Es-tu certain qu’il s’agit d’erreurs répétées de conditionnement ? – Tu veux dire… – Mais oui ! Imagine qu’on détourne discrètement un dialyseur de quelques cartons. On peut très bien ne pas s’en apercevoir – ce qui semble avoir été le cas pendant longtemps – et au bout du compte ça peut faire un nombre considérable. – Mais pour quoi faire ? Tous les soins aux insuffisants rénaux sont remboursés ! – Tu es un grand naïf, Francis. Ce n’est pas le cas dans tous les pays… Je me frappai le front du plat de la main. – Quel c*n je fais ! J’aurais dû y penser tout de suite. Ça crève les yeux. Je continuai à réfléchir tout haut. – Attends… Ça voudrait dire que l’employé du site de stockage, Ouliakov, pourrait être impliqué ? Il aurait soustrait intentionnellement des dialyseurs pour alimenter un trafic organisé ? – Pourquoi pas ? – Vers des pays de l’Est, alors ? – La mafia russe s’est beaucoup développée ces dernières années… Tu veux que je te raconte une histoire vraie ? – Vas-y… – C’est une collègue belge qui me l’a rapportée. Un jour, un médecin de son service a reçu un patient de ce coin-là, accompagné de deux malabars patibulaires qui servaient d’interprètes. Le type était très malade et avait besoin d’une double greffe, de rein et de foie. Lorsque le médecin l’a expliqué et a parlé d’inscription sur une liste pour attendre un donneur compatible, un des deux interprètes l’a interrompu en disant : « Le donneur, on s’en occupe », tandis que l’autre lui tendait une grosse enveloppe ! – Non… ! – Et lorsqu’il a refusé, ils l’ont menacé. – Pas possible ! – Mais si… Il a eu les plus grandes peines du monde à s’en sortir2. J’étais abasourdi, à cent lieux d’imaginer que de telles pratiques pouvaient exister. Une autre idée me vint à l’esprit. J’avais enfin compris ce qui me turlupinait. Le conducteur de train portait également un nom russe. Les personnes d’origine russe avaient beau être nombreuses en France, la coïncidence était troublante. Je me rappelai les paroles de Tressard sur l’importance de la déposition du machiniste et frissonnai brusquement. – Bon sang, tu crois que cet Ouliakov aurait pu être éliminé parce qu’il pouvait être démasqué ? Le légiste me l’a bien dit : il a conclu au suicide en raison du témoignage du mécano, qui a affirmé l’avoir vu descendre sur la voie. Mais imaginons que ce dénommé Kabalomachin soit dans le coup. Tous les deux appartiennent à la mafia russe, et soudain on veut se débarrasser d’Ouliakov qui devient gênant. Il prenait sûrement le RER à des heures régulières pour se rendre à son travail. Il suffisait que monsieur K choisisse cette tranche horaire pour conduire le train. Ses complices assomment Ouliakov et l’installent sur les rails. C’est compliqué, mais pour une organisation criminelle bien structurée… – Oui, ça me paraît possible. Viens, on va prendre un pot à la maison. Je savais ce que ça voulait dire. J’étais si préoccupé ce soir-là que je ne me montrai pas très brillant, compensant mon manque d’ardeur par de la tendresse. Un peu plus tard, Brigitte me dit : – Il faut que tu parles de ça à ton patron et à la police. Si ton hypothèse est exacte, ça peut devenir très dangereux. Elle prêchait un convaincu… Mais la seule personne à qui je me voyais parler de mes élucubrations sans me faire traiter de mythomane, c’était le commissaire Maupas. J’avais instinctivement confiance en lui. Beaucoup moins en ses deux molosses, Pivert et Robin. Et auparavant, il fallait que j’en réfère à José, puis à Patrick Aulne. – Je sais, tu as raison. C’est curieux, dans cette affaire, ce sont à chaque fois des femmes qui ont eu les idées lumineuses, d’abord la surveillante de Rennes, puis toi. – Une autre de tes conquêtes, la surveillante de Rennes ? – Pas du tout, répondis-je un peu gêné. Elle avait dit ça d’un ton naturel, sans acrimonie. Je ne pouvais m’empêcher de faire la comparaison avec Myriam : je n’aurais sans doute jamais osé lui parler de Pascale ! – Malheureusement, moi je n’ai pas d’idée lumineuse, comme tu dis, pour élucider l’assassinat de ton amie Esther… J’étais de plus en plus gêné, et sa bienveillance ne faisait qu’accentuer mon embarras. Elle m’avait percé à jour sans que je ne lui parle jamais de rien. Il est vrai que cela ne devait guère être difficile. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle ajouta : – Tu te rends compte, Francis, depuis le temps qu’on se connaît, c’est la première fois que nous parlons autant. – C’est surtout moi qui ai parlé. Tu sais, Brigitte, je t’adore. – Moi, je t’aime tout court. Alarmé, je me dressai sur un coude. – Ne t’inquiète pas, Francis, je ne vais pas te harceler. Je sais exactement quel genre d’homme tu es : tu es incapable de résister à une femme (malgré le sérieux du moment, je ne pus m’empêcher de penser à une des phrases favorites de José : « Ça ne se fait pas de refuser une femme qui s’offre, c’est mal élevé ! »). Mais je t’aime, c’est comme ça. Et je veux que tu saches que si tu as besoin de moi, je suis là. * Le commissaire Maupas avait pris sa décision. Il irait lui-même rendre visite aux deux tantes d’Esther Stern. Tant pis si ses collaborateurs se vexaient. Seul le résultat compte, et il savait qu’il avait plus de chances d’obtenir des renseignements précieux. L’enquête était au point mort, il fallait avancer. Lorsqu’il arriva dans l’appartement du XIe, après avoir prévenu de sa visite, Maupas fut accueilli par Sarah et Ayala avec une gentillesse touchante : il n’avait pourtant rien de nouveau à leur apprendre. Malgré ses protestations, elles installèrent sur la table un plateau débordant de gâteaux et quelques bouteilles. – Nous sommes très heureuses de faire votre connaissance, Monsieur le commissaire, malgré ces tristes circonstances. Vous allez prendre une petite collation avec nous, ça va vous faire du bien. Dans votre métier, on n’a sûrement pas le temps de se nourrir convenablement. Maupas, qui faisait très attention à son alimentation depuis qu’il avait subi une intervention sur l’estomac et sur l’intestin grêle3, tenta tant bien que mal de limiter les dégâts. – Vous êtes très aimables, Mesdames, mais je viens de déjeuner et je dois faire attention, j’ai l’estomac fragile. – Oh oui, mais ces petits gâteaux, ça ne peut pas vous faire de mal, ils sont faits maison, dit Sarah. – Et puis, vous pourrez en emporter pour votre femme et vos enfants, ajouta Ayala. Maupas dut préciser qu’il était divorcé et que ses deux fils vivaient avec leur mère en province. – Ah, quel malheur, reprit Ayala. Et vous n’avez pas refait votre vie ? Vous êtes encore jeune, pourtant. C’est vrai qu’avec le métier que vous faites, préserver sa vie de famille doit être difficile… Il était temps de reprendre la situation en main. Il finissait par se demander si elles ne faisaient pas tout pour éviter le sujet de sa visite. – Mesdames, je suis désolé de vous importuner une nouvelle fois, car je sais que vous avez déjà vu à plusieurs reprises mes collaborateurs, mais l’enquête piétine et je voulais revoir certains points avec vous. Parfois, un œil neuf peut être utile. Il vit la déception s’afficher sur leurs visages. Elles pensaient sans doute qu’il venait leur annoncer l’identification du meurtrier. – Nous allons trouver, soyez-en sûres. Pour l’instant, nous avons l’impression que quelqu’un cherche à brouiller les traces. Mais justement, ça veut dire que nous avançons. C’est pourquoi il nous faut approfondir toutes les pistes. Nous continuons l’enquête sur les relations de votre nièce, mais je voudrais vous demander quelques renseignements. Maupas avait bien conscience qu’il recourait à la méthode Coué, car il n’était nullement persuadé qu’ils avançaient, au contraire. Mais il fallait bien préparer les deux femmes à l’interrogatoire qui allait suivre. – Voyons, reprit-il, vous avez indiqué qu’Esther n’avait pas d’autre famille que vous, n’est-ce pas ? – C’est exact, répondit Sarah. La pauvre petite a été élevée par notre frère Samuel. Mais nous étions là pour l’aider, bien sûr. Vous pensez, un homme seul avec un bébé de trois mois ! D’ailleurs, il a rapidement sombré dans la dépression et nous avons pris le relais… – Sa mère est décédée dans un accident d’avion, c’est bien ça ? – Oui, elle se rendait à l’enterrement d’un oncle en Californie. Quel malheur ! intervint Ayala. – Pardonnez-moi d’insister et de raviver ce douloureux souvenir, mais l’accident s’est produit entre la France et les États-Unis ? – Non, non, c’était sur une ligne intérieure, vers Los Angeles. L’avion est entré en collision avec un appareil de la marine américaine. Il y a eu une cinquantaine de morts. C’était en juin 1971. – Ah bon, je comprends mieux. J’étais étonné car je n’avais pas trouvé trace d’une catastrophe aérienne entre Paris et les USA pendant cette période. Les deux sœurs échangèrent un regard dont il n’arriva pas à comprendre la signification. Peut-être n’aurait-il pas dû mentionner qu’il avait vérifié leurs déclarations. Elles risquaient de se fermer comme des huîtres. – Et vous n’aviez pas d’autre famille ? Maupas comprit trop tard sa maladresse. – Vous savez, Monsieur le commissaire, nos parents ont été déportés et sont morts à Auschwitz en 1942, alors que Samuel, notre jeune frère, avait un an. Ayala avait deux ans et moi quatre. Nous avons survécu grâce à une famille de Justes qui nous a recueillis et cachés jusqu’à la fin de la guerre. Notre oncle avait senti le vent, il était parti en Amérique quelques années auparavant. Il est mort là-bas sans laisser de descendance. * Rentré à son bureau, Maupas fulminait d’avoir abattu ses cartes aussi vite, au risque d’éveiller la méfiance des deux tantes. Il avait cru les piéger, certain qu’elles lui cachaient je-ne-sais-quoi depuis qu’il avait constaté l’absence d’accident d’avion entre la France et les États-Unis en 1970 et 1971. De plus, il avait gaffé en demandant sans ambages s’il n’y avait pas d’autre famille, alors que les Stern avaient été décimés par la barbarie nazie… Il s’en voulait d’avoir joué au plus malin en revenant sur le terrain et se demanda s’il n’avait pas perdu la main. Par acquit de conscience, il consulta à nouveau la liste des catastrophes aériennes et trouva la confirmation des dires de Sarah et d’Ayala. Le 6 juin 1971, alors que la visibilité était réduite, un DC-9 de la compagnie Hugues Airwest était entré en collision avec un F-4B de la marine américaine, dont le transpondeur était en panne. Un des deux pilotes du F-4B avait réussi à s’éjecter, mais les quarante-neuf passagers du DC-9 avaient péri dans l’accident. L’avion effectuait la liaison entre Los Angeles et Salt Lake City. Mais que diable allait faire la mère d’Esther dans l’Utah, chez les Mormons, alors que son oncle était décédé en Californie ? 1. Mécano, mécanicien : ancienne appellation du conducteur de train, encore souvent utilisée dans le jargon cheminot français. 2. Voir Meurtre pour de bonnes raisons, Éd. Glyphe, 2009. 3. Inspiré de faits authentiques.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD