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1808 Words
Je distingue la silhouette d’un objet contre le mur opposé et j’avance lentement dans sa direction, les bras tendus dans l’obscurité. En le touchant, je constate qu’il s’agit d’une com- mode. Je laisse courir mes doigts sur sa surface de bois lisse et je sens la poussière qui la recouvre. Je touche de petits boutons — les poignées des tiroirs. Je les ouvre lentement, un à un. Il fait trop noir pour voir, alors je plonge une main dans un tiroir et en parcours l’intérieur. Le premier est vide. Le deuxième aussi. Je les ouvre tous, rapidement, mes espoirs s’évanouissant jusqu’à ce que je m’arrête au cinquième. Tout au fond, je sens quelque chose. Je le retire lentement. Je le tiens dans la lumière devant la fenêtre et au début, je ne comprends pas ce que c’est, mais alors, je sens le papier d’aluminium et je me rends compte que c’est une barre de chocolat. Quelqu’un en a pris quelques bouchées, mais elle est encore enveloppée et assez bien conservée. Je la développe juste un peu et la porte à mon nez pour la sentir. J’ai du mal à y croire: du vrai chocolat. Nous n’en avons pas eu depuis la guerre. L’odeur me fait immédiatement saliver, et il me faut toute ma volonté pour ne pas le dévorer. J’essaie de demeurer forte, le réemballant soigneusement et l’enfouissant dans ma poche. J’attends d’être avec Bree pour le savourer. Je souris en imaginant son visage au moment où elle prendra sa première bouchée. Ce sera un moment inoubliable. Je fouille les derniers tiroirs, espérant maintenant trouver toutes sortes de trésors, mais ils sont tous vides. Je fouille minutieusement la pièce sur toute sa longueur et sa largeur, le long des murs, dans les quatre coins pour trouver quoi que ce soit. Mais l’endroit est vide. Tout à coup, je pose le pied sur quelque chose de mou. Je m’agenouille pour prendre l’objet et le tenir devant la lumière. Je suis renversée: c’est un ourson en peluche. Il est usé et il lui manque un œil, mais Bree adore les oursons en peluche, et celui qu’elle a laissé en partant lui manque. Elle débordera de joie en voyant celui-ci. Ça semble être son jour de chance. Je coince l’ours dans ma ceinture et, en me relevant, je sens ma main qui frôle quelque chose de doux sur le plan- cher. J’éprouve un élan de plaisir en constatant que c’est un foulard. Il est noir et poussiéreux, alors je ne pouvais pas le voir dans l’obscurité, et je le tiens contre mon cou et ma poitrine. Je peux déjà sentir sa chaleur. Je le secoue par la fenêtre pour en retirer la poussière. Je le regarde à la lumière: il est long et épais et il n’a même pas de trous. C’est comme de l’or pur. Je le passe immédiatement autour de mon cou et le glisse sous ma chemise, et je me sens déjà plus au chaud. J’éternue. Le soleil est en train de se coucher, et il semble que j’aie trouvé tout ce qu’il y avait à trouver, alors je décide de sortir. En me dirigeant vers la porte, je frappe du pied quelque chose de dur, de métallique. Je m’arrête et m’agenouille en tâtonnant au cas où il s’agirait d’une arme. Ce n’est pas ça. C’est une poignée ronde en fer attachée à une planche. Comme un heurtoir. Ou une poignée. Je tire dessus, et rien ne se produit. J’essaie de la tourner. Rien. Puis, je m’écarte un peu et je tire de toutes mes forces. Une trappe s’ouvre en soulevant un nuage de poussière. Je découvre une petite cave d’un peu plus d’un mètre de hauteur, avec un plancher de terre battue. Mon cœur se comble d’espoir devant les possibilités qui se présentent. Si nous vivions ici, et qu’il surgissait un problème quelconque, je pourrais toujours y cacher Bree. Ce petit chalet devient encore plus précieux à mes yeux. Et il n’y a pas que ça. En regardant au fond, j’aperçois un reflet. J’ouvre toute grande la lourde porte de bois et je descends rapidement l’échelle. Il fait complètement noir ici, et je tiens mes mains levées devant moi, tâtonnant. En avan- çant d’un pas, je sens quelque chose. Du verre. Sur le mur, il y a des étagères sur lesquelles sont alignés des pots en verre. Des pots Mason. J’en prends un et le mets devant la lumière. Son contenu est rouge et mou. Ça ressemble à de la confiture. Je dévisse rapidement le couvercle de fer-blanc, le porte à mon nez et le sens. Une forte odeur de framboises me frappe comme une vague. J’y glisse un doigt, en prends un peu et en hési- tant, j’en mets sur ma langue. C’est incroyable: de la confi- ture de framboises. Et son goût est aussi frais que si elle avait été faite hier. Je referme rapidement le couvercle, mets le pot dans ma poche et retourne vers les étagères. Je peux déjà sentir dans l’obscurité qu’il y en a des dizaines. Je saisis le plus près, reviens vers la lumière et le tiens bien haut. Ça ressemble à des cornichons. Je suis abasourdie. Cet endroit est une mine d’or. J’aimerais pouvoir tous les prendre, mais mes mains sont en train de geler, je n’ai rien pour transporter tout ça, et la nuit tombe à l’extérieur. Alors, je remets le pot de corni- chons à sa place, je grimpe l’échelle et je referme minutieu- sement la trappe derrière moi. Je souhaiterais avoir un cadenas; je me sens nerveuse à l’idée de laisser tout ça dans cette cave, à la portée de n’importe qui. Puis, je me souviens que personne n’est venu à cet endroit depuis des années et que je ne l’aurais probablement même jamais remarqué si cet arbre n’était pas tombé. En partant, je ferme complètement la porte avec un sen- timent de propriété, ayant déjà l’impression que c’est notre foyer. Les poches pleines, je me dirige rapidement vers le lac, mais je fige tout à coup alors que je crois percevoir un mouvement et que j’entends un bruit. Au départ, je m’in- quiète que quelqu’un m’ait suivie, mais en me retournant lentement, je constate que c’est autre chose. Un cerf se tient là, à trois mètres, et me fixe. C’est le premier cerf que j’aie vu depuis des années. Il m’observe pendant un moment de ses grands yeux noirs, puis il se retourne brusquement et s’enfuit. Je reste bouche bée. J’ai passé des mois à chercher un cerf en espérant pouvoir m’en approcher suffisamment pour lui lancer mon couteau. Mais je n’ai jamais pu en trouver un nulle part. Peut-être que je ne chassais pas à une altitude suffisante. Peut-être que c’est ici qu’ils ont vécu pendant tout ce temps. Je prends la ferme décision de revenir au matin et d’at- tendre toute la journée si nécessaire. S’il est venu ici une fois, peut-être qu’il va revenir. La prochaine fois que je le verrai, je vais le tuer. Ce cerf pourrait nous nourrir pendant une semaine entière. Je suis remplie d’un nouvel espoir tandis que je cours vers le lac. Quand j’y arrive, je vérifie ma canne à pêche, et mon cœur bondit dans ma poitrine en voyant qu’elle est presque pliée en deux. Tremblante d’excitation, je m’élance en glissant sur la glace. Je saisis la ligne qui vibre fortement et je prie pour qu’elle tienne. Je tire fermement sur le fil. Je peux sentir la puissance d’un gros poisson qui se débat et je prie de nouveau pour que ni la ligne ni l’hameçon ne se brisent. Je tire une der- nière fois, et le poisson vole à l’extérieur du trou. C’est un énorme saumon, de la taille de mon bras. Il atterrit sur la glace et frétille en tous sens. Je l’attrape, mais il me glisse des mains et retombe sur la glace. Mes mains sont trop vis- queuses pour le retenir, alors je descends mes manches et me penche pour l’attraper plus fermement cette fois. Il se tortille entre mes doigts pendant une bonne trentaine de secondes jusqu’à ce qu’il s’immobilise finalement, mort. J’arrive à peine à y croire. C’est ma première prise depuis des mois. Je suis follement heureuse tandis que je traverse en glissant la surface de glace et que je dépose le saumon sur la rive, le couvrant de neige par crainte qu’il ne revienne à la vie et replonge dans le lac. Je reprends ma canne à pêche d’une main, puis saisis le poisson de l’autre. Je sens le pot de confiture dans une poche et le thermos d’eau d’érable dans l’autre, puis la barre de chocolat et l’ours en peluche à ma ceinture. Bree se sentira comme une reine ce soir. Il ne reste qu’une chose à prendre. Je marche jusqu’à la brassée de bois sec, pose en équilibre la canne sur mon bras et de ma main libre, je prends autant de bûches que je peux en tenir. J’en laisse tomber quelques-unes et je ne peux pas en prendre autant que je le voudrais, mais je ne me plains pas. Je peux toujours venir chercher le reste demain matin. Les mains, les bras et les poches remplis au maximum, je descends en marchant et en glissant le long de la paroi abrupte de la montagne dans les dernières lueurs du jour, faisant attention de n’échapper aucun de mes trésors. En chemin, je ne peux m’empêcher de penser au chalet. Il est parfait, et mon cœur s’accélère en pensant à toutes les possi- bilités qu’il offre. C’est exactement ce dont nous avons besoin. La maison de mon père, construite sur une route principale, est trop visible. Je m’inquiète depuis des mois du fait que nous soyons si vulnérables à cet endroit. Il ne suffi- rait que d’un seul chasseur d’esclaves qui passe par hasard pour que nous ayons des ennuis. Je souhaitais depuis des mois que nous déménagions, mais je n’avais simplement aucune idée où aller. Je n’ai vu aucune autre maison à cette altitude dans les environs. Ce petit chalet, situé tellement haut, si loin de toute route — et littéralement construit dans la montagne — est si bien camouflé que c’est pratiquement comme s’il avait été bâti pour nous. Personne ne pourrait nous y trouver. Et même s’ils le pouvaient, ils ne pourraient absolument pas s’en approcher avec un véhicule. Ils devraient grimper à pied, et de ma position, je les verrais venir à plus d’un kilomètre. Il y a également cette source d’eau fraîche, ce ruisseau qui coule à deux pas de la porte; je n’aurais pas besoin de laisser Bree seule chaque fois que je pars dans la forêt pour me laver et laver nos vêtements. Et je n’aurais pas à porter des seaux d’eau un à un tout au long du chemin à partir du lac chaque fois que je prépare un repas. Sans compter le fait qu’avec les branches de ces énormes arbres, nous serions assez bien dissimulées pour faire des feux dans le foyer chaque soir. Nous serions plus en sécurité, plus au chaud, dans un endroit foisonnant de poissons et de gibier — et doté d’une cave remplie de nourriture. C’est décidé. Nous allons y emménager demain. J’ai l’impression qu’un poids vient de tomber de mes épaules. Je me sens renaître. Pour la première fois d’aussi loin que je me souvienne, je ne sens pas la faim me gruger, je ne sens pas le froid percer le bout de mes doigts. En des- cendant, même le vent semble souffler dans mon dos pour m’aider, et je sais que finalement la situation s’est renversée. Pour la première fois depuis des années, je sais que mainte- nant nous pouvons y arriver. Maintenant, nous pouvons survivre.
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