La lettreJe l’ai vue, à quoi bon la froisser, cette lettre ?Pourquoi la caches-tu ?… Je ne la prendrai pas.Pourquoi te demander si j’en souffre peut-être ?Elle devait venir, je l’attendais, lis-la. Lis-la, tu me fais mal, mais lis-la. Je t’envie.Je vois les mots affreux sur le papier flamber,Doux comme des aveux, et chauds comme la vie…Savoure ce bonheur que tu m’as dérobé. Car jamais plus mon cœur ne connaîtra l’attenteDe l’enveloppe bleue où je lisais mon nomTracé dans une grande écriture charmante,De la lettre qu’on ouvre avec un grand frisson. Et pourtant si j’allais l’arracher tout de même !Si je cédais soudain à mon brusque désir !Si je voulais savoir la façon dont il t’aime,La crudité des mots évoquant vos plaisirs ? Mais tu vois ton bonheur en danger, tu te dresses.Te voilà prête à le défendre jusqu’au bout.Le passé n’est plus rien, tu n’es plus ma maîtresse,Comme deux ennemis nous sommes là, debout. Va, cette lettre-là, je la connais de reste.Dans ton mauvais regard, je la lis à loisir.Toi que j’aimais si fort, comme tu me détestes !Pour ce papier froissé tu me ferais mourir…