L'Oeuvre amoureuse et sentimentale de Maurice Magre

Jadis

JadisJadis, elle aimait tout de moi, ma voix, mon geste,Mon salut, ma façon d’aller et de venir.Quand le soir j’étais là elle disait : Je reste !Il faisait beau dehors quand je voulais sortir. Elle m’aimait sans examen, sans clairvoyance,Comme on aime le saint sous la châsse d’argent.Dans le rayonnement de cette bienveillanceJe me sentais meilleur et plus intelligent. Mais peu à peu j’ai vu tant de sollicitudeDécroître comme la chaleur vers la fin d’août.La parole d’abord devient un peu plus rude…Le regard est plus froid et le b****r moins doux. Elle ne goûtait plus le plaisir d’être ensembleNi de se taire et de parler en se taisant.Les êtres en s’aimant à la fin se ressemblent,Mais nous, nous devenions chaque jour différents. Tout ce que je faisais cessait d’être admirable,Le livre préféré lui semblait ennuyeux.Mon présent, quel qu’il fût, n’était pas agréable,La cravate choisie avait des tons affreux. Et les autres avaient tant de goût au contraire…Dans ce qu’ils écrivaient, tout était délicat ;Le moindre bouquet d’eux suffisait pour lui plaire ;Il avait des parfums que les miens n’avaient pas. Tu ne sentais donc plus, ingrate, ma tendresseQui te parfumait mieux que les plus rares fleurs,D’un parfum quotidien, long comme une caresseEt tel qu’aucun jardin n’en donne de meilleur… Pourquoi m’as-tu ravi cette chose légère,L’amour qui s’émanait du geste de tes bras,Je vivais dans le bain d’une tendre atmosphère,Plus heureux comme on l’est sous de plus chauds climats. À présent je suis seul, dépouillé, misérable.J’ai perdu le talent, la générosité,La meilleure richesse et la plus véritableFaite de tous les dons que tu m’avais prêtés. Je n’aime plus les beaux endroits, les doux visages,Les soirs sont ennuyeux et les livres sont lus.Puisque tu m’as quitté je n’ai plus de courage,Je ne crois plus en moi car tu ne m’aimes plus…